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jml
| Envoyé vendredi 04 novembre 2005 - 15h13: | |
COMME DES CICATRICES On ne meurt pas d’écrire, on en porte les mots comme des cicatrices d’absolu. La page me tient lieu de pansement. Je dresse l’alphabet sur la ligne d’horizon comme un aveugle qui s’accroche au périscope des oreilles. Les oiseaux font leurs nids à l’aisselle des branches. Je fais ma route loin des idées sur la rocaille des images. Je cherche l’impensable. Il m’arrive d’oublier le nom des oiseaux, jamais leur chant. Il m’arrive aussi de ne pas croire en l’homme, sans perdre espoir. Malgré le pire hiver, les racines vont forcer les serrures du froid. La nuit exprime l’utopie par la rosée de l’aube. Il faut peu de choses pour sourire. Il y a dans les mots une part d’infini. Il fait plus beau qu’ailleurs sur l’encre de la page. La mer ne porte pas de robe. Elle change de peau avec chaque marée. La vie reprend haleine en mangeant une fraise. Quand le soleil détonne sur la pudeur du ciel, il dissimule ses nuages. Il y a toujours quelque chose de léger dans la courbe des montagnes. Le printemps est à l’œuvre dans le parfum des choses. Le désir est partout dans l’écume de la flore, la gorge des jonquilles, la discrétion de l’herbe. Quand on regarde ailleurs, le chat déroule l’azur comme une pelote de laine. Il ne dort qu’à moitié, les vibrisses aux aguets. L’ombre a ses secrets que la lumière ignore. Il y a sous la pluie une poussière rebelle qui rêve à la mer. Même la pierre a besoin d’eau. Entre deux cris d’oiseau, le silence peut tenir lieu de verbe. Le vol d’un avion unit la terre au ciel et le réel au rêve. Sans être sûr de rien, j’entame le matin comme on le fait d’un pain. Je glane autour de moi la compote et la soupe. Je sers des sourires aux amandiers en pleurs. J’échappe dans la neige une aiguille de feu. Nous portons une lumière en nous pour éclairer le monde. Même les aveugles. Chaque faux pas est une marche dans le grand escalier. La fougère console les montagnes en larmes. Chaque geste est un levain possible, chaque virage un levier pour redresser la route, chaque image une ligne dans un plus grand dessin. Ce qui n’est pas réel donne un sens à la vie. Pourquoi nous fallait-il tuer l’air qu’on respire, mettre l’espoir en banque comme un homme en prison, mettre le temps en miettes et le cœur à l’index ? Pour aller plus vite ? Il n’y a pas de bout du monde. Chaque chose porte sa route, chaque ombre sa lumière. Chaque silence prend appuie sur les mots. Même la pierre connaît le feu. Quand on pleure sans raison, ce n’est jamais à tort. Il y a toujours quelqu’un qui se refuse à vivre, un mort qui proteste, un enfant qui grandit et perd ses jouets. La différence entre l’écriveur et le poète est la même qu’entre le psychiatre et le fou. Il faut connaître ses limites pour inventer la clef. Je sors de mes gonds devant les portes closes. Il ne faut pas prier pour que poussent les fleurs, il faut laisser la fleur faire elle-même sa prière. Les aveugles ont dans leurs poches des images inconnues. Des loups saignent en cachette dans les forêts détruites. On est toujours au seuil du pire. Il doit pourtant y avoir un meilleur quelque part. Il y en a qui s’installent dans les pantoufles de la peur, le cœur à double tour, des barreaux dans les yeux. Je ne suis ni d’ici ni d’ailleurs. J’habite un dictionnaire. J’invente des mots nouveaux pour tromper les frontières. J’aiguise mon crayon sur la pierre des larmes. Je passe en contrebande le rêve des voyelles. Cachés sous la peau, les nerfs sont des fleurs. Les racines blanches des os rêvent aussi de caresses. Les neurones s’entêtent à battre la chamade. Les tigres ont fermé leurs paupières dans la jungle des mots. Ce qui nourrit la vie n’est pas dans le réel. Le rêve continue là où les choses meurent. Il y a de l’immuable au fond de ce qui change. Il y a de l’inconnu au fond de chaque chose. On ne voit pas toujours ce qui compte vraiment. Un peu de l’arbre meurt quand on tire un oiseau. Un loup rejette sur le sol l’os à demi rongé du rêve. Je le ramasse dans mes mots. Adossé à la nuit, tendu vers l’invisible, j’écris une lettre à la lumière. J’attends que les oiseaux m’apportent les nouvelles, que les arbres se lèvent et parlent au soleil. On ne sait jamais ce qui surgit de l’ombre, la fleur ou le couteau, le malheur ou l’espoir. Certains matins crachent des rires, d’autres des balles. Je me méfie de l’homme mais j’aime sa parole. Je remercie les pierres, les fleurs, les ruisseaux. J’ai rangé mon fusil. J’attends le cerf et l’arc-en-ciel au bout de mon crayon. Je tends l’arc des hanches avec une caresse. 3 novembre 2005
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Kel
| Envoyé vendredi 04 novembre 2005 - 16h30: | |
Jean Marc, c'est très beau. |
   
pour JML
| Envoyé vendredi 04 novembre 2005 - 20h19: | |
"On ne meurt pas d’écrire, on en porte les mots comme des cicatrices d’absolu" "Je fais ma route loin des idées sur la rocaille des images. Je cherche l’impensable." "Il m’arrive d’oublier le nom des oiseaux, jamais leur chant" "Il m’arrive aussi de ne pas croire en l’homme, sans perdre espoir." "Sans être sûr de rien, j’entame le matin comme on le fait d’un pain" "Je sors de mes gonds devant les portes closes." "Un peu de l’arbre meurt quand on tire un oiseau." "On ne sait jamais ce qui surgit de l’ombre, la fleur ou le couteau, le malheur ou l’espoir. Certains matins crachent des rires, d’autres des balles. Je me méfie de l’homme mais j’aime sa parole. Je remercie les pierres, les fleurs, les ruisseaux. J’ai rangé mon fusil. J’attends le cerf et l’arc-en-ciel au bout de mon crayon." Certains poèmes sont des jardins. Merci pour ces pétales, JML. (Lilas)
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ali
| Envoyé samedi 05 novembre 2005 - 12h14: | |
un verger aux mille surprises et délices! épatant!!! |
   
flo
| Envoyé lundi 14 novembre 2005 - 11h58: | |
Hello Jml, envie de réagir ( un peu tard) à ce texte et à tant d'autres. J'ai chaque fois, comme beaucoup ici, le coup de ceur pour presque chaque phrase, elles sont comme autant de coup de génie, de sens, des petites merveilles. En fait, tes textes sont comme les impacts d'une mitrailleuse automatique qui lancerait des tas de traits de sens. mais, si je peux me permettre uen simple critique : j'ai parfois du mal à considérer ces textes comme un objet cohérent. ca part trop dans toutes les directions, et je retiens une impression d'être soufflée par autant d'impacts, de virtuosité, mais rarement je suis "imprimée" par une ambiance construite, avec une structure, une progression. Mon esprit ne peut garder l'impression de tant d'idées d'un coup sans qu'une forme les sertisse et les conserve. Qu'en penses-tu? bonne continuation, flo
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jml
| Envoyé lundi 14 novembre 2005 - 16h59: | |
merci flo. mes textes ne semblent pas avoir de structure ni de direction en effet mais ils progressent. j'écris généralement en marchant, jamais en ligne droite, le plus souvent sur des sentiers sinueux. ça doit se refléter dans mes phrases. j'écris comme un gaucher dans un monde de droitiers. j'écris comme un rêveur dans un monde de penseurs. j'écris comme une épine dans un monde de pétales. |
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