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jml
| Envoyé mercredi 16 mars 2005 - 18h15: | |
DANS LES VERTIGES DU BAL Les feuilles sont des girouettes. Elles tournent et changent d’avis au moindre vent qui passe. Elles répètent au soleil ce que la lune a dit. J’écris comme un nageur mais l’eau préfère aux livres le gazouillis des vagues. J’écris comme une porte qui grince dans la nuit. Les oiseaux sur un fil n’écoutent que le vent. La fleur ouvre sa robe pour attirer la pluie et l’abeille en profite pour téter l’espérance. Le temps s’endort dans un rêve et nous n’avons plus d’âge. Le vieux chandail que tu portais, je le recouds de mots, de peine et de silence. Les soirs de pleine lune, j’en habille mon ombre. Chibou lit dans ses manches et ses mailles perdues. Il me traduit l’odeur avec sa queue de loup. Je ne tire pas les cartes ni même du fusil. Je traîne la patte dans les ruisseaux. Je m’attarde aux cailloux, aux nénuphars, aux fées. Il m’arrive de confondre les lupins avec des lutins. Je laisse sur le sol des traces de voyelles. Entre les fils électriques et la mémoire des roches, je déchiffre les pas. Il faut parfois parler avec ses mains, le bois d’un violoncelle à la sève sonore, les ailes d’un papillon dans les vertiges du bal, des images d’enfant qui rient en se cachant. Les mots sont si fragiles et si durs à la fois. J’écris par canaillerie comme un oiseau moqueur, une caille éperdue dans un couloir de banque, un caillou de couleur sur les marelles du rêve, une vague égarée sur le comptoir des gares. L’école trop souvent fait d’un enfant debout un homme à genoux. J’ai croisé l’absolu dans les pages d’un livre. Je l’ai revu parfois au détour d’un sentier, dans le fond d’une ruelle, dans les yeux d’un clochard, les cicatrices du monde, les jurons du silence, dans un ruisseau de laine réchauffant ses cailloux. Le printemps ramène sa cantate d’odeurs. Je veux mêler ma voix à ce concert floral, faire tinter les mots comme des campanules, faire chanter la pierre sous l’archet des cigales, faire voler des oiseaux de chaleur dans les tunnels de glace et broder des pétales sur une robe de cendre. Les nuages reviennent porter l’eau nécessaire et le soleil enlève sa sourdine. Le vent offre ses pattes à caresser. La chaleur s’installe comme un oiseau dans l’arbre. La soif de la terre quitte sa peau de reptile. Chaque fleur, chaque insecte, chaque fétu de paille insiste pour chanter. Comme les bêtes sauvages, je me cache pour pleurer. J’habite une maison d’images calfeutrée d’espérance. La couleur des mots y donne aux corridors un horizon plus vaste. Les mains se froissent quelque fois comme des gestes en papier. Des étoiles se cachent sous les paupières des nuages. Pour ne plus trahir les ruisseaux, j’ai laissé le vin blanc dans ma mémoire d’ivrogne. Il faut passer de la vitesse du jour à la lenteur du temps. On n’écrit jamais que sur l’eau comme le vent caresse un arbre. L ‘eau gèle, les feuilles tombent. On n’entend plus marcher nos pas. Nous sommes des mésanges grappillant l’absolu. Le temps mendie l’aumône au seuil de la mémoire. De la rumeur des abeilles à l’haleine des loups, je m’appuie sur des bâtons de paroles pour avancer plus loin. J’emmêle avec des mots le dehors au dedans. Déjà sur les tableaux d’école j’écrivais hors du cadre. Derrière le décor, j’arpente encore le chemin des nuages. Je ne fais pas d’adieux. La vie n’est qu’une escale. Assoiffé d’absolu je vais de source en source au cœur du labyrinthe. J’ouvre un comptoir d’images dans l’œil du cyclone. Quand le soleil se couche la bouche du volcan redessine ses lèvres. J’écris avec le vent. J’écris avec le ventre. J’écris avec le cœur le sang de la mémoire sur la cagoule du temps. Je sème dans l’errance des gouttes pour la soif, des graines pour la faim, des miettes pour le pain. Je sème dans le fleuve des vagues pour la barque, du sable pour les îles. C’est ma vie que je lance au commun des mortels d’une rive à l’autre. S’il ne reste d’hier que du papier journal, j’en ferai un arbre au milieu du désert. 16 mars 2005
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Hélène
| Envoyé mercredi 16 mars 2005 - 19h59: | |
je n'arrive pas à admettre que tu puisses écrire dans l'instant sans retravailler tes mots se mettent en place comme ça libres comme "J’écris avec le vent. J’écris avec le ventre. " cette phrase se suffit à elle même à cause du choix des mots .. qui se sont choisis tout seuls alors? pour tomber sur ta page ce qu'ils t'aiment ! |
   
mohand
| Envoyé vendredi 18 mars 2005 - 01h03: | |
Excellente description d'une experience. c'est serein etcalme aussi. Merci jml maitre de la métaphore. |
   
lilas
| Envoyé samedi 19 mars 2005 - 23h22: | |
J'admire ce verbe qui se pense en jaillissant ! |
   
aar
| Envoyé mardi 22 mars 2005 - 13h47: | |
Après le bal, Reverdy (poèmes en prose 1915) J’ai peut-être mis au vestiaire plus que mes habits. Je m’avance, allégé, avec trop d’assurance et quelqu’un dans la salle a remarqué mes pas. Les rayons sont pleins de danseuses. Je tourne, je tourne sans rien voir dans les flots de rayons des lampes électriques et je marche sur tant de pieds et d’autres meurtrissent les miens. Quel bal, quelle fête ! j’ai trouvé toutes les femmes belles, tous mes désirs volent vers tous ces yeux. Tant qu’à duré l’orchestre j’ai tourné des talons sur mon parquet ciré, plein d’émotion, et mes bras sont rompus d’avoir supporté tant de proies qu’il a fallu lâcher. Mais l’orchestre s’est tu, les lampes éteintes ont laissé alourdir la fatigue. Au vestiaire, on m’a rendu un chaud manteau contre le gel, mais le reste ? Il me manque pourtant quelque chose. Je suis seul et je ne puis lutter contre le froid. *** |
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