Le chant de mort , Henri Michaux. Log Out | Thèmes | Recherche
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aar
Envoyé vendredi 24 février 2006 - 15h07:   

La fortune aux larges ailes, la fortune par erreur m’ayant emporté avec les autres, vers son pays joyeux, mais tout à coup, comme je respirais enfin heureux, d’infinis petits pétards dans l’atmosphère me dynamitèrent et puis des couteaux jaillissant de partout me lardèrent de coups, si bien que je retombai sur le sol dur de ma patrie, à tout jamais la mienne maintenant.

La fortune aux ailes de paille, la fortune m’ayant élevé pour un instant au-dessus des angoisses et des gémissements, un groupe formé de mille, caché à la faveur de ma distraction dans la poussière d’une haute montagne, un groupe fait à la lutte à mort depuis toujours, tout à coup nous étant tombé comme un bolide, je retombai sur le sol dur de mon passé, passé à tout jamais présent maintenant.

La fortune encore une fois, la fortune aux draps frais m’ayant recueilli avec douceur, comme je souriais à tous autour de moi, distribuant tout ce que je possédais, tout à coup, pris par on ne sait quoi venu en dessous et par derrière, tout à coup, comme une poulie qui se décroche, je basculai, ce fut un saut immense, et je retombai sur le sol dur de mon destin, destin à tout jamais le mien maintenant.

La fortune encore une fois, la fortune à la langue d’huile, ayant lavé mes blessures, la fortune comme un cheveu qu’on prend et qu’on tresserait avec les siens, m’ayant pris et m’ayant uni indissolublement à elle, tout à coup la Mort vint et me dit : « Il est temps, viens ». La mort, à tout jamais mienne maintenant.


Henri Michaux, « Un certain plume »
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aar
Envoyé vendredi 24 février 2006 - 15h11:   

Texte de jeunesse de Henri Michaux pour lequel j’ai comme une sorte de dévotion.
C’est un des textes qui m’a donné envie d’écrire moi-même, il y a 9 ou 8 ans. Comme ça. Sans raison.
Il enferme les ingrédients qu’il faut pour faire de la poésie de mon goût: un brin de dérision, un brin de moquerie, un brin sophistiqué, un ton légèrement modeste, le rythme incantatoire de la méditation sur soi-même, comme dans la cathédrale de soi-même, un imagerie délicieuse…
La vraie poésie mensonge, où le mensonge est la seule poésie.

aar
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aglaé
Envoyé samedi 25 février 2006 - 19h58:   

Du grand Michaux....et tu en parles bien....de ces ingrédients toujours présents qui donnent un ton unique à ce qu'il nous dit....moi, je l'ai connu après la dernière guerre, dans "Les Lettres françaises", journal disparu depuis longtemps et qui était le seul à cette époque à nous faire découvrir Michaux.
Aglaé
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flo
Envoyé mercredi 01 mars 2006 - 10h42:   

Michaux.... Ah, toute mon adolescence, Aaron, tu viens de me donner une envie de renouer avec cette prose violente, fantastique, surprenante, et revirgorante :-))

un texte très connu, mais qui fait toujours plaisir à relire ( ou à redire):

M E S
O C C U P A T I O N S

Je peux rarement voir quelqu'un sans le battre. D'autres préfèrent le monologue intérieur. Moi non. J'aime mieux battre.
Il y a des gens qui s'assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.
En voici un.
Je te l'agrippe, toc.
Je te le ragrippe, toc.
Je le pends au portemanteau.
Je le décroche.
Je le repends.
Je le décroche.
Je le mets sur la table, je le tasse et l'étouffe.
Je le salis, je l'inonde.
Il revit.
Je le rince, je l'étire (je commence à m'énerver, il faut en finir), je le masse, je le serre, je le résume et l'introduis dans mon verre, et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon: «Mettez-moi donc un verre plus propre.»
Mais je me sens mal, je règle promptement l'addition et je m'en vais.


Henri Michaux


extrait de
"L'Espace du Dedans"
Poésie-Gallimard

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flo
Envoyé mercredi 01 mars 2006 - 10h44:   

UN autre, trouvé sur le net et qui est justifié par la dernière phrase ( tout michaux l'humoristique écorché) :



Nuit de noce


Le jour de vos noces, en rentrant, si vous mettez votre femme à tremper, la nuit, dans un puits... elle est abasourdie.
Elle a beau avoir toujours eu une vague inquiétude.
"Tiens, tiens, se dit-elle, c'est donc ça le mariage, voila pourquoi on en tenait la pratique si secrète. je me suis laissée prendre en cette affaire." Mais étant vexée, elle ne dit rien. Et vous pouvez l'y plonger longuement et maintes fois sans causer aucun scandale dans le voisinage. Si elle n'a pas compris la première fois, elle a peu de chances de comprendre ultérieurement et vous avez toutes les chances de continuer sans incident, la bronchite exceptée, si toutefois cela vous intéresse.
Quant à moi, ayant plus de mal dans le corps des autres que dans le mien, j'ai dû y renoncer rapidement.

Henri Michaux

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