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yves Heurté
| Envoyé dimanche 27 juin 2004 - 23h44: | |
D'abord, un constat: je suis un vieux de la vieille de la poésie et des sites mais en suivant depuis peu de temps ce forum de francopolis, je peux me porter à faux contre ceux qui prétendent que sur le Net c'est de la sous littérature qui émergerait. Ici, je n'ai relevé aucun texte qui ne mérite d'être publié en n'importe quelle revue papier. La différence c'est que beaucoup ne le seraient pas et surtout s'ils l'étaient le seraient sans retour. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille négliger les formes d'édition traditionnelles. Je serais particulièrement mal placé pour le prétendre. ********************************** « Etre aimé c’est aimer être » Ces quelques mots obsédaient le jeune homme depuis qu’il les avait trouvés dans sa boite aux lettres calligraphiés en arabesques, par grandes envolées sur un carton anonyme. Qui les avait écrits ? Pour lui ? Vraiment ? Mais pourquoi lui ? Les premiers temps, il passait rarement une soirée sans relire ce message troublant. Bientôt, pas une seule heure ne s’écoula sans qu’il n’imagine la main qui avait osé écrire « Etre aimé c’est aimer être » Car ce mot était pour lui, rien que pour lui, la chose ne faisait plus de doute. Pour un message aussi essentiel on ne se trompe pas de porte. Après quelques mois, dès que ces simples mots se faisaient échos dans sa tête, tous les autres se brouillaient. Bien sûr, il sentit le danger. Il tenta même de faire une place d’honneur à ces cinq mots pour mieux les enfermer. L’obsession se renforçant, il voulut rendre banales ces huit syllabes pour les glisser sans bruit dans les poubelles du passé. Peine perdue. Ils remontaient comme un noyé refait surface. Il tenta d’en ricaner en public, de les prononcer drôlement, comme font les gosses. Bref de se les ridiculiser. On commença à le regarder de travers. Personne n’aime les gens qui parlent seuls. Ils portent malheur. Il tenta naïvement de remettre le carton dans sa boite aux lettres avec l’espoir fou qu’il disparaîtrait comme il était venu. Mais plus il se battait contre son obsession, plus elle devenaient sa drogue, toujours disponible et atrocement gratuite et nécessaire. Il finit par être tellement certain qu’on lui avait jeté un sort qu’il demanda l’aide d’un exorciste catholique. Ce vieux brave homme de curé à la retraite, un des derniers à exercer cette occupation de concierge de l’enfer, resta bien sûr impuissant et ne sut que lui conseiller de se soigner. Pour fuir cette malédiction, l’homme se jeta dans les aventures. Toutes sauf l’amour. Etre aimé aurait été sa fin. Il se serait ancré dans un « aimer être ». Il vécut quelques mois seul avec sa phrase, sa formule damnée, et finit pour s’en débarrasser de se débarrasser de sa propre existence. Il y avait une fois une petite fille qui s’amusait à écrire sur des cartons des phrases copiées sur son livre de lecture. Elle les mettait dans les boites aux lettres comme d’autres une bouteille à la mer et rêvait qu’en les lisant quelqu’un penserait à elle. ************ (De méditations portatives) *************
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