UNE VIE, UN POÈTE


rencontre
avec un poète du monde








 
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André LAUDE, Fils des Rois
par

André CHENET

"Les mots que je dis sont aussi vrais que la mort
 et la pourriture
 Je mens sans doute mais à travers eux tu touches
 enfin l’azur."


André Laude  In “Un Temps à s’ouvrir les veines
Les Editeurs Français Réunis

"Je sais que j’ai payé mes dettes. Je suis blanc
comme neige"

 Idem






André Laude ne s’est jamais repenti de sa violence viscérale à peine retenue, ne s’est jamais répandu en jérémiades sur la place publique dont la mutité et la lâcheté ne cessent de m’épater, de me confondre ! Il creuse son chemin parmi nous, vers l’obscur qu’il éclaire de sa propre lumiËre intérieure pour en révéler les visions salvatrices que nos sociétés de dupes continuent d’étouffer sous les matelas sordides des apparences d’une sacro-sainte respectabilité déjà bien compromise, une respectabilité dont se délectent les truands et les goujats de la France dite d’en haut, ces blasonnés de la nécrose épidémique qui n’ont que le gris, la fadeur et le manque d’imagination policé de leurs administrations à nous opposer.
 
 D’errances en errances, André Laude a défriché les livres, les paysages, les terres de la camaraderie, les flambées d’amour fou autant que son propre esprit, jusqu’à la désillusion la plus dépouillée, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il se disait malade d’un monde où l’injustice frappe toujours plus fort les plus fragiles, les plus exposés ( pour s’en convaincre, il suffit seulement de se reporter aux "affaires" qui éclaboussent régulièrement les élus et autres magistrats du peuple lesquels n’en continuent pas moins, malgré des preuves accablantes, suivies dans le meilleur des cas de con-damnations douillettes, à parader et à exercer un pouvoir d’autant plus exorbitant qu’ils se retrouvent aujourd’hui à tous les postes clés de notre si vacillante démocratie…) il suffit de lire les comptes-rendus des jugements des tribunaux correctionnels pour réaliser le gouffre qui sépare les citoyens en fonction du milieu social, des origines familiales, pour se convaincre, disais-je, du simulacre des discours officiels qui ne font que renforcer l’angoisse et l’horreur répercutée par "la pensée unique globalisante" dans un pays qui, il n’y a pas si longtemps de cela, a connu les affres mortifères du fascisme, ( "Plus jamais je n’aimerai la poésie poétique/ tant qu’il y aura une lumière incarcérée…" in ´Vers le matin des cerises ª éd. St Germain des prés )
 
André Laude fut un révolté lucide, son maître mot : LE REFUS. Dans son œuvre, l’utopie et le lyrisme ré-accordent  très naturellement les contradictions dont il fut la proie  consciente, consentante. Un homme tel que lui ne pouvait exister que dans la protestation radicale  contre l’ordre de l’uniformisation ambiante, et tout l’art du poète consiste à transformer "le petit homme" en chacun de nous, en un être irradiant d’amour universel et de bonté. Il avait une foi incorruptible en l’anarchiste libertaire qui représentait à ses yeux le seul défi possible : la responsabilité de chaque homme, de chaque femme au sein de sa communauté, un regard ouvert et généreux vis-à-vis des autres. Il condamna au mépris définitif la Russie de Staline qui, en 36, a trahi la révolution espagnole, en faisant ou laissant assassiner des milliers d’anarchistes dont l’erreur fatale avait été de démontrer à la face du monde que les ouvriers pouvaient  s’autogérer et se passer des cadres étatiques; malgré cela, il n’a jamais renié les postulats essentiels de l’économie marxiste, lesquels ne furent jamais appliqués et qui demanderaient bien évidemment une réorientation structurelle, aussi s’intéressait-il au plus haut point à des théoriciens, sociologues, philosophes tels que Marcuse, Bloch, Debord…  ( "Le dernier mot de ce livre sera le mot : REFUS." in "LIBERTE Couleur D’HOMME"  éd. ENCRE , collection BRECHES, 1980 )
 
Sa poésie se nourrit aux sources juvéniles du surréalisme ( "Le péril des oiseaux/ Est si lancinant/ Que les nuages/ Remontent la tendresse végétale de mes yeux./ Alors les feuilles/ Deviennent les assaillants/ Sans pitié de cet univers/ De racines et de plumes./ Les vipÈres jouent à la mort/ Lovées dans les ruelles/ Mielleuses de l’été./ La salve du soleil me crucifie sur la pierre." in NOMADES DU SOLEIL, éd. paragraphes. ) et des révolutions martyres des XIXe (1848, commune) et XXe siècle ( bolchevique, espagnole, cubaine, sud américaines…). Jusqu’à la fin, il demeura fidèle à ses engagements : changer la vie, transformer le monde, telle fut la devise de ce prince dont la fière lignée était celle des poètes du monde entier. Comme André Breton il cherchait "L’or du Temps" et l’Amour sublime ( "Avec ces lèvres qui ne sont que douceur et/ tremblement/ Je t’épouse dans un tumulte de fleurs rouges." in Un Temps à s’ouvrir les veines. ) était cet or qu’aucun marchandage ne saurait avilir sous peine de démériter à jamais de soi-même et de la poésie. S’il s’écarta sans coup férir du mouvement surréaliste ("J’entends encore la voix de Breton affirmant : "mais vous êtes surréaliste, André" C’en était trop. Je pleurais presque dans l’écouteur… " in LIBERTE Couleur D’HOMME. ) c’est que, sans hostilité aucune, il n’était pas d’accord avec l’esthétisme et l’idéalisme qui animaient le groupe, lui, le militant libertaire. Il s’en explique dans son autobiographie fantasmée : " … J’étais passablement déchiré.  Mais j’aimais retrouver Breton et les autres à Saint-Cirq Lapopie, dans ce vieux village suspendu, comme soudain pétrifié dans son inévitable chute, au-dessus du Lot. Là, loin de Paris, l’amitié se réchauffait au doux soleil… " in LIBERTE Couleur D’HOMME. Il désirait ardemment que la poésie parle le langage de tous les hommes, qu’elle exprime immédiatement la lutte quotidienne pour la fraternité, qu’elle soit sauvage et barbare, il voulait  des mots qui font l’amour, accompagner "la marche des hommes libres nouée à la marche des astres."

En mai 68, il participa à l’insurrection de la rue, mais le cœur n’y était plus. Avant l’heure, il a dénoncé la mollesse bourgeoise d’une gauche qui était davantage aimantée par les prestiges du pouvoir qu’animée par la volonté d’accomplir les réformes et les transformations draconiennes qui s’imposaient pour, dans un premier temps, affaiblir et court-circuiter la main mise d’un capitalisme en plein essor, cette foire d’empoigne où un petit nombre s’enrichit sur le dos de ceux qui créent les richesses des nations. Le constat clairvoyant qu’il fit de ces années-là reste des plus pertinent et des plus accablant en ce qui concerne la situation planétaire. Dès 1978, il prévoyait la montée criminelle des intégrismes religieux ( "Il suffit aujourd’hui de tourner les yeux du côté de l’Iran en proie aux mollahs fanatisés et rétrogrades pour éprouver l’envie de vomir."  in LIBERTE Couleur D’HOMME. )
 
La haine des limites constituait pour lui le versant sombre du Grand Amour. Au capharnaüm de la pensée moderne aseptisée se complaisant d’élégances stylistiques et de "ratiocinations  médiatisantes" il opposait "beau d’innombrables blessures" sa nuit profonde, et inventait une  "voix qui coule comme une balle/ le long des veines jusqu’au centre de l’animal."

André Laude était un homme secret creusé par le regret, il portait son enfer dans sa chair comme promesse d’un paradis terrestre. Dès la fin des années 70, je croisais souvent son chemin nocturne dans le marais, rue des rosiers, rue Ste Croix de la Bretonnerie, rue Nicolas Flamel… Les épaules rentrées, les poches bourrées de journaux et de poèmes griffonnés à la hâte, il avançait en lui-même entre les reflets assassins qui traquaient chacun de ces pas dans le labyrinthe qui se refermait sur lui juste avant qu’il n’atteigne le point du jour. Ses rades, ses havres d’amitié s’appelaient alors La Tartine, Le Rendez-Vous des Amis, Le Fer à Cheval, Le Volcan du Roi de Sicile… Je me souviens d’un homme tenaillé par la faim inapaisable d’un monde plus juste, un homme qui endossait la responsabilité du meilleur et du pire, un homme couronné de poésie qui portait le deuil de la révolution fraternelle à laquelle il s’était voué jusqu’à l’incandescence. André Laude a connu le martyr de ceux qui ne renoncent jamais à la beauté de l’amour sur la terre. Il est mort les yeux ouverts, en écrivant. 

Le 24 juin 1995, sur Le Marché de la Poésie où je m’étais rendu dans le seul but de le retrouver (j’habitais Nice depuis 1991) la nouvelle de sa mort s’abattit sur ma nuque alors que je venais à peine d’arriver : il s’était effondré, dans une mansarde de la rue de Belleville, où il avait trouvé un refuge provisoire : sur sa table de travail son ultime poème, encadré par deux oiseaux tracés à l’encre rouge,
un adieu aussi bouleversant que définitif :
                                                                                                                                       

   Ne comptez pas sur moi
   je ne reviendrai jamais
   Je siège déjà là-haut
   parmi les Elus
   près des astres froids
 
   Ce que je quitte n’a pas de nom
   Ce qui m’attend n’en a pas non plus
   Du sombre au sombre j’ai fait
   un chemin de pèlerin
   Je m’éloigne totalement sans voix
   le vécu mille et mille fois
   m’a brisé, vaincu.
 
   Moi le fils des rois .
                                                                                                                   

***

André LAUDE né à Aulnay s/Bois en 1936, décédé à Paris le 24 juin 1995. « Depuis si longtemps, la terrible beauté de ce monde humilié le lacérait. Depuis si longtemps, la poésie institutionnelle le crucifiait. Depuis si longtemps, les « gens de lettres », de pouvoir et d’argent, fouillaient ses plaies. Depuis si longtemps, la chienne du monde et la noire camarde étaient accrochées à ses basques. Il est mort dans la misère et le désespoir, seul, un mois de juin, pendant le marché de la poésie, ce fut sa dernière élégance et son dernier signe. J’espère qu’il est mort avec une dernière insulte et un dernier cri d’amour à la bouche. » (extrait de l’hommage magnifique que lui a rendu son ami et camarade de combat le poète et chroniqueur Yann ORVEILLON dans « J’Y VAIS DE MON GUEULOIR » éd. Les Voleurs de feu, 1996).
Son « Œuvre poétique » est parue fin 2008 aux éditions La Différence. L’association des amis d’André Laude, présidée par Yann Orveillon, s’occupe actuellement à rassembler ses poèmes publiés dans des centaines de revues dont la plupart ont disparu aujourd’hui.

Bibliographie :

Poésie

* La Couleur végétale, édition Terre de Feu, collection "Poussière de soleils",1954
* Nomades du soleil, édition Paragraphes, Paris, 1955
* Pétales du chant, Les Cahiers de l'Orphéon, Aulnay-sous-Bois, 1956
* Entre le vide et l'illumination, Les Nouveaux Cahiers de Jeunesse, Bordeaux, 1960
* Dans ces ruines campe un homme blanc, Guy Chambelland, Paris, 1969
* Occitanie, premier cahier de revendications, itinéraire pour une libération, P.J. Oswald, 1972
* Le bleu de la nuit crie au secours, image de Corneille Subervie, Rodez, 1975
* Testament de Ravachol Plasma, 1975
* Free People, Bourg–Bourger, Luxembourg, 1976
* Vers le matin des cerises, éditions Saint-Germain-des-Prés, 1976
* Ticket de quai, Ivry, 1977
* 19 lettres brèves à Nora Nord, éd. le Verbe et l'empreinte, 1979
* Un temps à s'ouvrir les veines, Les Éditeurs français réunis, collection "Petite Sirène", Paris, 1979
* Comme une blessure rapprochée du soleil, La Pensée Sauvage, 1979
* La fleur parmi les ruines in Liberté couleur d'homme, édition Encre, collection "Brèches", Paris, 1980
* Riverains de la douleur, édition Verdier, Paris, 1981
* 53 Polonaises, illustré par Roman Cieslewicz, Actes Sud, 1982
* 'Roi nu roi mort, édition La Table rase, Cesson-la-forêt, 1983
* L’Œuvre de chair Écrits des Forges, 1988
* Mémoires fixes 1977–1987, Créteil, 1989
* Rituels 22, La Table Rase, Le Noroït, 1989
* Journaux de voyage, Albatroz, 1990, collection Poésie palmipède
* Feux, cris et diamants, Albatroz, 1993, collection Poésie palmipède
* Journal d'un voyage au Maroc, édition Fragments, Paris, 1993


Récits

* Joyeuse apocalypse, Stock, 1973

* Rue des Merguez, Plasma, 1979
* Liberté couleur d'homme, essai d'autobiographie fantasmée sur la terre et au ciel avec figures et masques, Encre, 1980, collection Brèches

Essais

* Le Petit livre rouge de la révolution sexuelle, avec Max Chaleil, Nouvelles éditions Debresse, 1969
* Corneille, le roi-image, éditions S.M.I., 1973, collection L'Art se raconte
* Le Surréalisme en cartes, Nathan, Paris, 1976
* Corneille d'aujourd'hui, édition Bergström (Suède), 1978
* Irina Ionesco, Bernard Letu, 1979

Ouvrages pour la jeunesse

* Éléfantaisies, comptines, illustrations de Béatrice Tanaka, L'École des loisirs, 1974, collection Chanterime
* Luli, phoque fugueur, La Télédition, 1975
* Les Aventures de Planti l'Ourson, La Télédition, 1975
* Fééries pour figurines et théière, La Télédition, 1975
* Le Brave Homme et l'arc-en-ciel, La Télédition, 1975
* Tato tête d'oeuf, La Télédition, 1975
* Ronge-Tout et Pelucheux, La Télédition, 1975
* Rhinocéros, La Télédition, 1975
* Ivan, Natacha et le samovar magique, La Télédition, 1975
* Animalphabet, couverture et illustrations de J. Ghin, éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977
* Joe Davila l'aigle, Casterman, 1980



Un peu plus :

Vidéo: Questions réponses à André Laude par Hocine Bouakkaz

Quelques poèmes

DANGER-POÉSIE : poèmes et des documents rares
sur ce site.




André Chenet
   pour Francopolis
  octobre 2009

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Créé le 1 mars 2002

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