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Yves
| Envoyé mercredi 06 octobre 2004 - 19h08: | |
Je reviens. Oh la la ! Quelle richesse sur ce forum. Je vais prendre mon temps pour tout lire. En attendant je vous annonce la naissance d'un enfant naturel avec Leezie, qui m'a raconté cette merveilleuse réelle histoire et m'a donné la permission de la dire ici à ma manière : * * Saint Honorat est une vieille chapelle, petit toit pointu au-dessus de pâturages fauves, rôtis par le soleil, qui baignent comme pour se rafraîchir dans une forêt de chênes. Ce soir là nous aurions dû nous produire, Jeanne au violoncelle et moi au clavecin, sur une grande scène dont peu importe le nom. Un obscur manager nous avait décommandés sans la moindre excuse au dernier moment. Jeanne est un brin folle et moi un peu raisonnable, cela dit pour ne pas vous étonner de la suite. Donc six heures sonnaient au clocher du village où nous nous étions réfugiés quand elle m’a dit tout net : - On pourrait jouer à Saint Honorat ? - Là-haut ? Mais pour qui ? - Pour nous et les oiseaux. J’ai ri. - Et le clavecin ? - A nous deux, on pourra le monter . Vous nous voyez, la grande Jeanne et moi dont l’embonpoint s’honore par devant et par derrière, trébuchant avec un clavecin à bout de bras sur la traîtrise des cailloux, à travers les ronces et les genévriers ? Bien sûr ce serait poétique et délicieusement délirant, mais quand même…Je tente de belles et bonnes objections à ma violoncelliste comme on explique à un gosse que pour Noël il n’aura pas un vrai camion de pompiers. Mais Jeanne ne desserre pas les dents. La blessure de ce concert annulé est plus profonde que je ne l’aurais pensé. Inutile de discuter. - Bien. On y va. Tranquille. Elle ne montera pas sur plus de cent mètres. J’ai vu juste. Jeanne ne fait pas dix pas sans s’arrêter pour souffler. On va tout laisser tomber et je vais délicatement triompher quand une voix nous apostrophe : - Où vous allez comme ça ? - A Saint Honorat. - Quoi faire ? - De la musique. - De la… L’homme est un berger. Il devait nous surveiller depuis nos premiers pas. On le sait qu’on était ridicules, bonhomme. Mais ce qu’on ne saura jamais c’est pourquoi tu as enlevé son bout de clavecin des mains de Jeanne, et en route à trois pour Saint Honorat, plus ton chien qui ouvrait la marche. - Pour qui vous allez jouer là-haut ? - Je…nous…pour la montagne. L’homme a haussé les épaules. - Bon. C’est ainsi qu’au coucher du soleil on a débarqué ensemble à la chapelle : le clavecin, le violoncelle, le berger, Jeanne le chien et moi. On était tous d’un autre monde, à moins que ce vrai monde soit en nous ? On n’a pas eu le temps de remercier que l’homme dégringolait la pente vers ses bêtes. Trop c’était trop. Après une histoire pareille allez donc jouer du Bach ! On s’est reposés en mangeant quelques gâteaux de foire pour retarder le moment où trop seuls ici bas, on allait jouer pour le ciel noir. On a rassemblé des cierges et on s’est installé dans le vide de l’âme. Oui c’était bien cela que nous ressentions : le vide angoissant d’un jeu inutile. On plaquait le premier accord quand la porte a grincé et notre berger est entré. Il s’est assis tranquille. Il était beau et ridicule, son chien sur les genoux. Il avait dû sortir le costume de ses noces. Ne manquait même pas la cravate. Il nous a dit : - Faudrait patienter un moment. Jeanne est sortie fumer une cigarette mais elle n’avait pas eu le temps de l’allumer qu’elle me revenait en larmes. - Viens. Dehors, des lumières sortaient de partout. Du bois comme des sentiers. Montant ou descendant, toutes convergeaient vers Saint Honorat. Les gens lentement remplissaient la chapelle avec femmes et enfants. Tout ce qui était berger à la ronde était venu là, endimanché pour nous faire honneur. Ils s’asseyaient et attendaient sans un mot. Jeanne se cachait dans l’ombre pour ne plus pleurer sur son violoncelle et je n’étais pas loin d’en faire autant sur mon clavier. Je ne sais plus si on a bien joué, si c’était selon les canons de la salle Pleyel, mais jamais je n’ai autant senti qu’on donnait la musique. A la fin, il y a eu un long silence puis une voix rocailleuse est sortie de l’ombre : - Manquait que l’étoile filante. Tous sont partis d’un grand rire. Croyez-moi si vous voulez mais ils en ont même oublié d’applaudir, ces sauvages !
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Leezie
| Envoyé jeudi 07 octobre 2004 - 12h31: | |
oui Yves, la place des Francophones est vraiment un endroit exceptionnel pour la richesse des contributions ! suis très émue que tu aies pris ainsi une anecdote chère à mon souvenir c'était à l'époque où je jouais les saltimbanques avec le grand musicien marseillais qu'est André Gabriel... pendant sept ans nous avons ainsi parcouru l'Europe et même plus loin, et des histoires de ce genre, c'étaient toutes les semaines au moins :-)) et même parfois très farfelues, comme par exemple le jour où on s'est retrouvés perdus sur un chemin de terre dans une montagne italienne, la voiture pleine à craquer de...phonographes, et avec un seul berger qui ne parlait pas italien mais seulement gavot pour nous guider (depuis je me méfie des cartes italiennes, ouarf, j'espère qu'il n'y pas de piémontais dans la salle) (t'en raconterai d'autres) |
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