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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.09.2005 au 28.02.2006 » Avec mes mots « précédent Suivant »

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jml
Envoyé jeudi 10 novembre 2005 - 18h20:   

AVEC MES MOTS



La vie se perd dans l’économie. On ne vit plus, on compte. On ingère la pensée comme un pain de famine. L’âme se perd dans l’appétit des choses. Je marche avec mes mots vers le silence qui m’a fait naître. On ne part jamais vraiment, on emporte avec soi tout ce qui nous a fait. On vit des arbres et des oiseaux, de l’air et des rivières. La terre nous enseigne la patience des pas. La mer nous apprend la force du désir. Je porte sur l’épaule un baluchon d’émois, un carré de sable dans le cœur, une île sur la peau. À force de lire avec les yeux du silence, j’ai fini par planter mes dents sur les blancs de la vie. J’écris avec mes pas, mes gestes, mes blessures, mes joies. Je laisse couler dans la mémoire de l’argile la main inquiète du semeur, l’algèbre des syllabes.

Mes mots ont de la terre collée au bout. Ils respirent en s’écrivant. Ils titubent et se noient. Ils apprennent la nage avec les poissons, les algues, les coraux. La pluie est une immense oreille. Elle écoute les racines et la soif des pierres. Les étoiles brûlent sans fumée. Tout arbre sait où trouver ses racines. La sève communie aux frissons du feuillage. Dans son église minuscule, le poussin rêve déjà du ciel.

Dans chaque mot, il y a une place pour chacun. Il y a de l’inaudible, des sons et du silence. Il y a de l’invisible et des images autour soulignant la présence. Il y a des retraits, des seuils, de la vitesse et du courage. Un seul mot contient tout et c’est le mot amour. Les mots ne tracent aucune route. Ils remontent du puits. Ils ponctuent l’inconnu. Ils jappent quelque fois devant les muselières. Ils crèvent les poumons. Ils répondent à l’appel quand les larmes débordent.

La pluie est une mémoire verticale. Nous sommes la volonté des gouttes, la buée de la soif. Le cœur contre un mur se protège du froid. Il gèle sous les chiffres et répare sa laine. Il pousse dans les veines l’odeur du jasmin, la paille du soleil, le passage du vent. Sans rêve, le réel n’est qu’un oiseau sans ailes insistant pour voler. Mes yeux péninsulaires agitent les images pour en cueillir le fruit. Du silex à la plume, de la boue jusqu’aux mots, je porte la lumière.

Il n’y aurait pas de musique sans silence. L’intimité du souffle est peuplée de rumeurs. Le chemin se rétracte ou s’agrandit selon les mots sur le papier. Je voudrais écrire des phrases fragiles comme l’air, accéder aux étoiles et aux arbres avec un seul mot, peindre du bout des lèvres un peu d’éternité. Pourquoi le soleil et la lune ? Pourquoi la faille entre la terre et nous ? Quand le présent confond l’avant avec l’après, le passé est aveugle et l’avenir masqué. Parfois je m’échappe du temps pour lire sur le sable et m’avancer dans l’eau, là où commence l’horizon du cœur.

La persistance du rêveur déplace l’horizon. On peut brûler mes routes, mes images, mes mots, mes lignes d’encéphale; mes cendres en garderont l’espoir. Le corps a d’autres yeux, d’autres mains, d’autres pas. À l’instant où j’écris, la lumière est plus pure. La peau des substantifs a la couleur du ciel. Tout s’allume dans l’eau qui cherche ses prières. Les quatre points cardinaux se croisent dans l’humble bruit d’un pas. D’un continent à l’autre, il nous faudrait parler la langue de la mer.

Je ne crois pas à la durée des choses mais à celle des mots. L’heure n’est jamais la bonne. Les images, les traces de la mer, les timides végétaux, les fleurs qui poussent sur le roc nous transportent avec eux. Je connais mieux l’abeille que la piqûre du monde, la plainte sous le sable que le froid du béton. Je suis né simplement dans le ventre d’une mère, celle qui m’enseigna la première parole, les débuts de l’aurore, les régions colorées où vivent les oiseaux, la connivence intime de l’arbre et de la terre, du vent avec le feu, la musique de l’eau. La vie ne dure qu’une seconde, autant souffrir d’absolu.

Rien n’apaise l’espérance. Le mot est un retour à l’instant disparu. Le mot est une marche inventant l’escalier. Il suffit d’un parfum pour qu’un aveugle voie. Certains mots ont la senteur du silence. Il y a sûrement des routes qui ne se perdent pas, des loups qui hurlent au soleil, des rêves qui s’accouplent, des crayons de couleur sous l’aile des corbeaux, le moule d’un pied nu sur une île déserte. Le jour est un visage. La nuit est un regard. Les yeux se perdent quelque fois quand on compte les heures. Au moment de mourir, le corps importe peu.

C’est le silence qui oriente les mots. Les mots ressemblent à l’invisible, à l’espace, à la vie. Ils créent de la musique dans le vide sonore. Ils percent les paupières et tout ce qui rend sourd. La mer se dessine dans le creux des rivières. J’apprends à écouter un brin d’herbe au soleil, un flocon dans sa neige, un cœur dans ses veines. Les jours n’ont qu’à se suivre, les rêves s’en écartent. Un soldat privé d’armes retrouve la parole. Il cherche des jouets qui servent à rêver. La tendresse prend naissance pour retrouver l’enfance.

Je mets le feu aux mots. Des syllabes s’embrasent pour réchauffer le cœur. Des étincelles de phrases éclairent dans la nuit. Je fouille dans la cendre pour en saisir le sens. J’avance encore d’un pas pour remuer la pierre. J’adhère à la racine pour comprendre les feuilles. Le regard vient à nous à travers les images. Mes mots sont assis en lotus sur la natte des pages. Ils gonflent comme un pain sur la nappe des jours. Il y a dans la parole l’extrême du silence, la pure présence au monde.

Le regard s’ajuste au moindre mouvement comme le rêve à la nuit. C’est à flanc de parole que je monte à la vie. J’agite sur la page un feuillage d’images, un arbre virtuel où grimpent les idées qui ne sont pas reçues. Du silex au stylo, je soulève par couches un temps sédimentaire. L’été revient toujours sous la forme des neiges. Les épines en hiver gardent l’odeur des roses. Le caillou sur la route est un morceau d’étoile.

10 novembre 2005


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suz
Envoyé jeudi 10 novembre 2005 - 20h01:   

Jml, comme toujours, tu es un artisan accompli des images, et chacune a son role, sa raison d'etre, chacune illumine un lieu fugace. Je te lis souvent avec plaisir sur ce forum. Quelques perles - la pluie memoire verticale - la releve du temps sedimentaire (on songe a Claude Roy).

Pourtant, je reste sur ma faim, avec tes textes en general. Premierement, parce que le propos se perd souvent dans la multitude. Deuxiemement, parce qu'il est souvent, comme ici (ose-je?) un peu narcissique - quel ecrivain n'aime as se penser vivre que par ses mots? - et le ton revendicatif quand il n'y a a mon sens nul besoin de l'etre. Qui songe a "brûler [tes] routes, [tes] images, [tes] mots, [tes] lignes d’encéphale"? Te sens-tu menace?

Bon, j'espere ne pas avoir ete injuste ou impolie,
au plaisir de gober d'autres perles
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jml
Envoyé jeudi 10 novembre 2005 - 21h50:   

Merci Suz. Contrairement à ta perception, je crois plutôt que mes textes auraient tendance à souffrir d'un manque de narcissisme. Je me réfugie trop facilement derrière un je universel.
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philippe Bray
Envoyé jeudi 10 novembre 2005 - 22h47:   

Les questions du"je" et du "narcisisme" sont interéssantes.
Je considère comme le "je" comme le "moi", mon philosophe préféré qui n'est plus guère étudié aujourd'hui est un philsophe du "moi" : Johann Fichte, un contemporain de Johann Goethe.
Un de mes plus profond souvenirs de lecture !

Philippe Bray
http://www.philippebray.net




Philippe Bray
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suzanne
Envoyé vendredi 11 novembre 2005 - 01h05:   

bonsoir jml
mmm, on veut peut etre dire un peu la meme chose, mon avec mon narcissisme et toi avec ton je universel. j'y reflechirai un coup puis j'essayerai de revenir tantot
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jml
Envoyé vendredi 11 novembre 2005 - 04h11:   

DE LA POUSSIERE D’ÉTOILE


De la poussière d’étoile aux algues de la mer, il suffit d’un arbre pour définir le monde. Je me bute parfois aux nœuds du sens dans les branches. Trop de nuages aux poings serrés retiennent le soleil. Au retour des oies blanches, la parole verdit sous la fonte des lèvres. La moindre goutte de pluie retourne au rêve de la source. Entre le tronc et son écorce, les insectes des mots élaborent la phrase. Une bouche tendue débusque ses voyelles dans le ruisseau de l’herbe, le sel des semences sur la terre en éveil. Lorsque la mort tient les atouts, je m’accroche à l’enfance, aux dés bleus du vertige, au trèfle à quatre-feuilles.

Chaque pas sur la terre est un trait sur l’image. On s’accroche à la vie. On remonte les phrases. Chaque ride est un mot sur le visage du monde. Des pas perdus parsèment le chemin. Je les ramasse dans mes pieds pour avancer plus loin. Je cherche un carré d’air où logent des oiseaux, un fleuve sorti du lit sans attendre la mer. Des milliers de mots se croisent en tout sens. J’y butine au hasard sans un axe d’approche. J’ajoute à la lumière le parfum des images. Des oiseaux surgissent des rochers, des noyaux se dilatent, des formes se dessinent où il n’y avait rien.

Le monde se fait à chaque instant. Le temps est un mâle dans l’espace femelle. La fin du soir est un retour. Les pentes abolies sont encore à gravir. Les pages disparues surlignent les nouvelles. Les arbres sous la neige échangent leurs racines. Chaque baiser donné en appelle un autre. Chaque geste répond d’un autre geste. Quand la lumière s’éteint, je dessine au hasard des images verbales. Dans la touffeur des bois, le plus petit murmure ouvre toutes les portes. Préférant la caresse au lancer du pavé, je frappe sur les murs avec un poing de plumes. Je monte et je descends. Je cherche encore la sève dans une forêt d’échardes. J’avance, de murmures en surprises, jusqu’au début du monde.

Je n’ai pas peur des éclairs, je fais partie de l’orage. Je punaise l’espoir dans la marge des heures. Je plante au bord de l’eau la soif des fougères. Je veux vivre. J’accueille et j’imagine. Je crayonne un soleil dans le miracle d’un regard, sur l’appel des pierres et l’autel des vagues. Je me tiens sur la brèche. C’est le visage des mots que je laisse au miroir.

10 novembre 2005
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jml
Envoyé vendredi 11 novembre 2005 - 15h07:   

(suite)

On a ligoté Dieu dans un nœud de prières. Le lait frais des continents surit au contact des monnaies. J’écris la poussière dans l’œil, le sang tachant les routes, le pain dilapidé, le sel sur la phrase, le bouquet d’orties aux doigts des écoliers, le sentier secret entre les lettres, les bouteilles à la mer qui affrontent les glaces. J’écris avec des mots pliés en avion de papier, des bateaux en bouteille, des billets de métro oubliés sur le quai, des valises perdues. J’écris comme une mère à la porte du cœur écoute respirer l’enfance des voyelles. Je dessine l’eau de pluie avec des nuages. Je devine la vague au mouvement des feuilles.

Mon corps n’a pas assez de place pour les mots. Je dois recracher le surplus de parole. Des images de brûlures viennent enflammer la page et les papiers noircis volètent sur l’azur. Je roule sur ma langue une lessive intime que protègent les dents. On a mis sur le monde une porte d’abattoir. Pour tenir un marteau, je rassemble ma voix dans le creux de mes mains. Plus bas que les racines, la forêt est comme un arbre unique. Dans le cri d’un oiseau, j’entends tous les oiseaux. Je vois toute la mer dans un seul nuage.

Il y en a qui existent sans jamais être nés, des exilés de la mère qui saccagent la terre. Leurs mots sont un couteau tranchant le doigt des caresses. Perdues entre les choses, leurs mains cherchent-elles une âme ? Combien d’années d’école faut-il à un enfant pour apprendre à mentir ? Même le goût des fraises est devenu poison. J’entends par les pieds le ventre de l’humus gorgé de vie. Je touche de mes mains le souffle d’un rocher. Je regarde la nuit dans les yeux du soleil. Le cri fait peur, le murmure encore plus. Ma voix se tient debout sous le poids du silence. Chaque image porte en elle l’espérance des yeux.



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JG
Envoyé vendredi 11 novembre 2005 - 19h45:   

Avant que Saint Just se pointe, pour pointer


"La vie se perd dans l’économie. On ne vit plus, on compte"


Et nous ne sommes plus de ce monde, nous ne le vivons plus, et c’est le monde qui nous vit… Nous sommes les spectateurs d’un monde qui survit et qui nous survivra, que par une envie de savoir, un besoin de connaître où nous allons, juste à nous regarder nous regarder... Juste à nous demander pourquoi, pourquoi, pourquoi…Nous vivons dans un siècle où les histoires d’amour commencent d’un cellulaire ou bien de nos machines, branchées sur l’inconnu à chercher son étoile… Où y’a même plus le ciel, où y’a même plus la mer, où y’a même plus de voiles…L’amour n’est plus qu’un rêve, affalé sur la toile où poussent des folies...On n'aime plus… On branche… On se connecte… On se télédécharge…On se tape des codes… Son Password et son look, un scanner dans la tête, où figure Cassandre webcamée en Roxane…
« On n'aime plus, on chiffre ! » ETC...

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