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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.09.2004 au 10.01.2005 » Un petit conte « précédent Suivant »

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yv
Envoyé vendredi 22 octobre 2004 - 00h36:   

]LES CISEAUX ROUGES]

Une fois encore, la terre trembla. Mais Peter Peterson avait l’habitude. Les volcans sortent ici de terre comme des taupinières du démon. Énormes ou tout petits, ils poussent un jour dans un champ et quelques jours après, là où galopaient les chevaux s’élève une montagne de cendres et de laves. Ce qui n’est pas toundra gorgée d’eau est de feu. Aucun lieu au monde n’a autant de flammes rugissant pour autant de cataractes.
Donc la terre trembla, le chien se tapit dans sa niche de pierres, les poneys se serrèrent flanc contre flanc et Peter rêva d’avoir la même chance que son grand-père Johanson qui avait vu surgir, presque sous sa barque, la fumée qui annonçait une île nouvelle. Ah, si Peter s’était douté de ce qui l’attendait!
Quand la terre eut repris son aplomb, il entendit un sifflement dans les airs et vit passer un petit éclair rouge tandis qu’un objet roulait un peu plus loin. Il courut vers l’endroit et n’y trouva qu’une paire de ciseaux, rouges eux aussi. Vous me direz que rouges ou noirs, les ciseaux n’ont rien à faire dans ce désert vert. Mais le garçon rêvait tellement qu’il ne s’étonnait plus de rien.
Il siffla le chien, dispersa les poulains et seulement après, regarda les ciseaux. Jamais il n’en avait vu de pareillement affûtés. Cela mis à part, ils n’avaient rien que de très ordinaire. Il les tourna vers le ciel et leur fit donner deux petits coups pour entendre chanter leurs lames.
Un lambeau bleu tomba comme une feuille morte. D’où venait-il encore celui-là? Peter s’étonna de sa finesse, de sa douceur et de sa couleur aussi pure que l’azur.
L’azur? Le garçon leva encore ses ciseaux pour y découper la forme d’un renne. A peine avait-il fait le tour de la dernière corne qu’un renne bleu tombait sur l’herbe. S’il n’avait été de cette couleur, s’il n’avait eu cette corne complètement ratée, on aurait dit une bête comme les autres. Il regarda Peterson d’un air étonné et se mit à brouter. Du coup, l’enfant dirigea ses ciseaux vers la prairie. Il y découpa un chien vert qui se mit aussitôt aux trousse du renne bleu. Dans la même journée, quelques petits coups de ciseaux rouges peuplèrent sa solitude de canards de terre, de cygnes en rocher, et de vaches découpées dans un lac. Le tout plus ou moins bien réussi.
Plus amusante encore fut la construction de son palais. Il cisailla des blocs dans la falaise de Thingvellir aussi facilement qu’on travaille du carton et les empila en murailles. A grands coups de ciseaux, il y ouvrit des fenêtres. Ce n’était pas un château bien bâti que celui de Peterson. Il allait plutôt de guingois avec ses clochers pas très droits et ses tours biscornues, mais cette fantaisie ne jurait pas dans ce paysage où tout est folle invention du feu et de la terre.
Deux jours de neige et les ciseaux rouges purent habiller les murs du château avec d’immenses oriflammes soyeux qui claquaient au vent.
Dans le même blanc, Peter se tailla des draps et des chemises comme jamais au pays des glaces personne n’en avait eues. Il riait comme un fou à chaque découpage sans se demander à quoi le monde bizarre qu’il faisait vivre pouvait bien servir. Entre deux fantaisies taillées aux ciseaux, il continuait à donner des pains de sel à ses bêtes, aux rennes bleus comme aux moutons blancs.
Ce pâturage sous la falaise se contenta d’être une merveille tant que personne ne vint à passer. Mais les premiers voyageurs qui traversèrent le Thingvellir se frottèrent les yeux en voyant trotter des petites vaches vertes de la taille d’un chat au milieu de canards transparents mais gros comme des autruches qui traînaient des charrettes bricolées avec des bouts de lac. A peine virent-ils Peterson sortir de ce décor, habillé comme un nabab, qu’ils s’enfuirent au galop. Le dernier n’avait pas fait dix pas que son cheval glissa et se cassa la patte. Peterson vint tranquillement. Il mesura la patte, avisa un nuage qui lui semblait convenir et aussitôt y découpa une autre patte neuve qui, à peine tombée du ciel, vint remplacer la mauvaise pour que l’homme puisse repartir au galop vers Reykjavik, la capitale.
Leur récit à peine terminé et malgré la forme bizarre de la jambe du cheval, on interna les cavaliers chez les fous. Mais ils en furent tirés, dix jours plus tard, avec des excuses par le ministre de la justice lui même. Il revenait de la pêche au saumon à Thingvellir quand en chemin, il avait rencontré un coq mauve qui pondait un oeuf bleu. Il avait été tellement malade de peur de voir un coq pondre un oeuf, et de cette couleur, que Peter lui avait découpé une Jeep pour lui permettre de revenir chez lui. Chacun put le voir traverser la capitale dans une voiture d’herbe dont la portière gauche arborait encore deux trous de taupe. Comme tout ce que découpait Peterson, bien entendu, la voiture marchait.
Du coup, le chef du gouvernement voulut se rendre compte par lui même des étranges événements qui se passaient là--haut. Il trouva le petit berger très occupé à découper des sapins dans la falaise. Cette forêt dans une île sans arbre était du meilleur effet.
Et le grand chef de s’écrier:
- Peterson, cher Peterson, l’Islande regrette de t’avoir calomnié. Quelle fierté de te compter parmi les descendants des nobles vikings!
- Hourra, cria Peterson. Et après?
- Après? dit l’autre, tout décontenancé. Tes ciseaux pourraient-ils, en y mettant le temps, nous découper un porte-avions géant?
- Mes ciseaux, je les garde.
- Mais laisse-moi donc finir! Je te propose dans mon gouvernement, le poste de ministre des pâturages.
- Je suis ministre de mes ciseaux. Adieu.
Et Peterson en fit claquer les lames si près de la face du Président que l’homme s’affola à la pensée que le garçon puisse s’amuser à découper un papillon aux dépens de ses oreilles.
Mais Peter n’avait pas de ces méchancetés. Mais comme le Président se montrait de plus en plus menaçant, il se contenta de découper dans un nuage une cage qui tomba sur l’homme. Puis il continua tranquillement à reboiser le coin avec ses sapins de pierre.
Quand la garde personnelle trouva le chef de l’État dans sa prison, le gros homme hurla des menaces qui rebondirent jusqu’au sommet de la falaise. Il en retomba, en guise de réponse, une mouette de lune assez grande pour écraser un cheval. Les soldats encerclèrent, sur l’ordre du Président, la falaise au sommet de laquelle Peterson s’était réfugié.
Ordre à lui de jeter ses ciseaux. Mais Peter découpa dans le ciel du couchant d’immenses flammes rouges, et tous se débandèrent comme des lapins pour ne pas périr rôtis.
On laissa le berger s’amuser en paix avec ses ciseaux jusqu’à l’été. Alors débarquèrent dans les moindres ports d’Islande de mystérieux hommes en gabardine qui parlaient toutes les langues. Ils demandaient: « Où est ce Peter Peterson? » et signaient des chèques de toutes les banques du monde pour avoir sur lui le moindre renseignement. L’île autrefois si tranquille devint un nid d’espions parce qu’on enfant dans la toundra, sous son volcan, pouvait découper des porte-avions avec un petit ciseau rouge.
Plutôt que d’être pris avec ses ciseaux rouges, qui pouvaient faire des merveilles mais aussi des monstres de guerre, par une nuit de pleine lune, Peter quitta son Thingvellir, traversa la Grande Faille et descendit vers la mer glacée. Sur son passage, par habitude, il découpa encore quelques oiseaux mais dans des matériaux aussi tristes que son âme: dans des laves noires, des cendres grises et des murs de suie des sécheries de saumons. De longs vols noirs le suivirent jusqu’au rivage.
Il découpa dans le sable une longue passerelle qu’il poussa jusqu’à l’île de Surtsey où un jeune volcan rugissait dans la mer. Ses ciseaux découpèrent dans la lave encore rouge une barque et avant qu’elle se solidifie, il les y noya. Puis il poussa le bateau vers le large et tristement le vit partir vers les barrières de glace du Grand Ouest.
Il repassa la passerelle et remonta sur son pâturage.
Dès qu’ils le virent revenir sans ses ciseaux, la animaux découpés dans le ciel et les arbres de pierre moururent l’un après l’autre. Seul reste encore le château baroque qui se dresse là-haut, sur le Thingvellir, jusqu’à la fin des temps.
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Ali
Envoyé vendredi 22 octobre 2004 - 01h04:   

De merveilleux ciseaux dans un très beau et fin conte!! ça me rappelle le conte berbère "mon couteau fait tout"(tajenwit iw tneqq tessidir).merci Yv
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YV
Envoyé vendredi 22 octobre 2004 - 23h59:   

Merci, Ali. J'aimerais t'écrire au sujet de ton histoire merveilleuse de l'âne. Pourrais-tu m'envoyer perso ton e-mail accompagné du rappel de cette histoire en copié collé ou en fichier ?

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