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jml
Envoyé dimanche 27 mars 2005 - 15h07:   

DEUX SOUS D’UNE CHANSON



Les regards s’enfuient sans laisser d’adresse. Ils reviennent en mots, en musique, en images. Ils redonnent la vie aux visages perdus. Ils poussent vers la mer les sources éphémères. J’écris comme on sourit, comme un enfant dessine aux crayons de cire, comme une bête feuillette le livre des odeurs. Ceux qui écrivent ne dorment pas, ils n’arrêtent jamais. Une chanson en eux enveloppe les choses.

Au milieu de la nuit, ce qui nous éloigne nous rapproche. Où nous passons, nous traversons le silence. Où nous avons passé, il ne reste que les mots. Nous sommes l’intervalle et son espace ouvert. Le vent époussète les ombres sur le cadran solaire comme l’oiseau balaie le ciel. Nous aimons si peu et si mal, l’espoir nourrit à peine l’appétit d’un enfant. Il est vain d’écrire comme il est vain d’aimer. C’est cette gratuité qui donne sa lumière aux gestes de l’amour, aux mots qui l’appréhendent.

L’essence des choses est de chercher le sens. À chaque mot une voyelle d’espoir vient frapper à la porte. On n’ouvre pas toujours. On traverse la page pas à pas, vague par vague, ressac par ressac. Lorsque la vérité se retire des paroles, il ne reste qu’un vêtement de trop, un chapeau sans tête, une parenthèse vide, un poignard sans lame, une larme sans sel. Il suffit que la vie revienne pour que le ciel rallume la paille du regard.

Les racines de l’arbre ont beau se terrer, les feuilles les trahissent. Le vide entre les branches n’est qu’une branche invisible. C’est elle qui soutient les voyelles du chant. Les choses viennent épouser leur nom comme un masque, le souffle retenu, sur la pointe des pieds. La coquille du monde se lézarde comme un œuf dans la main du silence. Chaque pas dans le désert dessine la margelle d’un puits. Dans l’oreille d’un sourd la musique est un parfum.

Deux sous d’une chanson m’éveillent le matin. C’est suffisant pour trouver l’air. À chaque tour du monde, à chaque tour de passe-passe, chaque heure invente sa durée. Chaque chose se redessine un œil. Tout l’univers est une caresse qui attend. Dans la montée de la nuit, on voit le jour qui tombe à la croisée des routes. J’y transporte l’espoir sur la civière des mots.

Quand il pleut le monde prend la forme d’une source ou de milliers de larmes. Chaque rêve est un radar aux antennes grandes ouvertes. Il capte dans la nuit des fleuves invisibles et les arbres du ciel qui rongent leurs racines. Un seul vol d’oiseau tient le ciel debout. Un seul papillon déplace les banquises. Un seul rire d’enfant justifie la lumière. Il faut presser la pulpe des jours qui montent en graines et retrouver l’essence où s’enivrent les plantes.

Deux sous d’une chanson suffisent au refrain. Deux voyelles suffisent pour mordre le silence. Chaque paysage est habité d’images. Chacun porte les siennes. L’œil se penche pour les cueillir comme une abeille sur une fleur. Le monde s’offre en bouquet. Le vol d’un oiseau tend son arc au soleil. Je m'appuie contre la palissade. Je grimpe encore sur les branches d'un pommier, sur le toit de la pluie, sur une échelle d'air aux barreaux d'espérance. Je demande aux fourmis d'imiter les oiseaux, aux pommes de mimer les joues vertes du miel. Je prie avec la mousse sur l'autel des pierres.

Les mots que l’on retient font tache d’huile sur tout. Le cœur s’atrophie dans les mailles du silence. Je le sais maintenant. Il faut trouver la source quand la soif se jette dans les puits les plus secs. La neige enlève son drap blanc sur le corps du midi. Les yeux déboutonnent les images. Nous sommes au seuil de l’été. Les pas vont délacer les cordons de la marche. Le regard des aveugles brûle d’un soleil inconnu cherchant à perte de vue le parfum des images. J’entends derrière la brume une mémoire éternelle. La clarté se déplie jusqu’au bas des montagnes. Un vieil épouvantail saute même à la corde.

La liberté est difficile. Je le dis sans rancune avec la voix couchée sur la paille des mots. Je respire la vie. La pureté nous prend toujours au dépourvu. Je marche sur la terre, c’est tout simple, et pourtant. Une montagne invisible me suit. C’est toujours le moment de vivre. Quelques instants suffisent pour toucher l’infini. Le temps se déplace avec nous. Il pleut soudain. C’est une forme de bonheur. Il y a sur le silence des touches pour le plaisir. Quelques notes suffisent. Il faut laisser les mots venir à soi. Des phrases courtes comme des abeilles sur la page. Des trous dans les plis d’une robe. Un petit vent de rien fait rire les campanules.

Je dessine avec des mots une fenêtre ouverte sur un mur de papier. Je réveille l’enfance avec le goût du pain et l’odeur des oranges. Je déchire l’hiver avec des mains de sable. La fleur de peau croise la fleur de l’air. Elles attendent dans le même pot la fougère de l’eau, la feuille d’arc-en-ciel et la brindille de feu. Je cueille sur la page un bouquet d’encre bleue, des pétales de joie, des tiges montées en larmes. Je lance entre les mots un caillou de silence, des pierres d’espérance, des brindilles en folie, des poils de pinceau dans le mouvement des lignes. Je laisse dériver l’eau morte des idées. Sur ma table à écrire c’est un fouillis d’enfance. Un trèfle à quatre feuilles chevauche mon crayon. Des billes roulent entre les phrases. Des coccinelles chantent.

Tant mieux si j’ai perdu mon temps. Chaque matin je me lève heureux d’être vivant.

27 mars 2005

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JG
Envoyé lundi 28 mars 2005 - 01h36:   

Décidément tu ne t'en lasses pas de cette margelle ;o)
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albertine
Envoyé lundi 28 mars 2005 - 07h42:   

La marge aile
pour lent vol...
n'en naît queue plus bô...
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mohand
Envoyé mardi 29 mars 2005 - 02h49:   

un texte trés delicieux. un rythme esceptionnel qui en fait un exemple concret de ce qu'est un poème en prose. Merci JML.
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lilas
Envoyé jeudi 31 mars 2005 - 00h27:   

JML, tes mots se dégustent lentement, comme un bon pain de montagne, au soleil, devant la tente ou le chalet. Arrêt sur image.L'on entend des clarines et les campanules se taisent. Puis les yeux déboutonnent une autre image . Mais ils emportent du soleil.
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jml
Envoyé jeudi 31 mars 2005 - 01h08:   

merci lilas et mohand. j'habite en plein bois.

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