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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.04.2005 au 31.08.2005 » Un nuage de lait « précédent Suivant »

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jml
Envoyé samedi 09 avril 2005 - 22h37:   

UN NUAGE DE LAIT



En faisant l’amour il faut devenir l’amour, ne pas rattraper les lignes qui s’envolent mais partir avec elles, déployer sur la mort tout un tapis de vie. C’est en faisant de l’ombre que le soleil écrit. C’est avec ses vagues que la mer vient lire les signes sur la plage. Elle troque ses coquillages pour des châteaux de sable. J’habite dans les mots. J’aménage d’un caillou à la lune, d’un ver à soie au cœur d’une pomme. Je suis dans le pépin qui rêve d’un verger. La vie porte aujourd’hui sa petite robe d’été, celle avec des abeilles sur le blanc des jacinthes. Elle a aux pieds des sandales de fous rires. Ses lacs laissent voir des taches de rousseur. Les heures bombent le torse et sifflent des rengaines. Le thé vert sourit dans un nuage de lait.

Les montagnes les plus hautes sont aussi loin du ciel que le fond des rivières. Le peu que l’on sait reste invisible aux autres. Il faut gratter la surface des choses, faire parler les chaises, faire éclater le rêve sous l’écale du réel. Le printemps s’ouvre d’une poignée de neige qui se transforme en eau. Mes fleurs butinent un parterre d’abeilles, un ciel avec des branches, une île sur le vide. Je regarde le monde avec des yeux couverts d’images. Un ciel d’orage déploie son parapluie de larmes. Un raclement de chaise amorce une cantate. Leur faim assise en rond, les enfants déboutonnent le pain et s’arrachent les miettes comme des boutons de chemise. Chaque jour, syllabe par syllabe, mot à mot, je ravaude l’horizon en tirant sur un fil. Je déboulonne les statues pour en faire des cailloux. Je me laisse aimer des fleurs et des étoiles. J’ajoute des voyelles au poil de mon chat, le sang du rêve dans la peau des objets, des cerises au pommier. Les chemins sont coulants. J’entaille de mes pas l’écorce du voyage.

Je me suis perdu dans les mots mais je m’y trouve aussi comme un silence sous les paroles. Les écrans ont remplacé nos larmes et les miroirs nos visages. Je glisse mes doigts dans les trous du mur. Dans l’ombre de la chambre je cherche un arc-en-ciel, un bout de lune rose, un souvenir d’enfance. Je cherche l’invisible au cœur du visible. Je vois le monde entier sur une tête d’épingle mais un regard m’aveugle. Des milliers de messages traversent l’océan sans atteindre le cœur. Le vide se déploie dans des formes infinies. Il suffirait d’un mot pour déboucher l’oreille, d’un peu d’encre échappée sur une page blanche, du doigt sur un clavier pour en faire une flûte, d’une plume d’oiseau pour dessiner le ciel, d’une goutte de pluie qui s’ouvre sur la mer. Certains êtres se rencontrent bien au-delà du temps. Nous sommes plus que nos corps, nous sommes soudain la vie, un o cassant ses n pour devenir un oui, un sol, un soleil, des galaxies complètes.

L’espace est trop petit, le ciel mal rasé sur la joue des nuages, la faim démesurée. L’hiver a déchiré sa chemise de mort. J’ai vu des perce-oreilles sur la dernière neige patiner vers l’été, des rigoles faire danser la route, quelques bourgeons timides enlacer l’imprévu. Je travers la pluie comme une simple goutte. Je traverse la vie comme une simple veine avec le sang qui coule à côté des blessures. Avec mes pas cassants comme une porcelaine, mes antennes fragiles, mes images d’oiseaux sur une corde à linge, j’avance à la rencontre du soleil.
Les feuilles recommencent à mousser dans le flacon des arbres. J’écris avec mon nez dans la senteur des lilas. Je cherche dans les yeux de la foule un regard infini, une âme dans les choses. Je donne à l’espérance le regard fou d’un chien, un brin d’herbe au désert. L’offrande est mon unique bien. Je suis un porc-épic en mal de caresses. Le désordre entassé dans les boîtes finit par en sortir. Un nid vide se fabrique un oiseau. Le lichen se nourrit du sang des pierres. L’enfant range le monde dans un tout petit sac. Il ne sait plus quelle route choisir, tous les chemins s’échangent leurs passants.

Une vapeur s’élève sur la boue. Une luciole s’anime dans le sac des noirceurs. Quand on parle, il y a toujours quelque chose qui bouge, quelque chose qui change, ne serait-ce qu’un fil, un cheveu de hasard, ne serait-ce qu’un pli d’air dans les vagues inconnues, un battement d’aile dans le ventre des mères, un souffle dans l’argile, la mie ouvrant ses yeux sous la croûte terrestre. Dans ma prison de peau, je n’envie pas l’oiseau mais j’aime sa musique. Je fixe une île de lumière au milieu des nuages. Le vent bourre d’oiseaux la chemise des arbres. Une fumée de cris s’échappe par le col. L’été couve ses citrouilles comme une poule rousse. Il y a des jours où l’agneau quitte sa laine et les oiseaux leurs plumes.

Au bord du cimetière des squelettes se cognent sans souffrir, des ombres se déchirent avec des ongles absents. Il faut courir plus vite que la mort comme la mer derrière la mer. Même une main coupée s’invente des caresses pour un ventre de femme, un trait sur l’horizon prend vie et cultive des fraises, des images, des mots. Dans le musée du monde j’entre et je sors des tableaux sans pinceau ni crayon.

La terre me secoue comme une tige déjà grise. Je pousse un peu de sève sur le bord des pétales, un peu de miel dans la ruche du cœur. Le matin met des yeux de rosée sur la poupée des fleurs. Des têtes de lumière s’allument dans le sommeil des hommes. Je suis comme un ruisseau à la voix pleine de petits cailloux. J’écoute au ventre de l’humus le grouillement des insectes, le chant muet des larves. Je sens monter en moi les racines du geste, les pétales des doigts fleurir au bout des mains. Il suffit d’un grain de sable, d’une petite graine volubile, d’une goutte de rosée, d’un sourire encore frais. Les saules ne pleurent jamais seuls. J’avance un peu perdu dans les nuages, un orteil dans la mer, une oreille dans les plumes d’un oiseau. Mon histoire est celle d’un galet, d’une racine, d’une écaille de poisson. J’ai rendez-vous avec un arbre. Je lui offre ma main pour accrocher des feuilles, des mots pour se nommer.

J’ai ramené dans ma chambre une récolte d’images, sur chacune d’elles un goût d’érable et de chevreuil, la fraîcheur des sèves, l’odeur des sous-bois, tout un ventre d’humus où sertir une fleur. J’ai versé la forêt sur la table, la plaine devant mes yeux, le fleuve entre mes mains. Je me lave les yeux dans le regard oblique d’un loup. J’ai renversé la nuit la face contre terre. J’attends sur mon cœur la langue d’une femme, la lampe d’une flamme sur la corde des mots. Du fond de mon silence j’ai soif de paroles. Je rêve d’une voix déployant l’invisible dans la chambre d’écoute.

Scribe intemporel, j’ai appris de la mer des leçons de miracle. Depuis toujours une langue cherche à naître dans ma bouche, une ride fait sa route sur la peau de l’enfance. Je guette un reflet de lumière dans la fissure du masque, une goutte oubliée au fond d’un puits sans eau. Je suis de mon enfance comme on est d’un pays. Je ne veux pas mourir en banlieue de moi-même. Je retarde en parlant ce que demain détruit. En posant la main sur une ombre, je veux en faire une lumière. Depuis le ventre du silence les mots rêvent leur sens. Je voudrais dormir dans la graine et m’éveiller en fleur, traverser la mer à cheval sur une île, croire encore au bonheur, ouvrir avec un rossignol l’oreille fermée du monde.

8 avril 2005


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Garhance
Envoyé dimanche 10 avril 2005 - 19h50:   

J'en reste sans voix... J'aime écrire, mais comme ça, je ne sais pas faire... Quel voyage !
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Marion Lubreac
Envoyé jeudi 08 septembre 2005 - 19h53:   

La vie porte aujourd’hui sa petite robe d’été, celle avec des abeilles sur le blanc des jacinthes. Elle a aux pieds des sandales de fous rires.
OHHHHHHHHHHH
C'est trop beau!
je voudrais boire ton âme à la paille pour écrire comme toi!
poetique slurpibises
Marion
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Marion LUBREAC
Envoyé jeudi 08 septembre 2005 - 19h56:   

Je me laisse aimer des fleurs et des étoiles. J’ajoute des voyelles au poil de mon chat, le sang du rêve dans la peau des objets, des cerises au pommier. Les chemins sont coulants. J’entaille de mes pas l’écorce du voyage.
MAGIQUE MAGNIFIQUE FEERIQUE
TU ECRIS MERVEILLEUSEMENT BIEN ( tu dois adorer Stéphane MELIADE, c'est ton jumeau!)
Marion
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Marion LUBREAC
Envoyé jeudi 08 septembre 2005 - 20h00:   

tu sais quoi? J'en ai les larmes qui me montent, tellement ce texte me correspond
c'est en quelque sorte l'echo de mon goufre intérieur
amitiés
ADMIRATION
ET
UNE BROUETTE SCINTILLANTE DE MES PLUS GROS BISOUS
Marion

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