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  ali
  | | Envoyé vendredi 09 décembre 2005 - 21h25:    |  |  
  SUR UNE MORT ANONYME    Et qui donc ici-bas hurle sinon l'ère  seule? Délitant l'astre dur,  innée mais très froide dans ma prunelle   suintant du puits puant mon idée suintant  du sang qui tue en moi le très vieux suicidaire.    Ni l'escarpe ni le tonnerre  ni la poudre ni le sicaire  éclairés en torrents sur mes yeux de pagure  qui donc tue en moi le très vieux rêve vomi  en étincelles contre et envers  cette amulette qui me tient lieu de sarcophage?      Dieu vide et évite la place ou erre  ce tombeau rare, mais un enfant,  un adulte cousu dans la peau des méduses   fuit devant le cercueil porté par cette mer   ne jurant rien, écume suant à même  mon visage qui n' est qu'un volcan mon visage.    Il sortit du coeur d'astres mûrs pour l'éclipse, se  transforma en clown, seps, outre de résine, il fit un   saccage tel que les murs régnèrent sur son enten-   dement. Jamais pentatome ne fut plus immanent! Ici,   une querelle de bédouins. Là, une manne ou un éclat   de roc libérant la source par quoi je bride le monde:   guenilles, râpes, roquettes, bousculades sanglantes,   charniers luxuriants.    A mes pieds, la terre convulsée: tout s'en va, oui   tout fout le camp. Mauvaise langue, que dis-tu? En   voici un qui mange son ictère. Un autre qui cor-  rompt ma chair. Il s'endort dans le jaune lunaire.   L'outre est pleine du lait des mères. Et voici le vieux   hère assis sur sa couronne de crânes réduits. Sa tête   enfourne les balles perdues. Un enfant de comète   presque aussi vieux que toi nargue ce chien; la mer   en bas casse le caillou, toutes portes ouvertes sur   les mantes qui grugent le pays. Aïss, dit le Berbère   qui fit le voyage à la limite du Temps. Mais le vieux   hère le frappe avec son fouet d'aspics. Je bande mon   rire et m'en vais.    Toute montagne a sa racine dans ton oeil, dit encore   le Berbère qui fit le tour du soleil. Le vieillard Maître   de l' Apocalypse est avec lui; ils marchent sur les   scories d'un monde que tu verras. Mais ils te haïssent,  ils ne t'attendront pas. Ta naissance fut leur arrêt   de mort. Les voilà qui scrutent le ciel. Ils épient   le vol des oiseaux. Le ciel est uniformément vert, il   ne s'y passe rien. Pas un oiseau au-dessus d'eux. Ni   dans la vallée, - plus bas. Tout est si violemment illu-  miné que le vieillard se protège la vue, tout est si   totalement dénué de vie que le Berbère qui fit faire   au soleil le tour de la terre avec son seul turban   cherche en vain à se cramponner aux visions de   soufre qui le transpercent. Mais rien ne vient du ciel,   aucun nuage de pluie, aucune fumée. Le monde n'a   pas encore commencé. Silhouette sans plus, le vieil-  lard et le musicien décrivent des cercles dans la montagne.    Est-ce encore le rêve, vraiment... ou est-ce seulement   ce que nous appelons fantasmes? Est-ce que je suis   couché dans la pluie, molécule de feu errante... ou   seulement bercé par le bruit des vagues? Pourtant,   je marche. Nous nous éclipsons mais nous nous   retrouvons, chacun suivant l'autre comme les ondes   d'une parole émise depuis longtemps. C'est la vie   de la pierre, la mémoire en décomposition. Peut-être   une agression perpétrée contre le socle.    Aucune saison n'a calligraphié ces traces nommées  désert. Et d'abord y a-t-il ici un désert autre que  celui de l'intelligence rabrouée? Mises à mort de   conspirateurs anonymes, rancunes et hargnes à fleur   des os, tueurs fuyants et murs roussis, voilà ce que   voit le vieux hère lorsqu'il daigne abandonner sa   monture. Ce qui n'existe pas encore sera insuppor-  table à tes yeux. Il n'y aura là que résignation, sang   et larmes bordées de fer tranchant. Et tu réclameras   avec désespoir un peu d'air, un broc d'eau, une poi-  gnée de blé grillé. Tu n'auras qu'une vision de haine,   tu t'agiteras dans le filet de la peur constellé de   bouffées d'affres. La clameur même aura disparu, la   lumière même sera éteinte. Il te faudra de nouveau   creuser tes sédiments, te compromettre une nouvelle   fois. Te désintéresser de tout ce qui s'ensuivra. Mais   tu auras compris le sens des tortures qui sont les   vraies portes du chaos.    L' orgueil proclamé d'utilité publique, la fierté qui   irrite son nez, la honte transformée en farce, la   lâcheté et le mépris du peuple sont ses plus grands   attributs. Il n'est plus que le fantôme vénéré, bien-  tôt oublié des chiens qui jappent à son passage. Un   trou que la nuit colmatera, un oeil crevé sur un   rocher du Sud. Les pistes poussiéreuses, les ballets   et les gerbes du sable, le vent, l'océan avec sa voix   étouffée, le lion rompu aux silences, le berger qui   meurt de soif quand on inaugure les barrages, la  jeune. fille convoitée puis enlevée à son fiancé par   un obscur fonctionnaire, salie, sanglante mais dia-  phane dans son habit de stupre, les chanteuses de   Khénifra et de Tiznit, les galets de l'oued Massa,   toute la ville, toutes les tribus assistent à sa mort.   Il bée au soleil, il tremble commémorant toutes les   chutes, tous les assassinats commandés, honorés, il   meurt sans être totalement mort, sans appui, seul,   hère inappropriable, répudié du ciel, de la terre,   tournoyant en lui-même comme extirpé du sang, des   chairs, des mots qu'il a transformés en crimes.    Son enfant étrangle la mort en cette cathédrale,   écoute, assis parmi les légionnaires, les meurtriers,   le verbe écrasé depuis Jésus, crucifié, humilié, réap-  pris avec désarroi, pas encore bien articulé, verbe-  clé-de-voûte, pièce d'or, musique accrochée aux fumées   délétères, aux acres puanteurs des asiles et des pri-  sons, aux cuivres battus et rebattus sur le dos et   les aspérités des peuples. Lui dort, oui.. ou passe subrep-  ticement d'une mort à l'autre, s'apitoie, terrifie son   ombre seule, en secret.    Le grand bourdon, usé par des siècles de lamentations,   par toutes les fleurs sèches et à venir, par les stèles   en poussière, par les mains des prêtres qui n'existent  plus que pour mémoire, le grand bourdon vaticine   et pétrifie les dignitaires dans le rire du mort. Mais   l'enfant, son enfant, ne voit qu'un insecte à la place   de la musique, moustique plaqué sur une vitre   embuée, oublié de la nuit chaude, les ailes fripées   et le corps aplati, démesurément présent. Il bour-  donne dans sa tête, se promène dans son nez, le   grand bourdon. "Ce n'est pas un étang! Je ne suis   pas au bord de l'eau, mais j’en suis plein et tu veux   me gober, désert."    Le printemps l'effleure à peine dans ce caveau de   racines tressées autour d'un rêve étrange. Couronne   acide, poison, champignon mortel, rien n'échappe à   sa griffe acérée. Il est le coeur de l'atome et la sève   espionne. S'il se désintègre lorsque ses yeux nous   clouent au ciel, c'est pour mieux fonder son pouvoir.   Il est la tige et le tronc sec, brûlant dans le foyer   du pauvre, la tisane amère du targui et les cent   coups de fouet qu'on administre à l'esclave. Il n'a ni   cour ni royaume, seulement un désir qui l'efface   à mesure que son songe s'accomplit.    Le peuple est assis sur une natte rugueuse,   il martèle sa tête avec ses poings,  boit son pus et mange sa gangrène...  Sur la place, face à l'océan, un vieux hère   récite au vent la chevauchée ancienne,  il se larde de coups de dague  et exhibe la marque des tortures...  Le peuple rit et lui jette ses rides.    Le vieillard Maître de l'Apocalypse dit: "Les pêcheurs   n'ont ramené de la mer, aujourd'hui, qu'une tête   informe, mangée par les poissons. La mer, comme le   ciel, ne nous nourrit plus. Ne pourrait-on pas, mes   frères, nous sacrifier les uns aux autres, revenir à   l'antropophagie?" Le vieux hère dit: "La mer   verra la mort des hommes! Point n'est besoin de te   lamenter sur le sort de ton ventre!" Le vieillard Maître   de l'Apocalypse dit: "Il n'y aura pas mort d'homme!   La tête que les pêcheurs ont ramenée n'est pas une   tête humaine, vous verrez, il en sortira un autre   univers."    Les femmes qui vivent dans ta nuit, les elfes qui ne   sont que des feux-follets, ou des bris de poteries, les   sexes fendus verticalement et qui opèrent dans tes   neurones, la bouche irrésistible qui te happe dans   ton sommeil, les basses et lourdes frondaisons qui   t'empêchent de marcher, les murs hauts, le ciel et   les galets de la rivière encore naissante, du torrent,  de tous les torrents ou tu barbotes allègrement, le   moindre brin de chardon, les belles hirondelles qui   nichent dans les yeux de ta mère, sur la corniche de   ta maison ou dans les colères rassasiées de ton père,   la beauté que tu n'entrevois que très épisodiquement,   allant parfois puiser une jarre d'eau au puits, la fille   morte tombée dans ce même puits au crépuscule, que   tout le monde pleura, que tu aimais sans le savoir,   sa tombe, les femmes, les oliviers et les palmiers   déracinés par la tornade, les tourbillons au loin, vers   la montagne sèche, rougeâtre, impossib1e à franchir,   le vieux Sud...    Enfant, tu aimais les ruisseaux ou l'ordure fleurissait,   tu humais les odeurs d'ammoniaque, tu surveillais   le soleil, toutes les tiges, tous les fossés, là où la   ville donnait lieu à des cabanes de bois de caisses,   tu trouvais de quoi jouer: quelques poissons dans   une mare, un filet d'eau, un parapluie rouillé... ou un   sein de vieille femme qui se réveillait et t'insultait   quand tu t'asseyais dessus. Les trains allaient et   venaient dans ton regard, comme les vagues de   l'océan... ou ces trous profonds à la sortie de la ville.   Tes yeux, oui, ces trous n'étaient que tes yeux. C'était   une mort facile à obtenir. Tu la craignais, tu la vou-  lais aussi. Tu aimais la Pergola, le petit cabaret  restaurant, la tour contre quoi tapait l'eau, la vague   silencieuse, tu aimais vraiment la destruction vers  quoi tendaient les autres. Et ce cigare, ce gros cigare   qu'on t'offrit dans cette tour, au-dessus des carcasses   et des gaz en train de se dissiper? Tu n'étais plus   rien, vraiment rien, vieux hère! Les carrières noires   ou tes fantasmes fabriquent des niches de chiens   prises d'assaut par des familles délabrées... L'océan,   là, à tes pieds, ou meurent ceux qui n'ont point de   quoi rétribuer le maître-nageur... emportés, vomissant   et ravalant leurs rêves.    Sous l'olivier, la mort invente tes sourires,  le printemps passe, l' été vient, le ciel se noie   dans le khôl ardent des veuves.  Sépulcre! ouvre les portes interdites du sang !    (Casablanca, Palavas-les-Flots, Paris,   1964-1974)      De "Ce Maroc". Editions Seuil, 1975. pp. 70.    http://www.souss.nl/RUBRIEKEN/Artikelen/Khair-Eddine.htm 
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