La pelote de laine Log Out | Thèmes | Recherche
Modérateurs | Fiche Personnelle

66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.04.2005 au 31.08.2005 » La pelote de laine « précédent Suivant »

Auteur Message
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé mercredi 24 août 2005 - 00h11:   

LA PELOTE DE LAINE


Une phrase complète composée de points sur les i devient une prison. Il est bon que les points gambadent comme des bottines de chat. J'écris en marchant ou en sciant du bois. Ça fait des mots en dents de scie, en cahots, en bosses ou en faux pas. Je dois écrire ligne par ligne. Je perds le fil entre chacune. Les mots retombent toujours sur le tapis des pages. Les mots sont une pelote de laine déroulée par un chat, une portée de chants.

On a troqué le livre des jardins pour l'ignorance des écrans, les contes pour les chiffres, la soie des chrysalides pour l'acier des fusils. Prisonniers des réclames, on dort sur nos chaises en calculant nos sous. On ne boit plus les jours comme de l'eau d'érable. La robe des tulipes se referme le soir sur l'étamine enceinte qui perd ses pétales comme on perd ses eaux. Le rêve tombe du lit et perd les pédales. Cordée comme du bois mort, la forêt nous en veut. Les bateaux partent avec le fleuve et la vie reste à quai. On arrache la terre pour en faire un parking, un dépotoir, un immense coffre-fort. On ne compte pas les morts mais les billets de banque. Il ne faut plus se taire quand l'argent crie trop fort, se taire et se terrer dans un petit bas de laine comme du pain rassis. Tout peut sauter d'une mine à l'autre.

À quatre pattes sur la page, je suis comme un enfant qui cherche ses jouets. Les fleurs me tirent la langue. Les choses se mélangent aux mots, le silence aux fausses notes, l'azur à l'invisible. La pluie se cache pour pleurer. Le soleil fait la gueule. Quittant la terre aux bras de vignes, l'oiseau s'enfuit avec le vin et le vent saoul comme un cochon pousse des pneus abandonnés. Tu devrais voir sa gueule, le nez en torgnolle et les oreilles dans le crin. C'est la pagaille ce matin. Le coeur des girouettes a mis le nord en quarantaine. Le jour a les yeux tristes comme un vieux chat botté qui a perdu sa route.

On a beau caché le printemps, il se pointe partout, dans les champs et les vagues, sous les chapeaux de roue, dans le fond des remises et les manches de chemise, les sous-bois, les fourrés, sur les solives et les linteaux, de la cave des mots au grenier du silence. Il fait chanter les draps sur les cordes à linge et crier les poulies. Il traverse les portes et saute sur les bêtes. Il brille aux dents des scies et craque sous les pas. Il lèche les gamelles et le poil des chats. Il reprend des couleurs à l'eau fraîche des toiles. Il rissole sur le poèle sans briser le jaune d'oeuf. Il change l'eau en vin et les routes en sandales.

J'ai si longtemps rêvé d'un bonheur simple et doux, juste des mots dans le vacarme, des riens, des peccadilles, un enfant qui se moque des grands, un pain qui fait la moue, un funambule croquant la barre du jour. Il y a longtemps que je n'écoute plus le bavardage des autos. Ce sont les yeux d'un loup qui me servent de phares. Sur la galerie du silence, dans la bercante des mots, entre les parenthèses de la pluie, je me balance d'un pied sur l'autre comme les fous. De fil en aiguille, je reprise le temps. Je couds un peu d'été sur l'automne venteux. Je brode du lilas au-dessus des nids de poule. Il ne faut plus attendre la reprise ni le billet gagnant mais la grande accolade, se lever le matin comme on entre en prière. Desserrez vos dents, vos poings. Les mendiants, les fous, les saltimbanques attendent pour faire sauter la banque. J'apprends l'éternité d'un bout de chemin à l'autre. Les mots sont une matière vivante. Ils dessinent l'espoir sur la vitre embuée.

23 août 2005

jml
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

à Jean marc
Envoyé mercredi 24 août 2005 - 13h59:   

comme c'est facile de t'imaginer Jean Marc, dans ton Québec et de cueillir à la volée tes points-oiseaux entre tes gestes larges et tes pas de géant au milieu de tes amis , les arbres
"J'apprends l'éternité d'un bout de chemin à l'autre." tu as le monde à parcourir et la terre ne meurt jamais
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

aglaé
Envoyé jeudi 25 août 2005 - 13h40:   

J'adore et tu le sais

Bien reçu ton adresse!

ça suit!!! Aglaé
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

ali
Envoyé samedi 27 août 2005 - 02h32:   

émouvant!!! tout remue..les mots et les choses se créent leur propre théâtre en de vrais personnages!!!on dirait qu'à travers leurs histoires ils retrouvent leur nature première!!
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

ali
Envoyé samedi 27 août 2005 - 12h25:   

un tout s'est évaporé ,je le liquifie et corrige "tout remue tout"
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Teri
Envoyé samedi 27 août 2005 - 16h07:   

Quelle écriture !

Elle me touche de plus en plus à chaque texte, je ne sais que dire de plus.

Le postage de nouveaux messages est actuellement désactivé dans cette catégorie. Contactez votre modérateur pour plus d'informations.

Thèmes | Depuis hier | La semaine dernière | Vue d'ensemble | Recherche | Aide - Guide | Crédits programme Administration