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Juliette
Envoyé mardi 19 avril 2005 - 23h50:   

Antonin Artaud - Antigone chez les français

Antigone chez les français


à Gaston Ferdière*,

Le nom de l'Antigone réelle qui marcha au supplice en Grèce 400 ans
avant Jésus-Christ est un nom d'âme qui ne se prononce plus en moi que
comme un remords et comme un chant. Ai-je assez maché au supplice
moi-même pour avoir le droit d'ensevelir mon frère le moi que Dieu
m'avait donné et dont je n'ai jamais pu faire ce que je voulais parce
que tous les moi autres que moi-même, insinués dans le mien propre
comme je ne sais quelle insolite vermine, depuis ma naissance m'en
empêchaient.
Qui me redonnera à moi aussi mon Antigone pour m'aider dans ce dernier
combat. Le nom d'Antigone est un secret et un mystère, et pour en
arriver à avoir pitié de son frère au point d'en risquer la mort et de
marcher au supplice pour lui, il a fallu qu'Antigone mène en elle un
combat que personne n'a jamais dit. Les noms ne viennent pas du hasard
ni de rien et tout beau nom est une victoire que notre âme a remportée
contre elle dans l'absolu immédiat et sensible du temps.
Pour que ce nom indescriptible de victoire revienne à moi dans
l'incarnation personnelle et formelle d'une femme et d'une soeur il
faut que je l'aie mérité comme elle et qu'elle l'ait mérité comme moi.
On n'est pas frère et soeur sans avoir mené ce suprême combat interne
d'où le moi personnel est sorti comme une proche et parente victoire
sur les forces de je ne sais quel abominable infini.
Le frère d'Antigone est mort à la guerre en se battant contre ses
ennemis et il a mérité qu'Antigone l'approche à l'heure de l'ensevelir
sans un combat parent de celui de son frère, non sur le plan de la vie
réelle mais sur celui de l'éternel infini.
Or l'infini n'est que cet au-delà qui veut dépasser notre âme et nous
fait croire qu'il est ailleurs qu'en notre âme, alors que c'est
l'inconscient de notre âme qui est cet au-delà d'infini.
Antigone est le nom de cette victoire terrible que le moi héroïque de
l'être n'a remportée sur les forces obtuses et fuyantes de tout ce qui
en nous n'est ni être ni moi, mais s'obstine à vouloir se faire
prendre comme l'être de notre moi.
Nul n'a jamais pu être Antigone sans avoir su d'abord dissocier de son
âme la force qui la poussait à exister, et avoir su trouver la force
contraire de se reconnaître comme différente de l'être qu'elle vivait
et qui la vivait.
L'être que je vis ne me prendra pas, et je ne prendrai pas cet être
pour mourir et m'en aller, mais pour parvenir à m'en détacher et ne
pas sombrer dans l'illusion qui consiste à croire que je ne suis que
le corps où la vie m'avait enterré, il me faut cette main de pitié que
la force Antigone de l'être avait su détacher de son être contre
l'être où elle se voyait.
Car nul n'a pu pleurer sur un mort s'il n'a d'abord pleuré sur
soi-même, et s'il n'a su ensevelir son soi-même comme l'autre de son
moi : le mort.
Bien des corps étrangers montent en nous à toute heure qui veulent
prendre la place intouchée de notre âme, et le Français est ce moi
éternel qui n'a jamais abandonné son âme, et comme saint Louis a mieux
aimé mourir de la peste que de céder à ses ennemis.
Et nous n'avons pas de plus grand ennemi au monde que notre corps au
moment de la mort.
Nul pas pu être Français et naître en France s'il n'a pas su un jour
se dissocier de ce corps qui nous enserre comme un ennemi étranger, et
contre lequel il a gagné sa nature, et tout ce qui est en France et
Français est la conséquence de ce combat ; mais qui le sait encore
aujourd'hui.
La terre de France fut le théâtre d'un étrange et mysérieux combat qui
a eu lieu en réalité et qui eut sa date dans l'histoire mais
l'histoire n'en parle pas. -
Et pourquoi ?
Des milliers d'hommes sont morts en France en groupe et pour leurs
idées et l'histoire n'en a jamais parlé. Des héros se sont fait brûler
un jour comme des soldats qui marchent au feu, et ils l'ont fait pour
perdre leur corps afin d'en retrouver un autre que l'Antigone de la
pitié éternelle puisse approcher pour l'ensevelir, et lui donner de
quoi ressusciter.
Et cela s'est passé à une époque voisine de Jeanne d'Arc et de son
supplice, car le supplice de Jeanne d'Arc est ce que l'histoire écrite
a su garder et relater de cette volonté de combustion corporelle par
laquelle le moi Français de l'homme se débarrasse de l'ennemi étranger.
Ils sont morts pour surmonter leur corps ces Français, mais où
sont-ils et où attendent-ils maintent que leur soeur Antigone revienne
qui les rappellera du feu dans un corps, et donnera une terre à ce
corps reconquis à travers le feu pour que son âme puisse toujours
l'habiter ?
Ils sont en France, et c'est dans des corps de Français vivants qu'ils
ont attendu jusqu'à aujourd'hui que l'Antigone de l'Eternel revienne
qui leur permettra de revivre leur mort.
- Ceci afin de retrouver la vie.
La France n'a pas été appelée la terre des héros sans une raison
extraordinaire, et parce qu'elle a été la terre de ceux qui ont mieux
aimé aller au feu et sous la terre que de consentir à ce corps
étranger qui vit sur notre âme comme un étranger. - De cette terre où
ils sont tombés, l'Antigone de l'éternelle lumière redescendra pour
les sauver.

Antonin Artaud
cueilli dans ses "Oeuvres"
éditions Gallimard, collection Quarto

* Gaston Ferdière est le médecin-psychiatre qui s'occupait d'Antonin
Artaud à l'asile de Rodez, où Antonin Artaud est resté interné presque
dix ans dans une grande misère physique. Un groupe d'amis l'a aidé
pour le faire sortir de l'asile et lui trouver un lieu près de Paris,
toujours un établissement mais où il aurait la liberté de pouvoir
sortir quand il le souhaitait

un DVD de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat sur Antonin Artaud vient
de paraître chez Arte/vidéo et propose la fiction "En compagnie
d'Antonin Artaud" (qui est interprété par Sami Frey. La fiction
retrace l'amitié d'Antonin Artaud et de Jacques Prével en s'inspirant
de livre de Jacques Prével) et le documentaire "La véritable histoire
d'Artaud le Mômo" où le cercle d'amis d'Antonin Artaud retrace sa
mémoire, chacun raconte son souvenir d'Artaud, la trace, la voix
qu'Artaud laisse en lui (il y a bien sûr la présence de Paule Thévenin
éditrice des oeuvres complètes d'Antonin Artaud et de ses dessins et
portraits, le souvenir de l'actrice Colette Thomas, de Jean Paulhan
qui avait édité Antonin Artaud et aidé les amis d'Artaud à sa sortie
de Rodez et le souvenir d'Arthur Adamov qui a beaucoup contribué à
faire sortirAntonin Artaud à Rodez en frappant à la porte d'auteurs et
de peintres célèbre pour organiser une vente aux enchères de livres et
de peintures afin d'obtenir l'argent permettant de libérer Antonin
Artaud et de le placer ailleurs). En bonus il y a "Jacques Prével, de
colère et de haine" (les trois documentaires avaient été diffusés il y
a longtemps à la télévision...)

Pour découvrir les mots et les mots-cris d'Antonin Artaud, la lecture
du recueil paru chez Quarto dont vient ce passage est vraiment très
bien, il réunit de nombreuses lettres, des articles, des inédits et
ses oeuvres essentielles dont "l'ombilic des limbes", "le pèse-nerfs",
"le théâtre et son double", "van gogh ou le suicidé de la société",
"pour en finir avec le jugement de dieu", "suppôts et suppliciations",
"les tarahuramas", "artaud le mômo", "héliogabale ou l'anarchiste
couronné", "ci-gît précédé de la cuture indienne", "messages
révolutionnaires", "les cenci" etc

Un CD où l'on entendra Antonin Artaud lire "pour en finir avec le
jugement de dieu" (et sa voix c'est vraiment le rythme mis à vif, à
nu, à vie, à mort, à mot) est édité chez france culture

http://membres.lycos.fr/rascalpo/quatriemepartie.htm
sur ce site , vous pourrez lire "Antonin Artaud et l'inscription du
cri" l'intégralité d'un mémoire de maîtrise (sous la direction du
poète Ludovic Janvier) consacré à Antonin Artaud


et là "Artaud et ses doubles", un entretien avec Jacques Derrida
http://www.jmolivier.ch/derrida.htm

mon blog "les reflets de clochelune"
http://spaces.msn.com/members/clochelune/


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