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66 zone franche - Le forum de Francopolis » Textes » A R C H I V E S » Les textes du 01.09.2005 au 28.02.2006 » Dans un autre langage « précédent Suivant »

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jml
Envoyé mardi 27 décembre 2005 - 19h55:   

DANS UN AUTRE LANGAGE


On a mis des tuyaux dans le champ du potier, des poils en plastique dans la barbe des morts, des carcasses d’autos dans le ravage des chevreuils. Un néon détraqué clignote sur la crête. La pelle d’un bulldozer est comme le poing d’un homme fracassant les fougères. La parole marche au pas. On a vendu son âme et les mots pour le dire. Nous devrons nous parler dans un autre langage. Quand la nuit tombe, les pierres dans les murs cherchent la main de l’homme. La lumière se cache dans les cosses des pois, sous le noir des lunettes, dans l’ombre des statues et les écrans de fumée. Je bois de l’encre pour me rendre visible. Les morts mangent de l’ombre pour attirer le soleil.

Dans les combats de coq, on déterre toujours des arguments rouillés. Devant tous ceux qui savent et montrent leur cerveau comme on montre la voie, je m’assois sur le sol, une brindille aux dents, pour regarder le ciel. Je lis sur les nuages les réponses du vent. Je m’accroche à l’arbre, à la lenteur des racines, au vertige des mots. Sans quelques mottes de terre, l’abîme nous boirait. Les oiseaux quand ils chantent n’avouent pas leurs vadrouilles; ils donnent au silence un bec de printemps, une plume au désordre, une couleur à la paix. Sur la route du rêve, je me heurte aux vivants.

Je resterai toujours du côté des fragiles. Ma voix se réfugie dans le bois rouge de l’âme. Je lutte fleur à fleur contre l’acier du temps. J’écoute les insectes derrière le mur du son, la source sous la pierre et le rire des fées derrière le décor. Je cherche une rivière entre l’immonde et l’immobile. Je porte une civière aux étoiles blessées. Ne creusez pas la tombe. Les morts se dispersent dans les rides et les rires, dans chaque atome d’homme qui cherche la lumière. Un fil de laine nous relie à la pelote du rêve. À l’école des champs, les fleurs enseignent le soleil.

Je lance dans la neige une poignée de braises. Je sème dans la nuit la graine des lucioles et celle des oiseaux dans la terre du ciel. Je rafistole le sang dans le bras mort du temps. Je répare la vie au ventre des berceaux. Que ferons-nous des mots, des images, des rêves ? On laisse la bonté mendier sa pitance sans lui donner du pain. L’espoir est frère du malheur. Le souffle éteignant l’allumette peut ranimer la braise. Je délaisse l’époque pour habiter le temps. Chaque matin porte en lui l’éternité du monde.

Sous les étals, sur les écrans et les moulins à vente, les fellateurs sucent la monnaie du pouvoir. Dans les prisons de verre, on se pend sans un fil. J’oppose au désespoir un visage d’enfant, un crayon à mine aux champs de mines, le désir au désert, la caresse aux prophètes. Ne me dites plus vous ni il ni jamais. Chaque mort parle en nous avec une voix unique. Je désespère de l’homme mais jamais de son chant. Tant qu’il y aura des cris appuyés au silence, des sons sur du papier, des images, des couleurs, des formes dans la nuit arrachées au soleil, je cracherai des mots pour me sentir vivant. Je ne veux pas savoir si j’ai raison ou non. Je témoigne simplement des battements du cœur. La faim mène plus loin que l’appétit des ogres.

J’écris avec la foudre, le foutre et l’absolu, comme un chien qui aboie, comme un loup pris au piège. J’écris avec le sang, la mémoire et la mort, avec la verticale redressant l’horizon, la chanson de ma mère remontant la rivière sur la « Valse Miroir », avec les chants indiens sur les tambours de peau et le ventre des femmes où se nourrit la vie. J’écris avec les manques, les trous de mémoire, les pas perdus, avec la soif du verre et l’avenir du fruit. J’écris pour mes enfants qui me lisent en cachette.

N’écoutons pas les mots qui ignorent le cœur. N’écoutons pas les hommes qui ignorent la peur. Il n’y a que les morts qui suivent les statues. Ils marchent derrière elles en soldats inconnus. Je préfère marcher à hauteur d’émotion et regarder la vie comme vole un oiseau. L’air, la terre et l’eau, toutes les sources, tous les arbres, tous les cailloux nous crient : « Aimez-moi ! Aimez-moi ! » et l’homme continue sans regarder la vie. Je préfère aux idées le partage du peintre. Il habite une parole de lumière où les mots sont ductiles. Il marche en équilibre sur le faîte des regards.

Financiers et marchands, la haine commence à la lisière de vos mots. Le trésor est ailleurs que dans vos dividendes. Devant la porte qui se ferme, je n’ai que mes images pour unique défense, les lèvres inexorables du baiser. Quand le printemps remet la nappe, les fleurs sont pour tous. Les diamants des doigts suffisent aux caresses. Le cœur vient percer la froideur des idées.

7 décembre 2005

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Rob
Envoyé mardi 27 décembre 2005 - 20h25:   

Que dire ? "J’écris avec la foudre, le foutre et l’absolu" , voilà, c'est dit.
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Cécile
Envoyé mercredi 28 décembre 2005 - 11h01:   

Rob, j'aime quand tu écris sous cette forme d'écriture.

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