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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 11.01.2005 au 31.03.2005 » Quelques miettes « précédent Suivant »

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jml
Envoyé vendredi 04 mars 2005 - 16h26:   

QUELQUES MIETTES

Ne croyez pas ceux qui donnent la parole, ce sont vos mots qu’ils ont volés. La vie est un puzzle éparpillé. Il n’y a plus assez d’espace pour tout remettre en place. Il vient un temps où l’on n’ajoute plus qu’une ombre au tableau. Trop d’araignées s’arrachent les fils sur la toile du monde. L’échelle des idées monte à hauteur d’homme, celle des images va plus haut. Je ne veux pas mourir en habit noir empesé comme un chiffre mais rester cette poussière d’images dans l’œil borgne du temps, provoquer l’espérance, propager la lumière dans l’usine à chimères. Dans le journal intime du temps, je retraduis les larmes en langage d’espoir. Écrire c’est ramasser quelques miettes, les mots cachés sur le revers des médailles, recoller le sablier des faux pas.

Devant l’écran, y a-t-il encore des amis imaginaires, un seul enfant pleurant la blessure d’un loup, une fillette penchée sur le cœur des poupées ? Ce matin à défaut d’images, je n’ai qu’un paysage aux yeux immenses où je me cherche comme Alice. Dans une poignée terre tous les germes sont là, tous les parfums du monde. Dans une goutte de pluie on entrevoit la mer. Un peu de ciel s’allume au ventre des lucioles. La terre est si petite mais la route si longue. Un pain n’est qu’une miette dans la faim des enfants.

L’éternité n’est pas plus longue que cet instant qui tombe, le temps d’ouvrir la bouche, d’entrebâiller la porte, de dire ouf ou salut. L’infini n’est pas plus vaste que le rêve. On sent dans le fumier l’odeur des étoiles. Il y a dans la boue des galaxies complètes. Le monde se reflète sur la pointe d’un ongle, d’une poignée de marne aux racines blanches de l’eau, l’informe qui prend forme, l’image qui grossit sous la levure des mots. La graine au ventre de la terre devient la terre entière. L’océan dans une goutte porte la soif des étoiles. Je tiens l’espace entre mes dents, entre mes mots, entre deux sons.

Le ciel est si pesant, l’espoir doit voler à portée des fusils. Les oiseaux meurent de peur entre la chevrotine et les chimères de plomb, les cheminées d’usine et l’oxyde de carbone. À qui appartient la terre sinon aux bêtes, aux arbres, aux insectes, à l’œil bouddhique des hiboux. Ni les plantes ni les bêtes ne se dérobent aux saisons.
La pluie relève ses épaules pendant les nuits d’orage. Le lichen amadoue la mesquinerie du froid. Il faut trouver notre chaleur dans la neige

Qu’il s’agisse de colère, de flamme, de tendresse ou de sève étranglée dans les nœuds des racines, les histoires anciennes se mêlent au présent. Elles ajoutent à l’humus des sédiments nouveaux, pages cornées, feuilles séchées, oiseaux boitant de l’aile sous la coquille du ciel. Des bêtes fabuleuses ont laissé leur ivoire à la patience du lichen.. Les violons naissent dans la sève des arbres comme les papillons dans un cocon. Les pierres des églises viennent d’une peur ancienne. Les touches du clavier prolongent le silex. Le fantôme du pain galope sans farine sur un cheval d’avoine. Les mots de froid se vêtent d’un silence de laine.

Au milieu de la nuit les yeux voient à tâtons. Ils cherchent dans les coins l’image inoccupée. Les couleurs se reposent dans le lit du silence avec la fleur de peau qui rêve de parfums. J’avance dans la vie sans idée de retour. Je crois à l’herbe et à la neige, aux abeilles et aux pierres. Nous dépendons du cœur comme le miel du choix des fleurs. Le désir est une pomme éclaboussant les joues. Sous la neige et la rouille, je broute l’herbe des mots sur les collines sonores. Sur les sables coiffés de varechs opulents, je construis un radeau avec du bois d’épave. Deux pierres suffisent encore pour allumer le feu. Il suffit d’un mouton dans son abri de laine,, de la langue du sel sur les dents de la mer, du moindre amour d’insecte, du fou rire des feuilles pour avancer d’un pas. Il suffit d’un brin d’herbe, de deux trous dans un os, d’une guitare sensible aux sentiments du bois pour faire une musique. Il suffit d’un verre d’eau, d’une pouliche en colère, du bras d’une poupée qui sert de hochet, de l’herbe qui repousse dans la bouche des morts pour croire au lendemain. Chaque matin je m’éveille tout heureux d’être en vie. Je salue le soleil en congédiant le temps. Je ramasse une à une les miettes de l’espoir. Je bois chaque minute comme une éternité.

4 mars 2005


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aar
Envoyé vendredi 04 mars 2005 - 19h18:   

salut Jean-Marc,
ton écriture me fait penser à Reverdy. Vous avez tous les deux quelque chose de semblable. Vous avez un talent poétique quasi divin.
Tous les deux aussi vous avez refermé la porte à l'espoir. Vous vous êtes enfermés dans votre intérieur.
La différenc est que Reverdy avait calfeutré la porte pour que l'espoir ne passe pas. Mais toi, tu gardes la porte entre-ouverte, e la fenêtre aussi, et la châtière aussi.
Mais Reverdy, dans son monde calfeutré, dans sa tristesse incommensurable, a écrit 15.000 fois le même poème pour raconter les 150.000 jours de sa vie. Et même aujourd'hui, dans sa mort bien confortable il doit continuer à écrire les même brillants poèmes sur sa morne vie.
Reverdy a seulement oublié que la poésie c'est aussi la joie, l'espoir, les oranges sur la table, les rires dans les yeux ....
La poésie, ça pourrait être aussi, humour, dérision de son petit moi, de son existencialisme rassurant et...
La poésie c'est aussi s'abstraire, c'est rigoler avec les copains, donner des coups de pieds dans son mur,

... enfin tout cela pourrait

Je ne sais pas si j'aurais du dire des choses comme cela. J'ai peut-être fait une bourde, une arrogance, une faute de lèse-personnalité,

je ne sais pas... mais c'est sorti, ma mégentillesse légendaire. Mais je préfère les clous de girofles au laudanum, les airelles aux framboises.

et je ne voudrais pas que tu deviennes Reverdy bis.

ber



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lafourmi
Envoyé vendredi 04 mars 2005 - 19h22:   

moi j'aime bien ce que tu dis à JML et j'aime bien Reverdy
mais JML semble avoir trouvé le chemin du bonheur de la part que nous avons tous à notre portée et surtout ceux qui sont poètes.
bises**à tous les deux
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PhiliPPe
Envoyé vendredi 04 mars 2005 - 20h21:   

Depuis que je lis JMl, Je ne vois pas de rapport avec Reverdy.
JML a son propre "univers".
Pour moi, la poésie c’est la magie de l’émotion instantanée que le poète ressent pour le donner à son lecteur potentiel. Ce n'est pas un calcul, ça passe par lui avant de passer par le le lecteur potentiel ou celui qu'il s'imagine.
Qu’il réussisse ou pas, ce n'est pas son problème, il a déjà reçu la plus grande satisfaction quand il a écrit son poème.
Maintenant chaque poète ressens les choses à sa façon.
Si je devais faire une anthologie de poésie contemporaine, c'est à dire d'aujourd'hui, JML serait dedans.
D'ailleurs j'en ferais peut-être une de ses jours, pourquoi pas ?
J'y pense et j'ai déjà une idée. Ce qui serait peut-être douloureux pour moi. Ce serait de faire
un tri mais si chacun en faire une ? ce serait peut-être moins douloureux.
A suivre...


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Jordy
Envoyé samedi 05 mars 2005 - 12h38:   

JML a un talent absolument sensationnel, et jamais démenti. Sa prose poétique est superbe, sans doute en partie grâce à la multitude d'hexamètres qui donnent un balancement continuel, un peu comme Rob.
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PhiliPPE
Envoyé dimanche 06 mars 2005 - 10h38:   

Dans mon anthologie des poètes d'aujourd'hui,(c'est à dire des poètes qui osent afficher leur poème dans des lieux public sans qu'il soit question de contrat ou de droit d'auteur), je mettrais d'hors et déjà pour commencer, des textes de JML, des textes d'Hélène (que j'ai découvert il n'y pas longtemps), des textes de Christiane. D'autres poèmes d'autre poètes viendraient comme des poèmes de Philippe Nollet, d'Eric Dubois, de Mireille Disdero, Serge Marlot, Laurent Fels et Parviz Abolgassemi. Cela fera déjà une cinquantaine de pages.

Je vous propose ce poème Parviz Ablgassemi.Je le trouve très bon.
C'est un poème de premier Janvier.

- Face à l’aube de l’an 2005


Le fruit est aveugle
C’est l’arbre qui voit.
René Char



S’ouvrir à la Lumière enflamme le désir de Beauté.

Des âges anciens nous traînons sur nos paupières
Des poussières de séparation, de possession et de haine ;
Tendre nos mains les rendront plus belles, et nous plus libres.


A l’autre côté de l’horizon, les regards en attente des blessés,
Les visages des enfants meurtris par l’absence de beauté
Nous font voir la distance s’étirant entre nos cœurs.


Entrer dans les ténèbres crée des souffrances sans bornes,
Au matin de certains jours le soleil est caché des regards ;
Une brise de bonté, un appel de fraternité et tout brille.


Alors les bras ouverts, les peines quittent les visages,
Les fontaines offrent leur force de vie pour ouvrir l’espace,
Verdure et fruits : regard embelli de tous les êtres : nouveau paysage.


Antique rêve de l’Homme éveillé : fenêtres ouvertes sur l’horizon.
Devenons un bouquet d’espoir pour fortifier notre Maison Natale
Et nous verrons l’univers solaire sur tous les visages !

Parviz Abolgassemi
Premier Janvier 2005


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Leezie
Envoyé dimanche 06 mars 2005 - 14h49:   

Bonjour Philippe, je suis très émue à ta citation de Parviz Abolgassemi et d'accord pleinement pour le mettre dans cette fameuse anthologie de gens qui ne font pas qu'écrire la poésie du bout de leurs mains, mais aussi qui peinent pour que les autres soient connus et lus, et pour que le monde soit meilleur
... Et qui continuent à choisir encore et encore le parti de l'humain, alors que ce n'est tellement pas évident !

un jour, à la fin novembre de cette année, j'ai rencontré cet homme, près de Marseille, dans un salon du livre

je ne sais pas, je venais de subir un choc, j'étais sous le coup d'une émotion violente, et je considère comme un signe que ce soit justement cette silhouette qui se soit encadrée dans mon champ de vision, très troublé à cet instant
Plus qu’une silhouette, un corps très grand et coloré et musical, voilà comment je l’ai ressenti.
Il s’ennuyait derrière son petit comptoir de bois sombre, dans un coin. Il venait y présenter ses productions artisanales, ses œuvres mais aussi, beaucoup d’œuvres d’autres auteurs persans, iraniens qu’il éditait lui-même dans son village de Fuveau (un très beau village provençal perché sur les montagnes).

Et surtout, ses propres traductions d’Omar Quayam, que je lui ai achetées.

Nous avons parlé longtemps, je ne sais pas du tout ce qui l’a poussé à discuter si longtemps avec moi, car il était très peu disert, le sentiment peut-être que j’étais dans cet état très particulier et très rare où l’on peut enfin recevoir quelque chose de vrai. Nous avons parlé de ses cours de persan à la fac d’Aix, de musique, de violoncelle, de poésie.

Voilà…
on peut lui acheter directement ses recueils à
Parviz Abolgassemi, les Rives-Hautes, 13170 Fuveau
(Ils sont ridiculement bon marché)

Et un autre poème de lui :


I
Combien de fois le Caillou a-t-il questionné la Roche
Sur sa grandeur immense, dans l'œil du ciel
Pour entendre sa propre histoire?
De la Mer Antique, de l'Intérieure,
L'immobilité contenant la mémoire des vagues
S'élance à travers la spire du vent.
La mort disposant de ses ailes multiples
S'infiltre dans le corps de la pensée
Ouvrant les fenêtres ensablées des yeux.

II
A l'instant même le courage s'habille d'Oiseau
Enfantant l'impossible temps des sommeils,
Seul le bec d'Oiseau est un repère.
Au-delà de toute hésitation,
Au cœur d'un brouillard armé de ténèbres
L'Oiseau, usant de la ténacité, invente sa Route
Dans une tornade dégivrée de l'hiver
Où se croisent l'immensité du vol et l'immobilité,
Le ciel se souvient des battements d'ailes d'hirondelles.

III
La pulpe dévorée des nuits en mutation
Ensemence le partage entre l'Eau et l'été,
Le lieu de rencontre des vignes et du ciel.
La transhumance des murmures déplie
La mémoire des miracles inspirée par le Feu
Esprit inventif de l'Air et de l'Homme.
Alors au cœur étouffé des murs de silence,
La végétation avec la rigueur des gouttes
Découvre son visage descellé de Lumière.



© Parviz Abolgassemi: extrait de _Émergence de la Lumière_, deuxième édition juillet 2001, éd. de poésies RAC.



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Leezie
Envoyé dimanche 06 mars 2005 - 14h52:   

désolée Jean Marc d'avoir interféré sur Abolgassemi dans le fil de ton texte
mais toi, lui et quelques rares sont vraiment de la même race, je pense donc qu'on peut les mélanger :-)
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pHILIppE
Envoyé dimanche 06 mars 2005 - 16h23:   

Merci Leezie, pour ce poème.
Dans la rubrique "poésie du monde".
J'ai mis il y a un moment son adresse où on peut se procurer ses traductions et ses poèmes.
C'est un poète du pays du soleil.

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