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jml
| Envoyé mercredi 05 janvier 2005 - 00h40: | |
PASSAGES À VIDE On se souvient rarement du premier mot. Peut-être du premier crayon et du premier cahier. Je me souviens encore des chansons de ma mère lorsque j'étais fœtus. C'est l'appel du dehors que je n'entendais pas. On se souvient rarement du premier cri et du premier silence. Je me souviens encore des pas d'un hanneton sur une brindille morte, des yeux d'un écureuil, du chant d'un nénuphar. J'ai oublié depuis mon premier billet de banque, les règles de morale, les grilles d'analyse et les conseils de Freud. J'ai dessiné des larmes aux moustaches d'un chat, un sourire à la nuit, des grimaces aux horloges. Le nez collé aux vitres, j'étais l'idiot de la classe. Mon rêve crissait plus fort que la craie du tableau. Dessinant sur le bois un bateau de pirates, j'appareillais pour vrai. Dans son ventre tout chaud, je décrivais déjà les gestes de ma mère. Dans les passages à vide les souvenirs parfois peuvent servir de pont. Tous les baisers donnés fécondent ceux qu'on donne et ceux qu'on veut donner. La même salive unit le langage des hommes. On a tous en jachère un même jardin secret que l'on croit seul connaître. Les yeux dans le désert recréent leur propre mer. Humilité, humour, tendresse, dérision, amour et solitude nous servent de balises et nous font exister. Une multitude de points forment une image unique où chacun met ses rides, ses sourires et ses yeux. C'est en nous que l'espace fait surgir sa faune, sa floraison, son sens. La fable et la réalité s'interpellent en chacun. Lorsque j'ai vu la mer pour la première fois, c'est une marée d'encre qui souleva ma voix. J'ai pris pour un oiseau un galet de ruisseau, un arbre pour ami. J'ai gardé pour la route des vagues dans mes pas. Je suis frère d'un loup et parcours avec lui une forêt cousine. La tendresse s'éprend de l'ombre et la neige ravaude l'écorce des érables. Dans l'alphabet des branches les mésanges raturent le bruit des bûcherons. Il y a une éclaircie au milieu des sapins où les chevreuils viennent boire. Sur les terres vides du cœur il pousse des framboises et l'espérance s'accroche au pelage des bêtes. C'est un peu le passage qui mène vers l'été. Dans le tintement des clefs ce n'est jamais la porte que l'on entend s'ouvrir. Ce n'est jamais la vie qu'on enseigne à l'école, la tendresse qu'on imprime à la une. Même ce qui ne bouge pas veut parfois s'arrêter. L'homme est le seul à penser qu'il avance. Mais que faire d'autre ? Quand on recule, la mort aussi recule. La main nue d'un enfant qui étire ses doigts reste encore le premier geste vers la liberté. Le baiser entrouvre les lèvres du bonheur. On voit mieux ce qui nous manque que ce qu'on a en trop. L'air parfois se brise contre le mur. On ne retrouve au fond du verre que des éclats de soif. Chaque mot est un coin du monde. Je voyage beaucoup. Tous les lieux sont bons pour écrire, sauf peut-être la table de travail. Être souvent perdu c'est retrouver la route, le passage, la voix. La vie écrite à la sauvette dans la maigre lumière d'un taudis de passage explose quelque fois en mille symphonies. Le plaisir existe en dépit des éteignoirs, des aléas, des souffrances et des gérants de banque. Chaque matin la lumière met une nouvelle robe et les arbres à musique s'accordent avec le vent. Dans un passage à vide les tapis volants montrent la corde. Quelques oiseaux s'y pendent. La ligne d'horizon n'a pas pris de soleil. La mer rentre bredouille dans les yeux des marins. Le sommeil roule en boule une pelote de vie qui ne sait pas rêver. On érige des ruines dans les yeux des enfants. Vivre ou mourir deviennent frères dans les mains des soldats. Tout Dieu est un banquier qui réclame ses morts. Quitter l'enfer, ce n'est pas encore trouver le ciel. On n'en sort jamais seul, ni même à deux. Tant qu'un seul homme a faim tous les pains crient famine. Il n'y a plus de mot pour dire camarade sans passer pour un con. Il n'y a plus de pont en accord avec l'eau.
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passmot
| Envoyé dimanche 09 janvier 2005 - 00h53: | |
Celui là il est superbe de chez superbe...J'ajouterais même « Grandiose » |
   
AR_d_N
| Envoyé dimanche 09 janvier 2005 - 19h56: | |
comme un souffle qui fait l'un-vent-taire du vide pour mieux chercher à s'emplir... je respire mieux après un txt comme ça... merci, B+...alain |
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