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Gilain
Envoyé vendredi 03 mars 2006 - 14h10:   



J’habite rue d’Alger, devant l’église, derrière le quai de La fosse qu’autrefois arpentaient les filles de joie. C’est beaucoup dire pour un coup tiré à la sauvette, dans un recoin mal éclairé. C’est pas qu’il est besoin de lumière, mais sans doute c’est plus facile pour compter ses sous. Enfin, je suppose, c’est ce qu’on dit. Le train souterrain fait vibrer les maisons, terminus en gare de Nantes. Il pleut comme dans la chanson, plic ploc et sur les gyrophares des compagnies républicaines de sécurité qui découpent dans la nuit des tranches de bleu alternatif qui rendent mon cœur chagrin, enfin, sa peau de squale déjanté.

A Southampton ainsi j’allais, même si la pluie ne parle pas la même langue, traversant les boulevards étirés, sous la mélasse poisseuse du fog et les fumées, le long des enceintes des docks qui accouchent les fantômes des navires. A la halte, derrière les vitrines, entre deux cheminées de briques rouges, on vend des boites de soupe ou de haricots du Chili, des cigarettes Capstan qui donnent l’air marin et la toux. Le soir on peut pêcher dans L’Itchen river des poissons biscornus et tremblant comme la jelly, qui ne portent pas de nom.

Il y a parfois des cloches qui tintent dans l’air du soir comme disait l’autre, mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit (comprenne qui voudra). Donc je suis là, ici et là bas entre Loire et Itchen, entre deux eaux mêlées et quelques Guinness stout qui me font osciller vers aller et retour, des images du temps mélangé. L’autrefois d’après qui jamais ne fut:


Quelquefois encore j’ai l’impression que le facteur va m’apporter des nouvelles. Il vient de traverser le bois et progresse dans le sentier. Dans quelques minutes il va frapper à ma porte. Je me lève et soulève le rideau, à cette heure le bois est pris dans les mailles des filets de brumes. Même s’il était là, je ne pourrais le voir. D’ailleurs, je ne connais plus personne. Ce n’est pas dérangeant. Si je recevais une lettre, il faudrait qu’elle ait pu traverser des milliers d’années, tout ce temps perdu. Probablement que celui ou celle, mais qui ? L’aurait envoyée depuis longtemps ne serait plus.

Donc, pas de courrier aujourd’hui. C’est tant mieux peut-être. Que pourrais-je répondre aux ombres du passé ? J’ai divisé le cercle des heures en des rayons très simples, quoique inégaux. Un vaste pan de nuit qui commence tôt au cadran de l’horloge et se prolonge jusqu’au faîte du matin, un sommet sans liesses. Si je n’aime pas le jour, la nuit me pèse plus encore. Faisceaux de minutes, surtout pour marcher. Les collines alentours sont propices à l’exercice de la solitude. C’est quelque chose aussi qu’il faut apprendre. Bien que l’on ne s’y fasse vraiment jamais. On s’en accommode. Un peu comme regarder moins loin, puis, ne considérer que ce qu’il est nécessaire de voir.

Il y a longtemps, je n’étais pas encore là, un train passait dans le vallon. Il reste quelques tronçons de voie. Mais, la plupart des traverses de chêne ont été récupérées pour faire du feu. Pas vraiment une bonne idée, puisqu’elles sont bourrées de produits chimiques afin de résister à peu près à tout; Les mousses et les vers, la pluie. Quelquefois des cavaliers en suivent la trace dispersée jusqu’à la halte fantomatique, l’abandon d’une gare délabrée au beau milieu de rien. Le territoire était alors une trame de chemins de fer aux parcours ambigus, allant par le travers, jusqu’au mystère des grandes villes, par tous les échelons des lieux-dits, des bourgs, des villages, jusqu’au chef-lieu des décisions, d’engloutir ou repousser plus loin encore, au-delà des limites imaginables, le déplacement.

Il faudrait dire le bruit et la fumée et les pannes fréquentes. Ce n’est pas si simple de passer. Il y a toujours dans les rouages un fétu, une escarbille qui retiennent d’aller.

Finalement le facteur est venu, voir simplement. C’est étrange ces gens qui viennent annoncer que rien n’est arrivé. Bien que cela en valait le détour, puisque d’ici, vous savez, parfois on peut discerner la mer, un bout de bleu qui tremble gélifié au fond de l’horizon. Il faut le désir et des yeux d’épervier pour deviner qu’au loin des vagues bougent dans le paysage. Nous parlons très peu, lui veut savoir, moi je ne demande rien de ce qui se trame ici bas, au creux de la vallée.

Cela étant, comme disent les imbéciles, cela étant, je ne parle pas de vous, la dernière fois que je suis passé à Nantes, j’ai réussi à me perdre dans le labyrinthe des sens interdits. Près de l’île Feydeau sur laquelle j’ai également habité et qui n’en est pas une depuis qu’on lui a jeté (?) sur l’échine, des ponts. J’allais à Saint-Nazaire, au moins on voit la mer, derrière la raffinerie, en se tordant le cou et le joint de culasse: Bilan à la louche 750 euros, une mécanique pas très fluide.

Nonobstant, ce n’est pas que la vie est, ni plus ni moins belle. Je ne sais pas ce qui lui prend de passer, surtout de repasser jusque dans les moindres plis, puisque ce qui fut n’a jamais été devant, oublieuse mémoire, ni sens, ni leçon. Vous n’avez pas supplié que l’on n’oublie, mais demandé de vivre comme si de rien n’était des monstres, le vide, tessons qu’il fallait traverser.



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jml
Envoyé vendredi 03 mars 2006 - 17h35:   

la vie revient.
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gilain
Envoyé vendredi 10 mars 2006 - 00h22:   

ici gilain à lire

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