UNE
VIE, UN POÈTE
|
|
||||||
|
|||||||
Georges-L.
Godeau
IMMORTALITÉ On peut lire dans L’ACTUALITÉ
POITOU-CHARENTES : Le dessert arrivant, il se pouvait que le
vieux monsieur chauve au regard ardent se prenne pour un autre
poète, pour un autre vieux monsieur qui avait été
son maître, qu’il avait visité, une visite au vrai
père, au vrai géant. Vous racontant sa visite à
René Char, Georges-L.Godeau cessait de rire et de sa voix
grave et coupante, vous fixant d’un regard qu’il était vain de
vouloir éviter, sur un ton qu’il avait peut-être entendu
chez l’autre poète, il vous murmurait cette phrase scintillante
: «bien-être d’avoir
entrevu scintiller la matière-émotion
instantanément reine». Et dans les vapeurs du
digestif cette phrase allait faire de l’après-midi un
poème. ***
Petit,
quand j’étais malade, ma grand-mère se levait plus
tôt pour conduire les vaches au pacage. A midi elle ramenait le
troupeau et s’asseyait près de mon lit. Elle sortait de son sac
un bout de chocolat “chanté par les alouettes”. Parfois
elle prenait mon pouls pour se tranquilliser.
Mais ce poème nous dit ce qu’en pense Godeau :Plus tard quand elle était clouée dans sa cuisine, c’est moi qui allais prendre le sien. Je restais le plus longtemps possible. Elle me racontait sa jeunesse, moi ma vie trépidante. Elle prenait ma main pour mieux m’entendre. * "Une poésie qui sait voir sur chaque objet le moment où un détail peut devenir une aventure, une comédie, une tendresse", dit Héri Kaddour. Et il ajoute : "Aucune naïveté pourtant dans ce savoir vivre du poème. Si Godeau écrit parce qu’il aimerait bien comme son père enfoncer ses mains dans l’écorce, il sait aussi que l’immortalité n’est jamais qu’un cadavre sans visite et que ce n’est que lorsqu’elles ne subsistent plus qu’à l’état de traces qu’on s’aperçoit de la force de certaines chansons." SI Si j’avais
vécu sans tabac, sans vin, sans ripailles, sans peinture,
sans poésie, sans divorce, je serais un chef de tribu
respecté. Le dimanche à table nous parlerions de terre,
de bourse et de l’avenir des enfants ; je serais peut être
conseiller général et j’aurais mon nom dans le journal
cette fois à la bonne place.
** Le critique Yves Leclair dit : "Sur la route, on aperçoit un piéton qui s’est abstrait de sa contemplation pour dépanner le vélo d’un gamin. Il était occupé à regarder comme absorbé les petits ronds de ciel, les ondes concentriques des araignées qui marchent sur les eaux. Vu de loin ce pourrait bien être Georges-L.Godeau." SUR LE TROTTOIR Les enfants qui vont à la piscine roulent à bicyclette en file indienne. Ils évitent les cailloux pour ne pas déraper et tomber sur la chaussée où la mort veille. Quand ils repassent après le bain, la tête dans la lune, ils se moquent des pierres, ils lèvent les deux bras pour saluer les voitures et envoyer des baisers. Aimer le monde est leur affaire. Godeau
avait d’abord écrit de longs poèmes où on aurait
pu deviner Giono. Puis un
jour il écrivit à un ami : "Nous nous croyions poète à
travers les torrents que nous écrivions. Un jour tu changeas
pour de petits ruisseaux, minces filets d’eau claire dont le
scintillement m’étonna. J’en serrai mes vannes et depuis, sans
relâche, nous surveillons la cote."
Il dit de ses poèmes : “c’est une histoire brève, compacte, bien à vous. Trois fois vous la relisez et vous pensez aux amis lointains qui partageront les premiers la bonne nouvelle.” LE BUT Si je pouvais écrire des poèmes si bas, si bas, que les nains puissent lire en se levant sur la pointe des pieds et dire : « nous avons passé un bon dimanche » Je choisirais d’écrire encore plus bas pour qu’ils restent à plat sur leurs pieds et décuplent leur joie. * Le poète garde un texte deux
jours et l’expédie ; il ne s’y attarde pas. Vous ai-je dit qu’il
peint ? Eh bien ! il procède de même une toile est
achevée dans la journée par fois la demi-journée.
EXPO Peinte et poète, pour mon exposition, la grande salle était pleine. J’ai serré des mains, même celle des paysans de mon village qui avaient fait dix kilomètres dans la nuit pour venir me voir. Une dame en fourrure blanche m’a demandé qui étaient ces gens là, qu’ils avaient dû se tromper d’endroit. J’ai répondu que j’avais joué aux billes avec eux et qu’on continuerait dès qu’on aurait le temps. * Certains à qui on faisait lire sa poésie disaient : "c’est bien mais ce n’est pas de la poésie " Pourtant, si je vous lis ces textes, bien qu’ils soient écrits en prose n’y voyez-vous pas de la poésie ? DANUBE Mot
d’histoire, c’est fini, je te vois enfin, je ne suis pas
déçu, tu es même plus large qu’on ne le disait,
plus rapide, roux comme un vieux lion. Le soir, quand la ville s’efface
sur les bords, tu sors du ciel, brillant comme une épée,
tu prends le virage et tu t’en vas là bas, au pays des dieux. Tu
en es un à ta façon, tu peux tout raser ou fleurir,
à ta guise.
* ou LE TAUREAU J’allais dans le chemin. Au virage il était là, il avait sauté la clôture, il réfléchissait. Si j’avais reculé, il aurait foncé. Alors j’ai passé comme un paysan. A sa hauteur dans son œil, j’ai lu un compliment. * N’est-ce pas celui qui fait oublier le
travail d’écriture qui écrit bien, dira
de lui Guy Bellay.
Et il ajoute: “pourquoi ai-je aimé dès le début la poésie de Godeau ? Parce que je pouvais dire : enfin un poète qui ne se prend pas pour un poète ; enfin un poète qui sépare résolument la poésie des signes extérieurs de la poésie.” ******** Cette poésie est : Une suite de proses brèves, accessibles à la première lecture, sans détails inutiles, Des sortes de flashes sur un personnage ou un paysage Sa prédilection pour le travail manuel et la simplicité des gens du peuple. L’ÉCHELLE L’échelle du fumiste surgit dans mon carreau . Elle s’allonge comme un télescope . Au pied l’homme s’engage, il porte un baquet sur l’épaule, la pluie fouette . Il monte lentement . L’échelle plie comme un roseau . J’écarte le rideau « sale temps. » Amical il cligne de l’œil puis reprend l’ascension . Ses souliers ferrés glissent sur les barres . J’attends pour respirer que l’échelle s’immobilise . * Il traite des sujets très divers. Oui mais il me semble qu’il y a un personnage dans chacun de ses poèmes. Parfois un insecte, un animal mais toujours quelque chose qui fait partie de la vie, son regard, Godeau nous guide vers les petits bonheurs de chaque jour, ceux qui nous sont donnés simplement par la nature, la ville, les autres comme ceci : Ils ont moins de vingt ans . Ils sont seuls dans un champ de blé. Lui est à genoux, il broie dans sa main le plus bel épi . Elle se penche sur lui pour voir de plus près . Tête contre tête ils parlent doucement de terre, d’engrais et de semences . Ce sont aussi des mots d’amour. Voici sa façon toute personnelle de parler à Dieu suivit de quelques poèmes: DIEU Parfois
quand j’ai pêché pour rien tout l’après-midi, je
murmure sous ma visière, “Dieu, donne moi un
brochet” En général Dieu es ailleurs ou il
estime que les deux d’hier suffisent . Il sait que mon
congélateur est plein , que je suis là avec deux bras
deux, jambes en bon état et que dans ma musette,
j’ai des petits cigares qui fument bien. Et puis il est aussi le dieu
des brochets.
Alors il s’amuse à me voir lancer entre les arbres, les herbiers . Si je n’accroche pas, c’est encore lui . Car nous sommes complices , et les seuls à le savoir. LEUR PLACE Mon
vieux père vivait seul; lorsqu’il s’ennuyait trop je l’emmenais
à la pêche . Quand le vent était fort , son fil
s’emmêlait . Plutôt que de m’appeler, il s’asseyait
sur une souche et patient il défaisait les nœuds . Il y passait
une heure, parfois la soirée . Quand je revenais,
souriant, il me racontait ses misères et, pour la forme je
le grondais un peu. Nous savions tous les deux qu’il recommencerait ,
avec ses yeux qui ne voyaient plus guère et ses doigts gros et
raides encore prêts à faire des miracles pour sauver leur
place dans la voiture .
Ils ont dix, douze ans, ils habitent la ville. Depuis hier, ils sont en vacances. En short, malgré les ronces, les guêpes, les vipères, ils sautent les fourrés et avec leur lancer ils pêchent mieux que moi. Sans épuisette, sans couteau, ils dégringolent les talus, empoignent les brochets qu’ils lancent sur le pré et tuent avec un bâton. Ils rentrent au village la bête à la ceinture. Avec mon harnachement, je suis un fossile. DANS LA PISCINE Elle vient tous les jours, elle fait vingt fois l’aller et retour et s’assoit au bout, le temps de retirer ses lunettes, s’essuyer les yeux et montrer ses dents comme un cheval agacé. Puis d’un coup de talon, elle repart sans dévier. Même les enfants se garent. DANS CETTE MAISON Dans cette maison pas plus mal qu'une autre, j'avais une femme, deux enfants, un chien et un tas d'ustensiles. La nuit, dans mon lit, je lisais Platon. Le jour, je travaillais, je courais et buvais. Je n'étais pas heureux. Pour changer la vie, un soir, je me suis sauvé avec ma valise, mon rasoir, sans embrasser personne. Le chien en est mort et les enfants sont devenus des hommes. Ils ont des tics qu'ils portent sans se plaindre. Je n'ai rien pour ma défense. CHARLES Charles était paysan. Il n'allait jamais au bistrot, ni en voyage, il ne fumait, il travaillait même le dimanche pour élever ses quatre enfants, restaurer sa maison et faire des économies. Depuis qu'il est en retraite, il lit le journal, fend du bois, jardine et le reste du temps il pense. À Pâques, pour la première fois, il est allé à la messe. Les gens s'étonnent. C'est pourtant bien simple. Toute sa vie, il a engrangé des biens. Il en reste un qu'il n'a pas : le paradis. Sage, à sa place, il écoute le prêtre qui en dispose. Gil Jouanard énonce : "Voilà la leçon que Godeau nous donne sans le vouloir: la poésie ça peut aussi servir à quelque chose. Certains jours on l’oublierait presque." *** Bibliographie: Javelines, poèmes, avant-dire de Paul Bay, Paris, la Tribune des poètes, 1953 Rictus, Paris, Revue Quo vadis, 1954 Myriella, avec un prélude de Louis de Gonzague-Frick, Niort, les Héliades, 1956 Vent de rien, Édition le Pain du pauvre, 1958 Les Mots difficiles, Gallimard, 1962 Les Foules prodigieuses, Chambelland, 1970 Le Fond des choses, Saint-Germain-des-Prés, 1974 À tête reposée, Éditions de la Mule, 1976 Quand les jours, La Corde Raide, 1979 Venez, je vous emmène, Éditions Ouvrières, 1979 Déjà, L'Apprentypographe, 1983 D'un monde à l'autre, Ipomée, 1984 Carton, Le Pavé, 1984 Votre vie m'intéresse, anthologie, Le dé bleu, 1985, rééd. 2000 C'est comme ça, Le dé bleu / Le Castor astral, 1988 Avec René Char, Le dé bleu, 1989 L'Œil écrit, Catalogue d'exposition, Bibliothèque municipale, Centre culturel de Niort, 1989 Après tout, Le dé bleu, 1991 Rencontre avec Georges L. Godeau, Catalogue d'exposition, Bibliothèque municipale d'Anglet, 1992 Le Bon Temps, NRF spécial G.-L. Godeau, 1994 On verra bien, Le dé bleu, 1995 ---------
N.B: J'ai utilisé
pour rédiger ces commentaires des extraits cueillis dans le
numéro 497 de " La nouvelle Revue Française "
Vous voulez nous envoyer vos commentaires ...
|
Créé le 1 mars 2002
A visionner avec Internet Explorer