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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.04.2005 au 31.08.2005 » Dans la rumeur solaire « précédent Suivant »

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jml
Envoyé dimanche 07 août 2005 - 16h28:   

DANS LA RUMEUR SOLAIRE


Ce texte est une photo floue que le temps a bougé.


Ceux qui écrivent en ayant peur des mots cultivent la poussière. C'est en vivant qu'on apprend à vivre. C'est en passant qu'on passe. Je passe par cheu vous comme le Survenant aux Iles de Sorel. Il faut transgresser les images de fabrique. Je me fais un volcan avec le peu, le rien, le simple. Tout le reste est feu de paille. Je tète l'absolu dans la rumeur solaire. Je vois avec les mains ce qu'effacent les yeux. Le chemin tremble sous nos pas et nous marchons depuis toujours. Je plonge dans mon eau avec un bruit de soif. Je tiens ma vie comme un morceau de pain. Les mots tout comme l'atome absorbent la lumière et l'émettent en même temps. Il n'y a pas de hasard sans logique. Si les poissons parlaient, ils pourraient déchirer les mailles de la mer.

À travers les yeux vides, c'est l'espace qu'on voit sans les choses qu'il porte. La mer est une pluie inverse. L'oeil patient des poissons déchiffre les syllabes aquatiques. La musique provoque sur la pierre une danse invisible. La rumeur des mains s'ébruite sur les choses. Les mots sont les rayons dans la roue du silence, des crayons sur la rue d'infortune. J'ai commencé à me voir en me fermant les yeux. J'ai vu le monde en les ouvrant. Ceux qui marchent à genoux n'ont rien à voir avec les fleurs sans tige. Ils rampent sans donner et se ferment sur eux. J'écris pour redresser les orteils en déroute, dresser l'oreille au coeur des roses, réchauffer l'oeil de givre dans le trou des serrures.

Que peuvent les néons sur un visage inuit, les chiffres sur un arbre, les étoiles sur un drapeau ? On a carié l'ivoire des sourires d'enfant, rouillé la stéatite des sculptures esquimaudes, rayé de l'espoir les défenses du morse. J'écris les dents serrées, sans commandite, la mort dans l'âme à cinq heures du matin. J'attends que l'aube se lève et lave de rosée le nombril de la terre.
Ici le fleuve se bat contre l'hiver pour conserver sa liberté. Son écriture est faite d'embâcles et de débâcles. J'y navigue en canot comme une bête déchirant ses harnois. Il faut parler pour tenir tête au froid et croire à l'espoir qui fait craquer la glace. On n'écrit pas une île à la pointe du compas ni la mer à la bêche.

J'ai appris à lire sur la terre, là où les ongles de la mer grafignent les battures, là où les loups flairent la piste, là où la route se forme sous les pas. Le crayon dans ma bouche a comme un goût d'obole. Je veux marcher dans l'homme en écrivant, avoir la berlue et la belle épouvante. La terre sous la neige est comme une femme sans peigne. Je voudrais qu'on me lise par le regard aveugle des oreilles. Les mots reculent dans la nuit ou s'avancent en riant. À la lueur des loups ou à l'ombre des chiens ce que l'on ne voit plus continue de hurler.

Tous les outils sont une forme de pensée, même le cuir des botterlots. J'écris toujours en marchant et c'est avec mes mains que je pense. Les mots dépassent la pensée en tricotant du rêve. On joue tous un peu faux mais il est difficile de ne pas vivre vrai. Quand je regarde, j'entends avec les yeux. Quand j'écris, c'est par la peau des dents que j'attrappe un petit bout de vie. Sur le théâtre de la page, mes mots n'agitent pas de marionnettes mais les ficelles fragiles de l'espoir.

Y a-t-il encore un boulanger qui s'intéresse au pain ? Aujourd'hui, il s'intéresse au gain. Y a-t-il encore un homme qui ne soit pas à vendre ? Y a-t-il encore une âme qui ne soit pas à louer ? Je n'ai que mon orgueil de bois sous la patine des mots. Où est la vie ? De plus en plus, le cinéma ressemble au cinéma et la littérature à la littérature. On tourne les pages des livres comme les bandelettes d'une momie. Je n'écris pas avec un dictionnaire qui fait la sourde oreille. Je me suis fait tout ouïe dans les habits de farine, les chemises en sueurs et les mitaines pas de pouce. Je cherche encore mes mots tout au fond de la gorge.

Le capital est un néo-féodalisme où l'on a remplacé le sang par la monnaie. Quand on confie son avenir aux courtiers, on perd même le petit change du courage. Je manque de coeur aux profits et pertes. Dans une famille de commis, je serai toujours le mauvais sujet, le mouton bleu, une chandelle sous les néons. Je ne propose pas un retour à la terre mais un retour à l'homme, à la femme, à l'enfant. Bien appuyé sur le plancher des hommes, je crie vers le soleil.

Je ne veux plus recoudre le costume de l'angoisse, repriser le néant, resemeller les pas perdus, tricoter la fiction avec du fil à plomb. À l'origine de chaque vie, il y a au moins une vision. Qu'en avons-nous fait ? J'écris à la mitaine, à la perche, à force d'homme, le ciel aux dents, la terre aux pieds, comme on apprend la vie. Entre le vent et la marée, entre la terre et l'eau d'érable, entre la toile et la couleur, entre la soupe et l'os à moelle, entre la cave et le grenier, je cherche le passage. Un seul geste parfois nous transporte d'une étoile à l'autre ou de la tête aux pieds. J'arpente au fond de moi le territoire de l'âme.

7 août 2005

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Pour JML
Envoyé dimanche 07 août 2005 - 22h47:   

je suis épatée ... à arpenter ces territoire du monde et de l'âme, il vient l'envie de prendre chaque phrase et de dire sa résonnance . On engrange les phrases de JML comme on engrange le bon grain qui plus tard ira germer, et le chemin paraît clair ...
(Lilas)
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Kel
Envoyé dimanche 07 août 2005 - 22h53:   

Whaw. C'est Géant.
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Rob
Envoyé dimanche 07 août 2005 - 23h28:   

Magnifique comme d'hab.
Pour faire le sévère je dois dire que je n'aime pas du tout la dernière phrase, elle me semble inutile et facile.
Je savais bien qu'un jour je mettrai un petit bémol, mais c'est vraiment pour pinailler.
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jml
Envoyé lundi 08 août 2005 - 03h05:   

merci rob. tu aurais certainement préféré le territoire de l'homme et tu aurais raison.

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