UNE VIE, UN POÈTE


rencontre avec un poète du monde









 
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Georges-L. Godeau
(1921 - 1999)
par
Hélène Soris

 

Je voudrais vous présenter aujourd’hui un poète peu connu chez nous, Georges-L. Godeau, (je ne pourrai vous assurer si L signifie Léon ou Louis). Je crois que Godeau se faisait un plaisir de laisser un doute à ce propos. Né en 1921, il nous a quitté en 1999.



C’est un cas dans la production poétique de la deuxième moitié de ce siècle. Entré vers la quarantaine sur la scène littéraire, Il a suscité l’intérêt de ses pairs, sans trouver pour autant un public à sa mesure, en France, alors que traduit, au Japon et ailleurs il trouve de nombreux lecteurs. J’ajouterai que pour ce qui est du Japon je n’en suis pas étonnée car les poèmes de Godeau sont des croquis ou des photographies et on sait que la poésie japonaise est aussi faite de flashes. 

Il a vécu dans la région de Niort  et  non loin du marais Poitevin qu’il affectionnait beaucoup.  . Il a été ingénieur des travaux publics. Il aimait  pêcher à la ligne, dessinait et avait une grande prédilection pour les écrivains russes. Ami du critique Georges Mounin et de René Char, qui dit de lui : “Georges Godeau, nous ravit des courbes de ses chantiers provocants”.
 
Jeune, Godeau s’était jeté dans la politique. Pour changer le monde. Mais le monde se trouvait bien comme ça. Alors, il fit des études pour être professeur, dans la linguistique pour mieux comprendre la poésie. En fait, pour être heureux. Il le fut pendant quarante ans malgré les défaites. Pour lui, c’était des victoires.

Sa poésie, la vérité de Godeau, est aux antipodes des fulgurances de Char son ami affectionné. L’immortalité, je crois  lui importait peu. Voyez ce poème :


IMMORTALITÉ

Il vendit des pommes frites jusqu’à sa mort, sans parler, sans rire. Les enfants l’appelaient l’ours brun. Quand le rideau de la cabane se tira, les journaux apprirent que le marchand de chips, jeune, avait créé trois chansons populaires célèbres.
En foule, les promeneurs du dimanche firent le tour du stand clos. Le vent avait emporté les relents de friture. Chacun chercha sur les planches la trace des chansons.
La bonne sœur qui veillait le corps à la chapelle de l’hôpital ne reçut aucune visite.
C’est ça l’immortalité.
*

On peut lire dans L’ACTUALITÉ POITOU-CHARENTES :
Les poèmes de Georges-L.Godeau ressemblent à la maison où il vivait, à  Magné, à l’orée du Marais Poitevin, une maison un peu froide, posée sur la plaine, un pavillon modeste, à l’intérieur excessivement propre, très ordonné, sans trop de meubles, sans presque un seul livre (le poète était un fidèle de la bibliothèque municipale et les quelques revues qu’il recevait, il m’avoua les brûler, tant la médiocrité de ce qu’il y lisait l’affligeait).
….
Dans sa maison le poète vous recevait avec une simplicité confondante, une cordialité exigeante,

Ses poèmes étaient clairs, frappés du sceau de l’évidence, ressemblaient à sa conversation, placide en apparence et soudain comme surgissante, au plus vif, au plus éclatant, précipitée soudain au coeur d’une violence douce.
On était assis à la table, on parlait fort car le poète était sourd.
Ce qu’il en dit :

SURDITÉ

J’entends le vent qui couche l’herbe, qui secoue le tôles des cabanes, je salue l’homme dans sa vigne. Il lève la main, c’est tout un discours. Au retour le facteur me fait signe, il pointe le ciel, je vois qu’il va pleuvoir ; J’entre à la boulangerie. Bonjour. Deux flûtes, un sourire, merci, au revoir. Dans la voiture mon chien, toujours content remue la queue. Il ne sait pas que je suis sourd. Et le compte fait, moi non plus.
*

Le dessert arrivant, il se pouvait que le vieux monsieur chauve au regard ardent se prenne pour un autre poète, pour un autre vieux monsieur qui avait été son maître, qu’il avait visité, une visite au vrai père, au vrai géant. Vous racontant sa visite à René Char, Georges-L.Godeau  cessait de rire et de sa voix grave et coupante, vous fixant d’un regard qu’il était vain de vouloir éviter, sur un ton qu’il avait peut-être entendu chez l’autre poète, il vous murmurait cette phrase scintillante : «bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-émotion instantanément reine». Et dans les vapeurs du digestif cette phrase allait faire de l’après-midi un poème.
Avec le vieux poète, un peu moine bouddhiste, vous partiez  jusqu’au marais où un peu ivre encore vous vous laisseriez entraîner dans une navigation placide, sur l’eau calme des canaux, sur l’eau à angles droits comme les phrases du poète, comme ses poèmes. Le poète finirait par se taire. Vous vous diriez que ce silence a un prix. Votre ivresse se ferait contemplative. Peut-être même finiriez-vous par comprendre ce que le poète voulait dire avec son histoire d’émotion. Vous vous laisseriez bercer par l’illusion d’avoir vous aussi, dans cet après-midi entr’aperçu quelque chose.

***


Voici un portrait du poète  par  Guy Goffette : un poète que j’ai évoqué il y a quelque temps. Et qui a  aussi  l’habitude de décrire  les petits événements de la vie.
"La peau dorée d’un pain cuite au feu doux de Niort. Le bonze que j’accueille ne porte pas la robe safran, mais en chemise, manches retroussées, et un pantalon de flanelle.
*Rond  de joue, rond de crâne et lisse comme un galet  longtemps caressé  par la vague, il a le corps svelte du chemineau coupant d’instinct  à travers champs sans fouler le blé vert ni chasser les moineaux.
Son champ à lui, c’est la langue commune, mais qui va droit au but  sans fracasser les mots ni effarer les simples
Quand il sourit, le soleil lui répond cinq sur cinq."

Rond nous dit Guy Goffette, mais c’est normal pour quelqu’un d’aussi tendre, écoutez le souvenir qu’il garde de sa grand-mère :

 DONNANT DONNANT

Petit, quand j’étais malade, ma grand-mère se levait plus tôt pour conduire les vaches au pacage. A midi elle ramenait le troupeau et s’asseyait près de mon lit. Elle sortait de son sac un bout de chocolat “chanté par les alouettes”.  Parfois elle prenait mon pouls pour se tranquilliser.
Plus tard quand elle était clouée dans sa cuisine, c’est moi qui allais prendre le sien. Je restais le plus longtemps possible. Elle me racontait sa jeunesse, moi ma vie trépidante. Elle prenait ma main pour mieux m’entendre.
*

"Une poésie qui sait voir sur chaque objet le moment où un détail peut devenir une aventure, une comédie, une tendresse", dit Héri Kaddour.
Et il ajoute : "Aucune naïveté pourtant dans ce savoir vivre du poème. Si Godeau écrit parce qu’il aimerait bien comme son père enfoncer ses mains dans l’écorce, il sait aussi que l’immortalité n’est jamais qu’un cadavre sans visite et que ce n’est que lorsqu’elles ne subsistent plus qu’à l’état de traces qu’on s’aperçoit de la force de certaines chansons."

Mais ce poème  nous dit ce qu’en pense Godeau :

SI

Si j’avais vécu sans tabac, sans vin, sans ripailles,  sans peinture, sans poésie, sans divorce, je serais un chef de tribu respecté. Le dimanche à table nous parlerions de terre, de bourse et de l’avenir des enfants ;  je serais peut être conseiller général et j’aurais mon nom dans le journal cette fois à la bonne place.
*

Le critique Yves Leclair  dit :
"Sur la route, on aperçoit  un piéton qui s’est abstrait de sa contemplation pour dépanner le vélo d’un gamin. Il était occupé à regarder comme absorbé les petits ronds de ciel, les ondes  concentriques des araignées qui marchent sur les eaux.  Vu de loin ce pourrait bien être Georges-L.Godeau."

  SUR LE TROTTOIR

Les enfants qui vont à la piscine roulent à bicyclette en file indienne. Ils évitent les cailloux pour ne pas déraper et tomber sur la chaussée où la mort veille.
Quand ils repassent après le bain, la tête dans la lune, ils se moquent des pierres, ils lèvent les deux bras pour saluer les voitures et envoyer des baisers. Aimer le monde est leur affaire.    
*
Godeau avait d’abord écrit de longs poèmes où on aurait pu deviner Giono. Puis un jour il écrivit à un ami : "Nous nous croyions poète à travers les torrents que nous écrivions. Un jour tu changeas pour de petits ruisseaux, minces filets d’eau claire dont le scintillement m’étonna. J’en serrai mes vannes et depuis, sans relâche, nous surveillons la cote."
 
Il dit de ses poèmes :
c’est une histoire brève, compacte, bien à vous. Trois fois vous la relisez et vous pensez aux amis lointains qui partageront les premiers la bonne nouvelle.

LE BUT

Si je pouvais écrire des poèmes si bas, si bas, que les nains puissent lire en se levant sur la pointe des pieds et dire : « nous avons passé un bon dimanche »
Je choisirais d’écrire encore plus bas pour qu’ils restent à plat sur leurs pieds et décuplent leur joie.
*
                  
Le poète garde un texte deux jours et l’expédie ; il ne s’y attarde pas. Vous ai-je dit qu’il peint ? Eh bien ! il procède de même une toile est achevée dans la journée par fois la demi-journée.

 EXPO

Peinte et poète, pour mon exposition, la grande salle était pleine. J’ai serré des mains, même celle des paysans de mon village qui avaient fait dix kilomètres dans la nuit pour venir me voir. Une dame en fourrure blanche m’a demandé qui étaient ces gens là, qu’ils avaient dû se tromper d’endroit. J’ai répondu que j’avais joué aux billes avec eux et qu’on continuerait dès qu’on aurait le temps. 
*

Certains à qui on faisait lire sa poésie disaient : "c’est bien mais ce n’est pas de la poésie "   Pourtant, si je vous lis ces textes, bien qu’ils soient écrits en prose  n’y voyez-vous pas de la poésie ?

DANUBE

Mot d’histoire, c’est fini,  je te vois enfin, je ne suis pas déçu, tu es même plus large qu’on ne le disait, plus rapide, roux comme un vieux lion. Le soir, quand la ville s’efface sur les bords, tu sors du ciel, brillant comme une épée, tu prends le virage et tu t’en vas là bas, au pays des dieux. Tu en es un à ta façon, tu peux tout raser ou fleurir, à ta guise.
*
                       
ou LE TAUREAU

J’allais dans le chemin. Au virage il était là, il avait sauté la clôture, il réfléchissait.
Si j’avais reculé, il aurait foncé. Alors j’ai passé comme un paysan.  A sa hauteur dans son œil, j’ai lu un compliment.
*
                       
N’est-ce pas celui qui fait oublier le travail d’écriture qui écrit bien, dira de lui Guy Bellay.
Et il ajoute: “pourquoi ai-je aimé dès le début la poésie de Godeau ? Parce que je pouvais dire : enfin un poète qui ne se prend pas pour un poète ; enfin un poète qui sépare résolument la poésie des signes extérieurs de la poésie.”

********
Cette poésie est :
Une suite de proses brèves, accessibles à la première lecture, sans détails inutiles,
Des sortes de flashes sur un personnage ou un paysage
Sa prédilection pour le travail manuel et la simplicité des gens du peuple.


 L’ÉCHELLE   

L’échelle du fumiste surgit dans mon carreau . Elle s’allonge comme un télescope .
Au pied l’homme s’engage, il porte un baquet sur l’épaule, la pluie fouette . Il monte lentement . L’échelle plie comme un roseau .

J’écarte le rideau « sale temps. » Amical il cligne de l’œil puis reprend l’ascension . Ses souliers ferrés glissent sur les barres .

J’attends pour respirer que l’échelle s’immobilise .  
*

Il traite des sujets très divers.
Oui mais il me semble qu’il y a  un personnage dans chacun de ses poèmes. Parfois  un insecte, un animal mais toujours quelque chose  qui fait partie de la vie, son regard, Godeau nous guide vers  les petits bonheurs de chaque jour, ceux qui nous sont donnés simplement par la nature, la ville, les autres comme  ceci :


Ils ont moins de vingt ans . Ils sont seuls dans un champ de blé. Lui est à genoux, il broie dans sa main le plus bel épi . Elle se penche sur lui pour voir de plus près . Tête contre tête ils parlent doucement  de terre, d’engrais et de semences .
Ce sont aussi des mots d’amour. 

Voici sa façon toute personnelle de parler à Dieu suivit de quelques poèmes:

DIEU

Parfois quand j’ai pêché pour rien tout l’après-midi, je murmure sous ma visière, “Dieu, donne moi un brochet”   En général Dieu es ailleurs ou il estime que les deux d’hier suffisent . Il sait que mon congélateur est plein , que je suis là avec deux bras deux,  jambes en bon état  et que dans ma musette, j’ai des petits cigares qui fument bien. Et puis il est aussi le dieu des brochets.
Alors il s’amuse à me voir lancer entre les arbres, les herbiers . Si je n’accroche pas, c’est encore lui . Car nous sommes complices , et les seuls à le savoir.

LEUR PLACE

Mon vieux père vivait seul; lorsqu’il s’ennuyait trop je l’emmenais à la pêche . Quand le vent était fort , son fil s’emmêlait . Plutôt que de m’appeler, il  s’asseyait sur une souche et patient il défaisait les nœuds . Il y passait une heure, parfois la soirée . Quand je revenais,  souriant, il me racontait ses misères  et, pour la forme je le grondais un peu. Nous savions tous les deux qu’il recommencerait , avec ses yeux qui ne voyaient plus guère et ses doigts gros et raides encore prêts à faire des miracles pour sauver leur place dans la voiture .
Ils ont dix, douze ans, ils habitent la ville. Depuis hier, ils sont en vacances. En short, malgré les ronces, les guêpes, les vipères, ils sautent les fourrés et avec leur lancer ils pêchent mieux que moi. Sans épuisette, sans couteau, ils dégringolent les talus, empoignent les brochets qu’ils lancent sur le pré et tuent avec un bâton. Ils rentrent au village la bête à la ceinture. Avec mon harnachement, je suis un fossile.

DANS LA PISCINE

Elle vient tous les jours, elle fait vingt fois l’aller et retour et s’assoit au bout, le temps de retirer ses lunettes, s’essuyer les yeux et montrer ses dents comme un cheval agacé. Puis d’un coup de talon, elle repart sans dévier. Même les enfants se garent.

DANS CETTE MAISON

Dans cette maison pas plus mal qu'une autre, j'avais une femme, deux enfants, un chien et un tas d'ustensiles. La nuit, dans mon lit, je lisais Platon. Le jour, je travaillais, je courais et buvais. Je n'étais pas heureux.    Pour changer la vie, un soir, je me suis sauvé avec ma valise, mon rasoir, sans embrasser personne. Le chien en est mort et les enfants sont devenus des hommes. Ils ont des tics qu'ils portent sans se plaindre. Je n'ai rien pour ma défense.

CHARLES

Charles était paysan. Il n'allait jamais au bistrot, ni en voyage, il ne fumait, il travaillait même le dimanche pour élever ses quatre enfants, restaurer sa maison et faire des économies. Depuis qu'il est en retraite, il lit le journal, fend du bois, jardine et le reste du temps il pense. À Pâques, pour la première fois, il est allé à la messe. Les gens s'étonnent. C'est pourtant bien simple. Toute sa vie, il a engrangé des biens. Il en reste un qu'il n'a pas : le paradis. Sage, à sa place, il écoute le prêtre qui en dispose.


Gil Jouanard  énonce :
"Voilà la leçon que Godeau nous donne sans le vouloir: la poésie  ça peut aussi servir à quelque chose. Certains jours on  l’oublierait presque."

***

Bibliographie:
Javelines, poèmes, avant-dire de Paul Bay, Paris, la Tribune des poètes, 1953
Rictus, Paris, Revue Quo vadis, 1954
Myriella, avec un prélude de Louis de Gonzague-Frick, Niort, les Héliades, 1956
Vent de rien, Édition le Pain du pauvre, 1958
Les Mots difficiles, Gallimard, 1962
Les Foules prodigieuses, Chambelland, 1970
Le Fond des choses, Saint-Germain-des-Prés, 1974
À tête reposée, Éditions de la Mule, 1976
Quand les jours, La Corde Raide, 1979
Venez, je vous emmène, Éditions Ouvrières, 1979
Déjà, L'Apprentypographe, 1983
D'un monde à l'autre, Ipomée, 1984
Carton, Le Pavé, 1984
Votre vie m'intéresse, anthologie, Le dé bleu, 1985, rééd. 2000
C'est comme ça, Le dé bleu / Le Castor astral, 1988
Avec René Char, Le dé bleu, 1989
L'Œil écrit, Catalogue d'exposition, Bibliothèque municipale, Centre culturel de Niort, 1989
Après tout, Le dé bleu, 1991
Rencontre avec Georges L. Godeau, Catalogue d'exposition, Bibliothèque municipale d'Anglet, 1992
Le Bon Temps, NRF spécial G.-L. Godeau, 1994
On verra bien, Le dé bleu, 1995


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N.B: J'ai utilisé pour rédiger ces commentaires des extraits cueillis dans le numéro 497 de " La nouvelle Revue Française "



Hélène Soris
pour Francopolis
septembre 2009

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Créé le 1 mars 2002

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