UNE
VIE, UN POÈTE
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Roger Milliot - Un vrai poète
oublié Entre le 5
avril 1927 date de sa naissance au Creusot et sa mort volontaire
à Paris le 23 mars 1968, l’aventure terrestre du poète
Roger Milliot aura duré quarante et un ans.
Les années de jeunesse semblent avoir été rudes et rebelles, elles s’achèvent à dix huit ans par un service militaire où Milliot se retrouve combattant involontaire en Indochine dans une guerre qu’il abhorre. Il en revient avec des traumatismes physiques et psychologiques qui hypothèquent sa santé et le handicapent pour le reste de son existence. Après quelques années d’errance dans différentes régions de France il décide de se fixer à Montauban. Là, il essaie de s’installer comme décorateur-ensemblier, donne des cours de dessin et se tourne vers les arts plastiques pour tenter de réaliser son œuvre. La plus grande partie de ses aquarelles et lavis sont conservés au musée d’Ingres de Montauban. De temps à autre, dans sa recherche personnelle et artistique, irrésistiblement l’écriture s’impose, sans souci de publication. Ce n’est qu’après sa mort que deux de ses amies recueilleront les feuilles volantes de ses brouillons et que, sous l’impulsion de Félix-Marcel Castan son ami et biographe, l’unique recueil « Qui ? »verra le jour. Avec une première parution aux éditions Jean Subervie en 1968, puis celle complète et définitive de « Qui » - sans point d’interrogation - aux éditions Mostra del Larzac en 1973. A peine plus de cent pages constituent donc l’œuvre connue de cet homme taciturne, secret, précis et tragiquement lucide que fut Roger Milliot. Est-ce pour cela que l’œuvre et le poète sont tombés dans l’oubli ? Une belle présentation de Félix Castan dans les « Poètes maudits d’aujourd’hui » de Seghers, quelques lignes dans « l’Histoire de la poésie du 20ème siècle » de Robert Sabatier, à ma connaissance rien d’autre ne leur rend justice depuis des décennies. Cette brève présentation voudrait donner une nouvelle chance à la poésie de Roger Milliot qui, par bien des aspects m’apparaît exemplaire.
Car c’est bien
la dimension douloureuse qui retient le lecteur tout au fil du recueil.
Une douleur sans complaisance ni ostentation, comme toile de fond d’une
pensée sobre et structurée. Elle est prémonitoire
de cette fin qui amènera Milliot à se jeter dans la
Seine, face à la Chambre des députés symbole de la
Nation, entité anonyme qui l’avait obligé à faire
une guerre perdue d’avance et d’où il était revenu
à jamais handicapé.
Mais avant
d’en arriver à cette extrémité, durant plus de
vingt ans, dans la dignité, le courage et
l’intégrité, l’homme se sera battu pour tenter à
la fois de trouver un équilibre et construire une œuvre. Au fil
de ses écrits il va, sans relâche, interroger les ressorts
même de notre condition.
Le
poète nous interroge avec une rare acuité et va droit au
but. Il pose la problématique existentielle
dégagée de tout dogme, de toute transcendance. Dans ses
écrits d’une précision exemplaire, les mots sont au
service d’une pensée méthodique, très rigoureuse
qui pioche derrière l’apparence, se faisant l’écho d’une
recherche scientifique en pleine mutation car, dit Milliot «
à l’ère de la relativité et de la structure
atomique de la matière, le monde ne nous apparaît plus
aussi compact et rassurant, la science a ouvert une faille dans notre
notion du réel ». La pensée du poète,
soucieuse d’ordre et violemment matérialiste, ne s’embarrasse
pas d’approximations ni de mysticisme à bon marché. Pour
lui :
Le cadre
étant posé sans ambiguïté, ce plasticien de
formation expose d’autres tableaux, d’autres horizons qu’il brosse
magistralement en quelques lignes elliptiques.
Un cahier
entier s’étendant de 1958 à 1960 relate « la
chronique d’un amour central », comme l’indique justement
Félix Castan, à qui il faut se référer sans
cesse pour comprendre la chronologie de l’œuvre. Dans ces poèmes
Milliot se livre, s’ouvre à l’espoir du désir, au
mystère de la rencontre, à la beauté
féminine. Il enrichit sa palette, généralement si
économe, au point de lui donner des couleurs fines, presque
lyriques.
TES YEUX
Tes yeux sont deux matins Il faut bien deux matins Pour un si beau jour Que ton visage
GISANTE
Sous ce ciel renversé Plein d’astres épineux Ce coquillage étrange Echoué sur la plage Si blonde de ton ventre Fruit de mémoire marine, à sève d’algue déchirée Aux arêtes de mon désir.
TON SOURIRE
La périlleuse beauté Du givre sur un fil Au moindre souffle Il s’émiette A la moindre ardeur Il fond
Mais qui
pourra étancher sa soif viscérale d’absolu ?
«J’attends de toi plus que la vie » lance-t-il à
cette femme. Quel amour résiste à pareille tension ?
Soumis à de brusques accès dépressifs, toujours
dépendant d’une pension militaire d’ancien combattant
involontaire et incapable malgré ses tentatives d’insertion
professionnelle de s’en affranchir, le destin du poète semble
inexorablement scellé.
Désormais
il faut aborder l’ensemble de l’œuvre sous l’éclairage de l’acte
ultime, celui d’une résolution menée à son terme
et qui s’apparente à d’autres destins tragiques. On pense
à Léon Deubel (1879-1913), à Edmond Henri Crisinel
(1897-1948), à Francis Giauque (1934-1965), trois poètes
qui eux aussi ont choisi de se donner la mort par noyade.
La remarquable lucidité de Milliot, malgré son penchant à une discipline intérieure implacable bien connu de ceux qui tentent de contenir les crises de dépression, lui garde intacte l’aspiration à l’amitié, à l’effusion commune, à la simplicité fraternelle des choses et des êtres. Aussi doit-on approfondir chaque texte pour y découvrir le cri d’indignation, la contestation radicale ou la révolte irréductible. Lorsqu’il se donne la mort, en se jetant d’un pont en plein Paris, Roger Milliot a laissé en guise de testament ces deux derniers textes dans la continuité et la cohérence de l’œuvre. Par la perfection de la forme et la profondeur de la pensée ils atteignent à l’intemporalité et font de cette poésie une fidèle compagne d’une brûlante actualité.
Pour se procurer le recueil "Qui" de Roger Milliot,
![]() Les Éditions Cogagne 30 rue de la Banque - 82000 Montauban - courriel son site Bernard
Chotil
pour francopolis décembre 2008 recherche Gertrude Millaire Vous voulez nous envoyer vos commentaires ... |
Créé le 1 mars 2002
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