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ALEXANDRE
ROMANES
L'éveillé
Il
est des figures lumineuses dont l'existence est promesse. On se raconte
ces destinées simples et fabuleuses d'être pleinement
humaines. Celle d'Alexandre Romanès, artiste de cirque, tsigane
devenu poète, est de celles-là, étoile que j'ai
cueillie au détour d'un livre de Christian Bobin (Autoportrait
au radiateur je crois), retrouvée plus tard dans les mots
de Lydie Dattas (qui fut sa première femme) dans sa biographie
de Jean Genet ( La chaste vie de Jean Genet), et que je dépose
devant vous.
Acrobate, équilibriste, dompteur, Alexandre
Romanès descend d'une grande famille du cirque européen...
qu'il quittera à l'âge de vingt-cinq ans, révolté
par la forme que prend ce cirque, devenu au fil du temps une véritable
entreprise. Pendant une douzaine d'années, il survit en rempaillant
des chaises, montant des numéros d'équilibriste dans
les rues de Paris, jouant du luth (musique baroque et Renaissance).
Au bout de trois ans, il prend la route avec sa femme Délia,
gitane hongroise qui chante depuis l'enfance. Ensemble, ils fondent
le « Cirque Romanès » avec une trentaine de gitans
dont leurs cinq filles. Ils pratiquent un cirque épuré
: pas de machineries, d'animaux, de musiques stridentes, mais des
numéros accompagnés par un ensemble musical des Balkans
et la voix chaude et envoûtante de Délia Romanès.
Alexandre se lie d'amitié avec des poètes : parmis les
plus connus Jean Genet, Jean Grosjean, et Christian Bobin qui l'incite
à publier ses écrits.
Pourquoi j'ai écrit ? L'écriture
n'est pas une tradition gitane. La poésie me semblait trop
haute pour moi, inaccessible, et puis la vie je voulais la vivre,
pas l'écrire. Je m'étais fait une raison, mais pas le
ciel. Lentement, au rythme des saisons qui passent, j'ai rempli un
cahier d'écolier. Ce que je sais, c'est qu'il y a des poètes
que j'admire. Peut-être que je n'ai pas supporté de les
voir passer. J'ai voulu être l'un des leurs.
En 2000, paraît Un peuple de promeneurs, aux éditions
Le temps qu'il fait, sorte de chronique sur le peuple tsigane écrit
dans une langue simple, directe, drôle et grave à la
fois. En 2004 le poète prend le pas sur le conteur, sans s'éloigner
pour autant de cette langue sans fioriture qui le caractérise
et dans laquelle Jean Grosjean reconnaît « la rude franchise
des vieux prophètes ». Il publie son premier recueil
de poèmes chez Gallimard, avec une préface de Jean Grosjean
: « Seront-elles perdues ces paroles lancées à
la cantonade ? Nées de l'abondance du coeur elles n'ont pas
les moisissures du subconscient. Inspirées par les instants
de l'existence elles ne s'encombrent pas d'enjolivures. Elles ne s'attardent
pas à bricoler des aveux qui d'ailleurs nous ennuieraient.
Alexandre ne veut que vivre avec ses colères et ses tendresses,
avec sa fierté et ses abandons, avec ses bravades et son détachement.
»
Rien ne prédestinait Alexandre Romanès à entrer
ainsi dans le monde des Lettres. Il n'existe quasiment pas de littérature
gitane, la lecture n'est pas dans leur tradition.
« Tu n'es qu'un gitan ! »
C'est ce qu'ils pensent.
Je n'aurais peut-être jamais dû écrire.
J'ai trahi, j'avais tellement de choses à dire.
Je demande pardon à mon père,
à ma mère et à toute ma race.
Cette urgence de dire, on la retrouve partout. Il avoue lire peu («
Le premier livre qui m'a plu, c'est la Bible. Depuis, je le lis de
temps en temps. Il y a une vérité, une force que je
ne trouve pas ailleurs »), s'être ennuyé à
l'école où il est resté peu de temps. On devine
l'exigence du gitan pour qui la lecture doit être aussi forte
que la vie. Il écrit à la fois sans nuance et sans calcul,
s'étonnant que l'ambition soit le moteur des sociétés
: « Ce qui ne compte pas, il faut se battre pour l'avoir
», évoque la mort, Dieu, ses filles. Ses paroles sont
des paroles d'éveil, adressées à tout homme :
Pauvre être humain,
ta vie, comme la brindille
emportée par l'oiseau,
comme la poignée de sable
qu'on jette.
Si ton coeur n'est pas royal,
tu vas où ?
Paroles qui renvoient chacun à l'épaisseur de sa propre
vie.
Vous pouvez consulter le site du cirque Romanès http://www.cirqueromanes.com/
Sur http://www.desyeuxpourvoir.net/netsitespip/spip.php?article196
vous trouverez un interview d'Alexandre Romanès et un enregistrement
d'une lecture par lui-même de quelques-uns de ses poèmes.
Sabine Chagnaud
pour Francopolis
juin 2007
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