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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.09.2005 au 28.02.2006 » De plus en plus de moins en moins « précédent Suivant »

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jml
Envoyé mardi 13 septembre 2005 - 22h28:   

On ne voit plus l'encre déposer sa bulle au bout du dernier mot, on regarde l'écran. On ne voit plus la main s'étirer sur la page. De plus en plus, les mots échappent au coeur comme on s'éloigne de soi-même.

Réfractaire aux montres, quand tu marches dans la ville, tu retardes la foule. Tu suis le mouvement du soleil. Environné par la vitesse, tu marches lentement pour retrouver la route que les passants négligent. Parmi tous ces visages que tu ne verras plus, tu reconnais tes rides sous leur masque d'absence. Tu t'ouvres sur le monde en fermant les paupières. Tu fermes le rideau sur les bruits de la ville. Tu fais la sourde oreille. Tu marches sans repères. Tu reconnais seulement les axes où tu te perds. Tu n'oses pas traverser la rue sans la main d'une amie. Au-delà des vitrines, tu cherches un loup ou un chevreuil, le bord d'un ruisseau, une branche tombée, une phrase en suspens. Un arc-en-ciel s'enfonce dans la brumasse du matin comme on se glisse sous les draps.

Retranché derrière un livre, tu t'enlises dans le sable des mots. Tu attends que se déploient les ailes des images dans le cocon de l'encre ou que te happe le sommeil entre deux pararagraphes. Parfois les mots laissent du linge vide sur la page. Il arrive aussi que la calligraphie trace un treillis contre l'opacité. La lumière a plus de profondeur. Le silence est bavard. Tu ne reconnais pas les voix qui parlent. Tu les imagines comme un enfant sermonne son jouet.

Depuis quelques semaines, les astronomes lisent une nouvelle planète. Le monde continue de s'écrire. Les grottes de Lascaux sont maintenant de verre ou de papier. Nous attisons le même feu depuis l'aube carbonifère. On ne revient jamais d'être parti. On n'arrive pas non plus. On cherche encore la route.

Tu vérifies le pain des mots. Les syllabes butent contre le temps. Quelques gouttes de Huron, trois autres de Breton, un soupçon d'Irlandais, et cette langue en toi qui ne cesse de bouger, du tamtam au biniou, du gazou à la slide. Tu ne connaîtras jamais ton ancêtre pêcheur venu de Brest ou La Rochelle. Prélart est devenu prélat, l'évier le sink et puis le cygne. L'eau monte dans les signes à partir d'une source. Les mots ont des racines plus fortes que la terre. Au volant d'une auto, tu parles encore en termes de marine. Tu lofes au carrefour, tu gires dans la boue au volant d'un bazou. Ton rêve s'ababouine sur une mer étale ou remonte le courant.

Il fut un temps où la ligne droite nous menait à la roue. Aujourd'hui, la roue nous mène tous à la ligne droite, la même route, le même cimetière d'autos. Tu recueilles dans les pas les pierres de montagnes, les larmes des nuages. Tu ajoutes une chaise à la table des matières, une ligne à la page, une couleur au dessin. Tu digresses à nouveau. Tu tâtonnes dans les fluctuations du sens. Tu ne comprends qu'à peine l'étreinte cosmique des atomes.

Tu te perds dans un influx de mots sans chercher de réponse. Tes images s'effilochent dans un décor vide. Tu cherches les visages dans la foule. Les regards sont fuyants. Ils ne retiennent rien. Ils ne reflètent rien. Tu fais les premiers pas. Tu dis les premiers mots. Tu tentes l'accolade. Même le chien ne mord pas.

La loupe des regards fouille en vain l'espérance.Tu écris pour le son un sandwich au saucisson sec. Ça ne fait pas un poème. Tu écris pour le sens sans vraiment le savoir. Tu écris pour le sang qui refuse de couler. Pour oublier ta faim, tu te nourris de mots avec avidité et tu bois l'eau du rêve à même le goulot.

Dans tes murmures d'enfant, ta mère s'éreinte à vous porter. Ton père roule à l'infini la bosse du courage. Tu ne sauras jamais ses désirs inconnus. Le bruit du linge sur la corde emmêle son silence aux souvenirs d'enfance, ses lambeaux de douceur à tes chemises de peine. Lorsque l'hiver s'étire, tu pelletes le silence pour que passent les mots.

Dans ce trou de silence, nous sommes ainsi que nous font nos paroles. Tu fus un enfant blême, le bras tendu vers l'infini, et te voici trop plein de rêves inconnus. On voit poindre ton âme sous les haillons du sens. Tu couds et tu recouds la défroque des mots. Palpant l'ombre sauvage au ventre des visions, tu cherches la lumière. Tu bêches dans la terre jusqu'à trouver le ciel...

(extrait)
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Pour JML
Envoyé mercredi 14 septembre 2005 - 21h24:   

"On ne revient jamais d'être parti. On n'arrive pas non plus. On cherche encore la route."

"Dans ce trou de silence, nous sommes ainsi que nous font nos paroles. Tu fus un enfant blême, le bras tendu vers l'infini, et te voici trop plein de rêves inconnus. On voit poindre ton âme sous les haillons du sens. Tu couds et tu recouds la défroque des mots. Palpant l'ombre sauvage au ventre des visions, tu cherches la lumière. Tu bêches dans la terre jusqu'à trouver le ciel..."

Deux passages qui me touchent particulièrement . J'ai renoncé à tout citer de vos poèmes tant y coulent les images en long fleuve inépuisable, chargé de toutes les confidences des rives arborées où viennent boire les fleurs sauvages, les grands cervidés et les loups apaisés de notre enfance.(Lilas)

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Jean-Marc
Envoyé jeudi 15 septembre 2005 - 11h57:   

Il y a de très bonnes choses dans tes textes JML, même si personnnellement je ferais quelques coupes ici ou là, comme un jardinier prend soin d'une plante dont il admire la grâce...

Moi aussi j'ai du sang huron dans les veines mais c'est purement imaginaire !

au plaisir de te lire
JM

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