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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

 

 

Mai-Juin 2020

 

 

Dans le Jura

 

Par Robert Hainard

(*)

 

 

 

Le Jura ! À mon horizon, muraille bleue dans la poudre d’or du couchant, ou mystérieusement modelé dans ses croupes, ses gorges, ses rochers et ses forêts par les rayons rouges et indécis de l’aurore, il est un appel. Ses ravines sauvages, ses sapins noirs au tronc d’argent m’ont comblé et rempli d’un appétit douloureux et insatisfait. Je savais qu’il y avait encore des ours il y a un demi-siècle. Comme cette gorge oblique, ses bancs de rocher étagés, les grands sapins crevassés au tronc bossué, gris de lichens, me semblaient réclamer la présence velue, circonspecte, le pas des grosses pattes feutrées !

  

Je suivais la trace des sangliers dans la neige d’hiver recouvrant les branches d’une mate blancheur, par-dessus les sombres aiguilles des sapins et des ifs, le vert luisant des houx, les feuilles rousses des fayards ; dans la neige fondante des jours chauds, couleur d’ivoire, translucide où les ombres à peine bleues des branchages s’enfoncent parmi le grain cristallin. Je ne les vis pas souvent : par un temps de grande gelée, les bêtes rousses montant en lacets, mangeant avec bruit les feuilles de ronces, et la laie noire qui vint ensuite, souffla, grogna et les entraîna plus haut, dans la neige épaisse où elles traçaient une tranchée étroite et profonde. Tout noirs dans l’éclat sourd du clair de lune, traversant, en file espacée, l’herbe brune et gelée, entre les taches de neige, le museau très long, hauts et marchant sur leurs pieds pointus avec une roide légèreté. Ou encore descendant tout droit de la montagne, trottant, grognant, le dernier au galop, pour se perdre sous bois dans le froissement des feuilles mortes. J’ai passé des nuits au haut d’un banc de rochers, les pieds calés par un petit buisson, à regarder au fond de la gorge les ombres des arbres tourner sur la neige soufrée par la lune, espérant voir sortir le chat sauvage du trou, là au pied de l’autre paroi, où j’avais vu entrer ses traces.

 

 

Extrait de Nature et mécanisme (1946)

in Les forêts sauvages, Fondation Hainard, Editions Hesse, 2008

 

 

(*) Robert Hainard (1906-1999) est un artiste, naturaliste suisse. Peintre, sculpteur, écrivain, il est un précurseur de l’écologie. Il a publié une multitude d’ouvrages sur la nature et la vie sauvage, basée sur l’observation directe, notamment Mamifères sauvages d’Europe (1949) avec des croquis pris sur le vif.  Il a inventé un nouveau procédé de gravure sur bois en 1927.

 

 

 

 

 

Créaphonie : Robert Hainard

recherche François Minod

Francopolis, mai-juin 2020

 

 

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Créé le 1 mars 2002