Poètes roumains Log Out | Thèmes | Recherche
Modérateurs | Fiche Personnelle

66 zone franche - Le forum de Francopolis » Poésie du monde » Poètes roumains « précédent Suivant »

Auteur Message
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé lundi 15 novembre 2004 - 18h32:   

MIRCÉA CARTARESCU (né en 1958)


Le pohème de l’évier

Un jour le poème se prit d’amour
D’amour pour une petite étoile bleue dans un coin de la fenêtre à la cuisine
Il se confessa à la toile cirée et au pot de moutarde
Il pleura sur les couverts déjà mouillés.
Un autre jour l’évier se déclara :
- petite étoile, ne brille pas sur la minoterie
descends, car elle n’a pas besoin de toi
elle a dans ses caves une centrale électrique et des ampoules l’éclairent
tu gaspilles tes dorures en les posant sur les toits
et les paratonnerres,
petit étoile, mon nickel te désire, mon robinet a gargouillé
des chansons pour toi, en faisant de son mieux
tu plais déjà
aux assiettes qui sentent encore le poisson en conserve.
Viens, et tu brilleras toute la nuit sur un royaume de linoléum
Princesse des cafards.

Mais, hélas ! l’étoile bleue ne répondit pas à cet appel
Car elle était amoureuse du presse-purée
D’une comptable de poméranie
Et passait ses nuits à le boire des yeux.
Aussi sur le tard l’évier se posa-t-il des questions sur le sens de l’existence et sur son objectivité
Et sur le plus tard encore il fit des propositions à la toile cirée.

… il y a longtemps, je me suis impliquée aussi dans le jeu de l’amour,
moi, la déchirure du rideau, qui vous ai raconté cette histoire.
J’étais amoureuse d’un superbe berliet beige que je n’ai vu qu’une fois…
Mais n’en parlons pas, j’ai maintenant des enfants à la maternelle
Et tout le passé me paraît être un rêve.

Traduit du roumain par Alain Paruit







MARIANA MARIN (née en 1956)


Sonderkommando *

Pendant longtemps il n’y eut pas d’autre vie pour nous
Que celle d’un rire étranglé dans les chambres à gaz.
Pendant longtemps nous eûmes la muselière plaquée sur l’âme,
Tandis que les mots nous évitaient,
Décervelés.
Charrieurs de cendre aujourd’hui,
Cendre de demain,
Nous dépassions en splendeur les Inquisitions d’antan
(bien que parfois – dans les débuts –
nous ayons pleuré par pudeur sur leur sein, et baisé leur dextre).
Suicidaires au service des suicidaires,
Nous regardions le levant et le couchant en même temps.
Les corbeaux qui rôdent quelquefois la nuit autour de vous
Sont nos ombres
Qui vous accompagneront lentement vers l’euglena viridis
Dans de légers sacs à gaz
Tous les mensonges sur la liberté.

* On appelait ainsi dans les camps d’extermination nazis les équipes de déportés chargés de retirer des chambres à gaz et de transporter aux fours crématoires les cadavres de leurs camarades.

Traduit du roumain par Alain Paruit

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

yv
Envoyé lundi 15 novembre 2004 - 23h10:   

Merci pour sunderkommando.
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 19 novembre 2004 - 23h24:   

MARTA PETREU (née en 1955)

Exercices de soumission

Encerclée. Encerclée.
Les armées concentriques de la terreur
Manoeuvrant autour de mon existence de quatre sous

Mon drapeau violet flotte dans mes yeux
Sous leur nez
Sous les yeux avides impudents des espions
Je donne des signes de liberté intérieure j’écris des poèmes
Publiables ou non

Arrête donc bon Dieu d’écrire des poèmes
Arrête
Arrête de faire flotter ton chiffon violet
En lambeaux
Avec lequel en fin de compte
Tu essuies tes chaussures

En moi la panique s’accroît

En moi la panique s’accroît et se répercute :
Ces années concentriques flaireront ma panique
Feront jonction avec elle

Mes yeux se décolorent comme un blanc d’œuf dur
Le chiffon à poussière s’imprègne de poudre
Devient blanc blanc
Comme une robe de mariée
Comme un message de paix dans une guerre de paysans

Arrête d’écrire des poèmes
M’ordonnent les haut-parleurs
Des hymnes et des odes oui des hymnes et des odes
(sur les armées de la peur oui
sur les armées de la peur)

Oui. Oui. Oui.

Et j’arrête.

Traduit du roumain par Odile Serre

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé vendredi 19 novembre 2004 - 23h30:   

Eh bien ! Encore une fois ces roumains n'ont pas peur des mots ni des hauts parleurs !!! C'est un poème à lire à haute voix ! A déclamer à tue tête penché à son balcon !
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé vendredi 19 novembre 2004 - 23h45:   

Nichita Stãnescu

La leçon sur le cube

On prend une pierre
on la taille avec un ciseau de sang,
on la polit avec l'oeil de Homère
on la racle avec des rayons
jusqu'à ce que le cube devienne parfait.
On embrasse ensuite plusieurs fois le cube
avec sa bouche, avec la bouche des autres
et surtout avec la bouche de l'infante.
Après quoi on prend un marteau
avec lequel on écrase vite un angle du cube.
Tous, mais absolument tous diront d'une même voix:
- Quel cube parfait aurait été ce cube
s'il n'avait pas eu ce coin brisé!

Nichita Stãnescu

http://www.romanianvoice.com/poezii/poeti_tr/stanescu_fra.php
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé vendredi 19 novembre 2004 - 23h52:   

Un très bel article sur les poètes roumains contemporains

http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/boutures/0103/creations.html
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 19 novembre 2004 - 23h56:   

Merci pour le lien Cécile. Je me suis régalé.
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 20 novembre 2004 - 00h57:   

MIRCEA CARTARESCU

Tu possédais toutes sortes d ‘objets électriques

Tu es fait autrement que moi, tu m’effrayes.
Tu es un monstre, j’ai peur de toi.
Tu as des choses que je n’ai pas. Tu as des seins, âr exemple,
Du toupet,
Tu as des tas de robes, tu as des cousins universitaires.
Et, mon dieu, tes cheveux dégoulinent sur tes reins
Comme un semi-remorque t.i.r., fantomatique et serein
Qui passerait sur le boulevard pesamment.
Et tu as des hanches, et tu as des crises, tu as des amants…

Tu dois avoir un inconscient de cocagne
Qui pourrait effacer à lui seul les différences entre la ville et la campagne
Mettre fin à la violence et la pornographie des spectacles
D’un seul geste, ou avec une potion miracle.
Non, si tu étais un documentaire sur les valences des éléments chimiques
Et moi de la tôle sur le toit d’un silo
Nous ne serions pas plus différents
Dans la réalité pleine de voitures, d’odéons, de madiran.

Je tremble quand tu me touches, je tourne de l’œil quand j’entends ta voix au téléphone.
Pourquoi une créature comme toi doit-elle exister ?
Et pourquoi doit-elle ne plus exister maintenant ?
Garce, rouquine, coureuse,
Mantille sur des mâchoires de pacotille,
Oie blanche !

Traduit par Alain Paruit
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé jeudi 02 décembre 2004 - 22h05:   

GELLU NAUM

LES SECRETS DU VIDE ET DU PLEIN

Il réchauffait sa langue au soleil
Il plantait son petit doigt dans la terre afin qu’il fleurisse.
Il se frottait les mains lorsqu’il avait froid
Il enfilait ses bas tandis qu’il se murait
Il s’enfermait à clé pendant qu’il se coiffait
Prenait un miroir alors qu’il s’enfuyait
Quand il regardait l’eau, des cercles se formaient
S’il quittait ses bretelles, sas jambes tombaient.

Traduit par Christian Audejean et Dumitru Tsepeneag

Gellu Naum, dans Quinze poètes roumains, choisis et présentés par Dumitru Tsepeneag, éditions Belin, page 11
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé jeudi 02 décembre 2004 - 22h06:   

Gellu Naum - Né en 1915.
Etudes de philosophie à Bucarest et à Paris où il se rapproche des surréalistes, invité par André Breton à publier avec son ami Victor Brauner dans la revue "Minotaure".
Poète, prosateur, traducteur, auteur de théâtre, fondateur du groupe surréaliste roumain.
Marginalisé sous le communisme en tant que créateur, Gellu Naum se consacre à la traduction des classiques français, mais aussi de quelquess contemporains tels Kafka, Beckett, Prévert ou René Char. Il publie aussi plusieurs volumes de ses propres poèmes: "De l'autre côté", "Le chemineau incendiaire", "La rive bleue", ainsi que le roman "Zénobia".
A la demande de ses amis acteurs, il écrit pour la scène "Le neveu de Rameau", adaptation d'après Diderot, suivie par des oeuvres originales: "Exactement dans le même temps", "L'Ile", Peut-être Eléonore..." et "L'Horlogerie Taus".
A l'exception du premier, les trois textes paraîtront en volume aux Editions "Cartea Româneasca", en 1979. Les deux dernières pièces seront montées, après 1989, au "Teatrul Mundium", à Bucarest.
Dans le cadre du programme bilatéral franco-roumain Face à face, "Peut-être Eléonore"..., dans une mise en scène d'Alexandru Tocilescu, fut programmée pour une série de quatre représentations à Paris, sur la scène du Théâtre Molière - Maison de la Poésie.
L'oeuvre poétique de Gellu Naum, décédé fin 2001, traduite dans plusieurs langues de grande circulation après 1990, a été distinguée par de nombreux prix littéraires, en Roumanie et à l'étranger.
http://www.atelier-traduction.com/decouvreur/repertoire-fr/roumanie/naum-fr.htm
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé samedi 04 décembre 2004 - 15h02:   

MIRCEA IVANESCU (1931)

SUR UNE CHAISE

Ecrire des poèmes sur des objets – commencer par
exemple par une chaise, parler d’elle en tournant tout
autour, ou même en s’asseyant dessus, ou au contraire
en la repoussant du pied – dire ce qu’elle peut être,
ce qu’elle peut signifier, et comment de l’intérieur
s’explique cet assemblage de bouts de bois qui forme
un meuble, et puis glisser imperceptiblement (mais
est-ce à dire alors que tu t’es assis sur la chaise dont
tu parles ? ou que tu t’es simplement arrêté la main
appuyée sur son dossier ? ou que, modestement, tu
t’es assis par terre près d’elle ?) vers d’autres choses
plus importantes, plus personnelles, plus humaines
que la chaise.
A partir de cette poésie des objets, au mois par des sous-
entendus, finir toujours par en arriver à ce qui
t’intéresse – c’est-à-dire toi – (croire que c’est
normal, mais en réalité quelle gâterie cette vie en eau
tiède qui est la tienne, par commodité, accepter les
clichés et conserver néanmoins l’impression d’avoir
une grande responsabilité poétique ; et croire que tu
fais ainsi de la poésie réelle).
Autrement dit ceux qui ont écrit des poèmes – ou si
vous préférez ceux qui ont souffert en cet endroit,
en leur personne maculée, purifiée (ils ne pouvaient
savoir si oui ou non ils étaient sauvés) – n’étaient
pas assis sur des chaises.
Il déambulaient – Dante le dit – en tenant leur propre
tête entre leurs mains, comme on tient une lanterne,
ils allaient et ils venaient – et s’ils avaient rencontré
une chaise ils ne l’auraient même pas renversée d’un
coup de pied.
Ils l’auraient évitée.

Traduits par Bernard Noël et Dimitru Tsepeneag.

Mircea Ivanescu dans Quinze poètes roumains, choisis et présentés par Dumitru Tsepeneag, éditions Belin, page 57

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé samedi 18 décembre 2004 - 12h24:   

LE GRAND RENONCEMENT

Il y a du grand renoncement dans ce crépuscule, de la déception
la chair m’est lourde chimère
comme il est étroit le ciel, comme les astres sont peu nombreux,
je m’éloigne et ils s’éloignent
dans le même renoncement.
Triomphante est la pierre, triomphante est la nuit
et l’oiseau et la croix qu’il porte en volant
et le grand rayon de la mort qui fleurit
de blanches vierges dans les jardins.

Et il y a du renoncement dans ce crépuscule, de la déception

Le ciel s’abîme en lui – elle est tellement étrange
sa douleur comme si elle me connaissait.
Je ne m’en étonne pas, réconfort
Eternelle est ma naissance et éternelle
Déception est ma mort

Extrait de « terrible apothéose », 1973

George Alboiu dans Poètes roumains contemporains, choix et présentation d’Irina Petras, éditions Ecrits des forges, page 18

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé mercredi 05 janvier 2005 - 20h47:   

Je n’avais rien à perdre, sinon,
sinon l’ombre d’une corde sur le mur de ma maison,
sinon sur mes épaules de femme la cicatrice du mépris,
sinon sur mes vers en la page alignés la risée qui pèse lourd…

Je n’avais rien à perdre, sinon,
sinon le vent de la terreur dans les branchages de mes nerfs,
sinon l’oiseau de la solitude aux yeux crevés,
sinon l’insigne de la confusion, sinon les préjugés…

Non, je n’avais rien à perdre,
sinon des âges et des âges marqués par le joug et les nuques pliées…

J’avais tout un monde à gagner !

Nina Cassian dans Introduction à la poésie Roumaine, éditions Club des amis du Livre Progressiste (1961) page 149
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Cécile
Envoyé mardi 18 janvier 2005 - 22h50:   

UN CIMETIERE DE ROSEE

"La peur se niche en moi
probablement sans aucune raison.
Comme la poussière de l'aube
dans le corps de La Nuit.
Il me faut entendre
les battements de mon coeur
pour que j'aie conscience d'être seul.
Bientôt je ne saurai plus
jaillir du Rien.
Je suis blessé
par le stigmate du
détachement du mot.
La peur se niche en moi
probablement sans aucune raison.
Le bientôt s'est incarné dans le passé.
Fauve malade de vérité,
l'illusion me nourrit.
Je porte sous ma paupière
un cimetière de rosée..."

UN CIMITIR DE ROUA

"Teama se-ncuibã în mine
poate fãrã nici un motiv.
Ca pulberea zorilor
în trupul Noptii.
Trebuie sã-mi aud
bãtãile inimii
sã mã þtiu singur.
În curînd nu voi mai þti
sã mã nasc din Nimic.
Mã sîngerã
stigmatul
desprinderii de cuvînt.
Teama se-ncuibã în mine
poate fãrã nici un motiv.
Curîndul s-a întrupat în trecut.
Fiarã bolnavã de adevãr,
mã hrãneþte iluzia.
Port sub pleoapã
un cimitir de rouã..."

Valeriu Stancu, Autoportrait avec blasphème, édition bilingue, Amay, L'Arbre à Paroles, 2001, pages 34-35.

Sur Valeriu Stancu :
http://www.poeticas.com.ar/Directorio/Poetas_miembros/Valeriu_Stancu.html

Le postage de nouveaux messages est actuellement désactivé dans cette catégorie. Contactez votre modérateur pour plus d'informations.

Thèmes | Depuis hier | La semaine dernière | Vue d'ensemble | Recherche | Aide - Guide | Crédits programme Administration