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jml
Envoyé jeudi 14 octobre 2004 - 22h30:   

LES HOMMES-LIVRES (d'après Bradbury et Truffaut)

à Mikla



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Il n'y a plus d'été
ni d'hiver, ni d'automne.
Un immense hinterland
a détruit les saisons
laissant sur les décombres
une poussière de neige
encrassée de gasoil,
de grésil et d'amiante.
De vieux troncs flottent encore
dans les odeurs d'essence,
de poudre et de fumée.
On en fera demain
des matraques ou des tombes.
Il n'y a plus de lit.
On dort à moitié saoul
debout dans un trellis,
le cœur sur la gâchette
et la haine à la bouche.
Il n'y a plus d'oiseau
mais des plumes de sang
répandant la vérole,
la peste et l'ignorance.
Quelques bêtes survivent
se nourrissant d'espoir
que les hommes ont troqué
pour le délire de Dieu
abandonnant l'amour
au profit des vendeurs.
Les secondes marchent au pas
délaissant l'infini
pour le zéro des bourses.
Les enfants virtuels
ne rêvent plus mais zappent,
prenant pour le réel
une forêt d'icônes.

Quelques fous dans les grottes
redessinent le monde
avec du sang, des os.
Ils se souviennent encore
du frisson des caresses,
du vent sur la peau nue
et du goût des framboises.

Il n'y a plus de silence
mais des vrombissements.
Il n'y a plus de mots
mais des chiffres et des codes.
On n'ouvre plus les yeux,
on les branche à l'écran.
On ne tend plus la main,
on la mord en cachette
en souvenir des loups
moins cruels qu'un banquier.

Quelques fous dans les grottes
se récitent des livres.
Il y a un René Char
qui vient d'avoir dix ans.
Il récite par cœur
Fureur et Mystère.
Homère n'est plus aveugle
et Dante parle anglais.
Shakespeare est une femme
accompagnée d'enfants.
Ils savent à eux six
toute l'œuvre du maître.
Cendrars est un Chinois
baroudeur et sans bras.
Quand il récite la Plose
du Tlansibélien
même les murs sourient.
Quelques oiseaux reviennent
pour ponctuer les phrases
de la virgule d'une aile.
Un chien sans queue
bat la cadence avec une patte,
oubliant quand il jappe
de suivre les paroles.

Il n'y a plus de couleurs
pour éveiller les yeux
mais des beiges hôpital,
du gris bleu métallique
et le blond des veaux d'or.
Il n'y a plus d'étoiles.
On a zébré le ciel
d'antennes paraboliques.
On vend la mer en poudre,
par vagues déshydratées.

Quelques fous dans les grottes
ramassent les épaves.
Le vieux qui sait Jules Verne
jusqu'à la dernière page
rêve même au Nautilus.
L'Idiot est un idiot
qui sait lire le braille.
Il caresse le chien
comme on écrit des vers.
Si les choses ont une âme,
c'est Ponge qui l'éponge.
Celui qui le récite
a le ton de l'emploi,
une voix de varlope
et des clous dans les mots.
Il manque quelques livres,
des Arlequins, des Sylvies,
des BHL en vrac
et tous les Guy Descars.
Qui se soucie des cons
quand la bêtise règne.
Ceux qui savent la bible
ou lisent le Coran
sont encore à se battre.

On ne fait plus l'amour,
on suce des hormones.
Des images ont fait place
à la chair des mots.
On n'habite plus son corps
mais on loue ses grimaces,
ses répliques, son rôle.

Quelques fous dans les grottes
ont retrouvé le rire.
On fêtera ce soir
le Cantique des Cantiques.
On a trouvé sa voix
dans un ancien bordel
transformé en chapelle.
On attend pour trinquer
Soupault qui rêve debout,
Artaud et sa folie,
Jabès, Jouve, Juarez
par ordre alphabétique.
On cherche René Crevel
et ses poumons crevés,
Roger Munier, Réjean Ducharme
qui se cachent dans l'autre.
Cioran flirte avec Beauvoir.
Sartre est en débardeur
qui lit Goethe dans le texte
avé l'assent du sud.

Il faudra bien un jour
remettre à la bonne page
ces livres ambulants.
On brûle jusqu'aux arbres
pour effacer le papier.
On va jusqu'à détruire
les carrières d'ardoise
et les mines de crayons.
Dans cette ville emmurée,
tout ne bouge qu'à l'écran.
On repasse en play-back
les mêmes vieux discours.
Allah est grand,
in God we trust,
everybody else pay cash.
Les puissants, les banquiers
ont fini par s'entendre
pour écraser les autres.
Histrions de l'histoire
on en fait des écrous
et de la chair à canon.
Le pape baise les Tarmacs
et ne donne qu'aux riches.

Quelques fous dans les grottes
survivent aux slogans
en récitant des vers
de Tzara, de Cadou
ou bien d'Apollinaire.

Il n'y a plus de fleur,
de rivière ou de source,
rien que des trous de bombes
envahis par les rats,
le Dow Jones et la dette.
Il n'y a plus de larmes
dans les saules pleureurs
mais des micros d'appoint
pour crier des injures.

Quelques fous dans les grottes
s'agenouillent en chantant
et baisent l'herbe verte
avant de la manger.
Ils ont lu tous les livres
qui parlent de l'amour.
Il y a encore des îles
où pousse l'herbe verte,
semant ses graines rares
dans le mâchefer rouillé
et ce retour de l'herbe
annonce la parole.

Quelques fous dans les grottes
se préparent à sortir.
Leur barbe pleine de mots
et les cheveux au vent.

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opaline
Envoyé vendredi 15 octobre 2004 - 11h44:   

Il est plus facile de détruire que de construire!
La haine et la jalousie sont les fléaux de toutes les civilisations...
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fourmi
Envoyé mercredi 22 décembre 2004 - 21h08:   

Crois-tu ?
n'as tu jamais rien construit Opaline?
je suis certaine que si
mais peut être que quelqu'un avoulu donner un coup de pied dans tes chateaux de sable ?
amitiés

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