Une traversée de mots

au goût de Noël...








 


Quelques douceurs des membres du Comité
   

     

      en ce temps spécial     !  

           

2005     Jean-Marc La Frenière 

UN VIOLON DE PAPIER

Des cerises, des fleuves, des oiseaux me poussent à la gorge avec la pomme d’Adam. Il y a toute l’histoire du monde dans un seul poil de barbe, l’avenir dans un œuf, une étoile qui meurt dans chaque grain de poussière. Je cogne à coups de mots sur un silence à mille oreilles. À vivre sans adresse j’aurai vieilli moins vite. On ne met pas en laisse le cheval des caresses. Quand un enfant déchire son violon de papier, j’en garde quelques notes au bout de mon crayon, avec les yeux morts des poupées qu’on trahit, les vieilles pommes blessées par l’orgueil d’un ver, les billes abandonnées pour des pièces de monnaie. Il n’y a plus personne qui partage le pain. On vend même ses larmes pour une heure de gloire.

Il n’y a plus personne qui veut être un nuage, un brin d’herbe, une pluie. Plus personne ne rêve d’être un fleuve, une vigne, un lézard. On roule en tombeaux de plus en plus rapides. Il n’y a plus de gares mais des trains pour nulle part. À défaut d’espérance je compte en chantant les poils de mon chat. Les oreilles pleines de fleurs, la langue pleine d’amour, je caresse du doigt la tête chauve des mots. Les deux chiens de mes yeux font japper leurs prunelles.

Je rêve simplement d’une ronde sans fin, d’une encre blanche de lumière, d’une gravitation d’êtres comme un retour de vague. J’ai appris à parler par les caresses d’une mère, les craquements des berçantes. Je m’accroche à la vie comme des concombres s’accrochent aux cailloux pour sortir du jardin. Je guette l’absolu derrière le bruit des portes, un froissement d’ailes, un souffle de chimère, mille animaux marchant vers l’étable du cœur.

Quand je marche pieds nus mes pieds sont des oreilles. Ils écoutent la terre. Les soirs d’orage je laisse les farfadets dormir sur ma langue. La mer habille le squelette du sable avec la peau de l’eau, la peau de l’air et celle du soleil. La ligne d’horizon est une gare lointaine, une flèche de silex taillée en pointe, une glissoire sans fin pour les rêves d’enfant. Il m’arrive de parler en langue de fourmi, en pouce de bébé, en laine ou en galet. Il m’arrive de dormir en boule de neige ou en cuillère. Nos yeux se touchent dans les choses qu’ils voient. Les pains se parlent d’une bouche à l’autre. Le vide parfois sert de passerelle au plein.

Quand les mots retournent au silence, ils se cognent aux meubles et renversent les verres. Les bouts de phrase sont des gestes en suspens, des baisers qu’on retient. Les bouts de phrase cherchent la main qui manque. Ils poussent le regard au-delà de nous-mêmes. L’encre sur la page se répand dans la tête et pousse sur la vie. Ce n’est pas la distance qui sépare les hommes, c’est le centre qui manque. Je questionne la mort pour que la vie réponde.

L’enfant quand il dessine retient le soleil à deux mains pour ne pas qu’il s’efface. Il tient le cerf-volant pour ne pas qu’il s’envole. Quand j’écris je m’accroche à l’espoir. Je suis comme le trèfle cherchant la chance même en hiver, les petites feuilles frileuses faisant signe au soleil. Quand le soleil tombe, quand la lune se tait, quand les nuages boudent, quand le silence de le neige enlève son bâillon et les montagnes descendent, apportez vos gazous, vos timbales, un violon de papier, du hautbois, du basson, apportez vos couleurs et vos rebecs d’oiseaux, la musique parfois tient le décor debout.





Jean-Marc La Frenière  





                  






Créé le 1 mars 2002

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