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Danielle
Envoyé samedi 14 février 2004 - 19h45:   

Extraits Dire I

Plus penser pas entendre. Ni vent ni pluie qui terrasse contre terre, sous les herbes mouillées dégoulinantes. Démission depuis tant de mois. ne plus savoir attendre. J'attends dans le vaste, haletant, déraisonnable, pendant de longs moments atroces, ne plus pouvoir se résoudre à la patience.

Le monde crie, ce monde-ci, le monde maintenant, au-delà des murs des chambres chaudes, au-delà de nous liés. A travers les voix revient le grondement plus fort, plus puissant pour nous envahir. Appeler ta force pour supporter, te sortir de la douceur, t'apporter la dureté cruelle latente autour de nous. Qui se suicide. Qui se sépare. Toi et moi arrachés. Capitule, vivante encore. Je suis entre le tremblement désespéré et l'apaisement qui plane, éloigné, silencieux. Entraîné de l'un à l'autre par la peur.
Face à moi la ville. Descente de la rue en pente, calme et fuyante, penchée légèrement en arrière. Arrivée à l'intérieur pour ne pas la voir de haut, sur les hauteurs, des lieux un peu éloignés rassurants. Pénétration immédiate dans la chaleur opaque. Ma lancée trébuchante sur tous les obstacles vivants, sur la dureté d'ensemble.

Voilà enfouie comme la ville toute révolte, celle qui grandissait qui montait, souterraine d'abord, de toute la ville, des gens, sourd bourdonnement aussi, à l'intérieur, le long des nerfs, sans arrêt, énorme bruit croassement aux oreilles. Assez de toutes ces violences continues. Elles s'apaisent en sourdine, alors qu'elles devraient exploser là en bas, sous nos yeux -- quelle explosion -- un déferlement soudain de tout, tout soudain déchaîné, tous sens, tous mouvements, et cris vers quoi, sans limite cette tuerie. Beaux crimes commis brusquement pour la violence toute seule au centre, dans la chair retournée autour du couteau des pinces des grilles. De nouvelles répétitions enfin. Réapprendre aussi maintenant les aigus, par les pointes, barres de dents serrées refermées sur un doigt, et la main mutilée caresse malgré tout le front silencieux écrasé -- hurlant du besoin de déchirer encore.

Et puis le silence froid des chocs enfouis. On ne peut plus déceler l'origine, le point de départ. Qui parle ici, sans que je puisse faire cesser ces paroles de haine et de peur, qui commence tous ces gestes d'impuissance à mon bras droit, levé très haut, étiré plus que d'habitude, les doigts très loin au bout qui se décident à griffer l'air épais. Il n'y a rien à ramener, rien à s'unir, pas même quelques vagues légèretés. Repli du bras qui garde sa longueur impressionnante et reste tendu, témoin d'un effort ridicule.

Me joindre à ces ordres qui partent de moi, tellement dangereux de rester en arrière, se laisser distancer par ses mots, ses souffrances. Pas de retard derrière eux, haletant toujours, leur rapidité. Ils arrivent à la fin de ma vie avant moi. Je les vois là-bas s'emmêler. S'emmêler et te prendre à bras-le-corps, te jeter dans le fleuve qui ne peut servir à rien d'autre. Tu te défends mal, tu les repousses par les épaules, les pieds agrippés au rebord, tu ne tiens pas longtemps contre eux, tu finis par déraper glisser sur la pierre humide et tomber lourdement.

Aujourd'hui seule dans ces murs, aujourd'hui dans ces rues. Pas un seul pas sans baigner dans le soleil, sortie pour un moment à la rencontre - courte pose et répit parfois, à regarder les choses, à voir avec tendresse les mouvements, les courbes lentes déroulées dans l'espace, fond gris et limpide, ciel de fin d'hiver avec des images naissantes des rappels confus.


***


Extraits Dire II

Je dure. Trembler de cette nuit glacée. Ne plus rien trouver pour couvrir tiédir cette peur. Non ce n'est pas encore le corps, dans cet achèvement, pas encore. Je refuse sans force – quelle force avoir contre cette destruction – mes blessures infectées sans cesse avec tellement de soi.

Par toi isolé de la révolte, des cris étrangers. Douleur de n'être plus atteint par la distraction, aidé par les voix. Soutenir encore la tête avec les genoux. Le front vers la terre, le regard dépouillé sur le sol transparent livide.

Je ne prévois plus. Je veux m'endormir, maintenant, à partir de ce moment, si c'est possible – ne plus déplacer les choses, ne plus remonter au soleil. Plus d'obstacles – le chemin plat et lisse, sans colline sans rocher.

Vouloir l'impossible – gémissements qui s'enflent à nouveau au ras du sol pour relever un visage durci le renverser sur les épaules, l'oeil ouvert sur des nuages.

Sur la ville, qui s'approche des paupières, avec son dard de fer, transperce mes yeux jusqu'au sanglot.

Calme gagné à ce prix chaque jour, au prix de chaque démission de chaque refus. Déroute à l'horizon d'une ville, d'un océan.

Simplement là où on ne peut plus aller. Le fleuve franchi, de l'autre côté la mort douce, le souffle devenu calme le corps si las – on flotte au-dessus comme une âme, on devient tout azur. Qui touche encore terre, qui a encore peur du froid.

Misère plus grande des jambes liées, mises aux fers – le fond de la cale, le fond d'un tombeau.


***


Extraits Il donc

Il – coule – il se cogne – heurté aux murs – il se ramasse – piétine – il ne va pas loin – quatre pas vers la gauche – nouveau mur – il tend les bras - s'appuie – appuie fort – frotte sa tête – encore – plus fort – le front – là – le front – fait mal – frotte plus fort – s'irrite – pas le front – de l'intérieur – pleure

un corps là – qui s'exerce à la douleur – comme s'il n'en avait pas assez de cete souffrance – - à chaque instant – par flots – par vague immense – s'essayant au dérisoire de l'exercer –

murs fictifs aussi – murs sans nécessité - non – seulement à voir du côté de l'invisible présent – ici – face au corps démuni – bras immobiles balayant pourtant l'espace autour sans rencontrer de support ou prendre appui – attache provisoire – rien qu'un instant – pour ralentir son souffle – ralentir les battements – s'apaiser – ce corps cherchant la place – le creux où se refondre encore – chaleur rompue – et froid du monde autour – sa place ou position incertaine à inscrire contre le manque – les heurts du jour

pour l'instant – si l'on veut – joue – entre en scène le corps – parlant – mots par résonance – se fraient des voies – par flux – à travers les couches de mots – dépôt horizontal – au fond de quoi

parfois s'échappe – s'isole – solidifié – un mot – muré à l'intérieur – n'échappe pas – il crie – hurle – toujours même mot – se tord – étouffe – sans expulsion – ni crachat – ni vomissure – brûlure lente – foudroyante


voix silence souterrain

profondeurs calmes

à rompre

à surgir encore du sol – plissements et fractures – ruptures des épaisseurs – surabondance des couches – en difficulté d'être au jour – sortir au visible – à l'écoute – corps s'éloignant toujours – désir au-devant la parole – d'atteindre un mot – lente traversée

ou projeté – expulsé

ou vomi en malléable – à dire – l'éveil

bouche ouverte enfin – désespérant – afflux – douleur


***



Danielle Collobert est née le 24 juillet 1940 à Rostrenen, en Bretagne, elle s'est suicidée à Paris en 1978 le jour de ses 38 ans.

Auteur d'une oeuvre majeure :
« Meurtre » Gallimard, 1964;
« Dire I et II » Change, Seghers, 1972;
« Il donc » Change, Seghers, 1976;
« Carnets » Change, Seghers, 1983.

Aucun de ces livres n'est actuellement disponible, ni réédité. Selon les dernières enquêtes menées par la police poétique il resterait disponible sur le marché :
« Recherche » éditions Farrago (ex Fourbis), 1990
« Survie » Orange Export Tld, 1978 (réédité par Flammarion en 1986)
« Chants des guerres » éditions Caligrammes, 1999

Mais à vrai dire, il n’y a que « Chants des guerres » qui survivent encore.

Dernier espoir, en 2004 une édition des œuvres complètes de l’auteur devrait être publié par un grand éditeur…
Sinon, en attendant, elle est publiée à New York pour ceux qui y sont…

Piqué sur : http://www.remue.net/cont/collobert.html
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Nadjaphtaline
Envoyé samedi 14 février 2004 - 21h08:   

Quelques auteurs pourraient lire ses textes à

l'occasion du printemps des poètes qui a lieu

du 7 au 14 mars.


Je ne pense pas qu'il y ait des droit à payer pour la lecture d'un texte d'auteur.

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