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s*
| Envoyé samedi 01 janvier 2005 - 14h35: | |
-- La forêt en ruban de Moebius-- (Paraspara mix) 1. J'ai peur. Je suis le drap des gens et quelqu'un se retourne en moi. Plusieurs personnes se réveillent au même moment, dans la même forêt. Le soleil va sauter un jour entier, je le sais, il va sauter par-dessus moi. On était hier. On sera demain. Pour trouver aujourd'hui, je fais du bruit avec quelques branches que je trouve à terre. Je les frotte longuement. Il ne vient pas de feu, mais une langue de terre en forme d'hommes. Ils viennent par familles entières, portent des grands sacs. Ils parlent de fruits et de saisons. Je ne les écoute pas, je n'ai pas faim de moi. 2. Je cours, je trébuche sur des racines, je perds un peu de ma substance qui s'accroche aux arbres. Quelqu'un habite ici, toujours au milieu. Il me suit partout au centre de moi. Il est habillé de feuilles et de mousse. Il porte des marques sur son corps, des dessins sensibles au vent. Il chante des sons qui soulèvent des blocs, répartissent les feuilles en cheveux verts, pompent la sève et la rendent rouge. Je sors ma clé. Je montre ma carte. Je tape des codes. Tu ris et tu me les enlèves. Je suis le drap des gens et quelqu'un me secoue à la fenêtre. 3. Je porte des traces de griffes sur ma joue. Je suis le drap des gens et quelqu'un me déchire. Je te demande ce qui s'est passé cette nuit. Tes cheveux me giflent et ta chaleur me guérit. Un rocher feule, se ramasse. Il va bondir. Je ne sais pas ce qu'il veut manger. Je crois que ce n'est pas moi, je ne dure pas assez longtemps pour lui et sa salive de millions d'années. Le temps passe vite, si vite que je vois le mouvement des montagnes qui marchent vers la mer et rapetissent. J'énumère mes codes, pose les doigts sur les touches qu'il faut, j'égrène mon chapelet de plastique, je prie dans la coque du temps. Les chiffres eux mêmes deviennent vivants. Ils ont des poils et des plumes, ils transpirent et montent aux arbres. Ils chantent et les montagnes se font légères et dansent. Quelque chose se met à fondre au centre de moi. 4. Des gens sont suspendus dans les arbres, attachés aux branches par les cheveux. Je les reconnais. Je les ai perdus en courant tout à l'heure. Ils attendent de tomber de l'arbre pour vivre à nouveau. Des chants s'approchent, des gens arrivent avec des grands sacs. Je viens à ta rencontre. Tu me dis que c'est une vieille histoire qui se renouvelle. Je demande l'indicatif, le mot de passe, la combinaison qui ouvre les mécanismes, fait tourner les engrenages. Le métal fond et les chiffres acrochés aux arbres se mettent à chanter les noms de ceux qui arrivent. Quelqu'un vient nous récolter. Je suis le drap des gens et les fruits tombent et me remplissent. 01-01-2005 |
   
Leezie
| Envoyé samedi 01 janvier 2005 - 15h03: | |
Stéphane, quelques mots par rapport à ton poème, non pas du tout une analyse de la beauté qu'il y a dedans, mais juste une résonnance, quelque chose qui m'accompagnait quand je t'ai lu... j'essaie d'apprendre une langue étrangère en ce moment, langue où les temps sont extrêmement bizarres : d'après ce que j'essaie péniblement de comprendre, on traduit le futur par une forme au présent, et le présent sert très souvent à indiquer le passé :-)) Bref, en travaillant cette langue en ce début d'après midi, au bout d'un moment j'ai commencé à m'emmêler complètement les pinceaux, je ne savais plus d'où j'étais qui, ni quand j'étais comment et cette impression très forte, je la re-ressens quand je lis le début de ton texte et c'est vrai que cette perte de direction que j'ai ressentie (deux fois, donc) eh bien c'est intéressant, comme un soudain souffle de liberté une autre résonnance, c'est la phrase "Tes cheveux me giflent et ta chaleur me guérit. " ça m'évoque quelque chose de très lointain et profond, ce sentiment que la même chose qui nous blesse peut aussi nous réconforter c'est aussi très fort pour moi ce passage
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AR_d_N
| Envoyé samedi 01 janvier 2005 - 15h55: | |
"Ils attendent de tomber de l'arbre pour vivre à nouveau." j'ai l'impression d'en être arrivé là actuellement...avec en prime la peur de tomber "dans de beaux draps" Leezie, ton histoire de conjugaison étrange étrangère me rappelle certains commentaires sur la langue polynésienne : le passé, on connaît, donc on l'a devant soi, le futur, on l'ignore, donc c'est comme si on l'avait derrière soi est-ce caricatural peut-être que Stéphane en sait quelque chose |
   
s*
| Envoyé samedi 01 janvier 2005 - 16h09: | |
>d'après ce que j'essaie péniblement de comprendre, on traduit le >futur par une forme au présent, et le présent sert très >souvent à >indiquer le passé En russe aussi, une des deux formes de futur est un présent perfectif et la concordance des temps dans une phrase n'existe pas comme en français. On dit couramment des phrases comme "si tu feras ceci", etc... J'ai vu un truc assez drôle, au sujet d'une autre langue, le qechua, langue des Andes parlée par 8 millions de personnes (non non, je ne l'étudie pas,celle là, je suis tombé là-dessus parce que je m'intéresse aux langues) et j'en profite pour vous poser à tous une colle de 1er janvier : En quechua, la phrase française "Monsieur Huayllacahuaca est un charpentier" peut se traduire par soit 'Tayta Huayllacahuaca karpintiruM" soit "Tayta Huayllacahuaca karpintiruS". Les deux traductions, avec leur lettre finale pour seule et unique différence, n'ont pourtant pas tout à fait le même sens. Quelle est la nuance entre les deux ?
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AR_d_N
| Envoyé samedi 01 janvier 2005 - 16h52: | |
je tenterais est charpentier/fait de la charpente de son état/exerce réellement évidemment sans aucune idée sur le S et le M respectivement ( sauf si analogie avec le latin peu probable je suppose !!!) |
   
Rémy
| Envoyé vendredi 07 janvier 2005 - 17h21: | |
On ne peut pas deviner, S* - les nuances qu'il est possible d'apporter à la phrase "M. X est charpentier" sont infinies, il est impossible de savoir lesquelles ont été trouvées utiles dans la civilisation quechua et laquelle correspond à cette variation précise... Les variations autour de la phrase "M. X est charpentier" portent en français plutôt sur le verbe : M. X était/sera/serait/voudrait être/est bien forcé d'être/devrait être/est en train d'agir en tant que/a l'air d'être charpentier ; comme le verbe n'est apparemment pas explicité en quechua, on peut conjecturer que cette variation du qualificatif porte une de ces significations. En imaginant la vie d'un village dans les Andes, on peut imaginer une distiction du genre M. X est un charpentier parmi plein d'autres / M. X est le charpentier en titre (celui du village, ou celui qui est particulièrement responsable du chantier). En s'inspirant du latin, qui n'utilise pas d'articles dans le cas général, mais qui en présente une grande variété pour ajouter des nuances, on peut envisager que cette variation porte sur l'éloignement (ce charpentier-ci / ce charpentier-là), sur le fait de connaître ou pas cette personne (le charpentier habituel / un charpentier quelconque), ou sur une appréciation (un bon / un mauvais charpentier). Si on interprète cette variation comme une déclinaison, on envisagera : M. X appartient à la confédération des charpentiers / M. X exerce l'activité de charpentier (en français : M. X est docteur en médecine / M. X est médecin). Ouc. ouc. ouc., ad libitum... En googlant, on trouve que l'une des formes signifie "M. X est charpentier" et l'autre "M. X serait charpentier" (conditionnel journalistique). C'est une construction très habituelle en français, mais l'article à l'origine de l'info est en anglais, où il n'existe pas de construction grammaticale simple pour cette nuance, donc l'auteur trouve l'idée surprenante. Ceci met le doigt sur un des graves problèmes du monopole américain sur la recherche scientifique : l'anglais étant une langue dégénérée (un créole, presque sans genres, sans conjugaisons, sans accords, sans concordance des temps, sans particules, sans signes diacritiques, etc.), les linguistes de langue maternelle anglaise trouvent tout bizarre et oublient des trucs archifondamentaux dans leurs modèles. J'en ai lu qui s'étonnaient que l'adjectif possessif puisse varier en fonction de l'objet possédé, ou qui envisageaient de programmer un analyseur grammatical sans s'intéresser au genre des mots ! C'est aussi l'auteur anglophone de l'article qui a rajouté le "un" - en anglais on dit "M. X is a carpenter", on utilise l'article pour les attributions de métiers. Il ne faut pas reprendre cet ajout : il ne fait partie ni du français (on dit "M. X est charpentier") ni du quechua d'origine ! C'est un pur artefact. |
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