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Joseph
Envoyé dimanche 08 février 2004 - 07h28:   

UN TEMOIGNAGE CAPITAL


(Le texte qui va suivre est la transcription fidèle d’une bande sonore datant de la fin du 20° siècle. Elle constitue l’un des rares témoignages que nous avons pu retrouver de cette période trouble d’avant l’holocauste.)


Prison de Baltimore
Quartier des condamnés
5 heures du matin

C’est ma dernière nuit dans cette cellule.
Dans un peu plus de deux heures, ma sentence sera exécutée et j’aurai enfin payé ma dette à cette société que je hais.

Mon nom est John Trendell. J’ai 42 ans, les yeux et les cheveux d’un noir à rendre jaloux un africain sortant d’une mine de charbon.
Noir.
Noir comme le plus noir des cafés.
Noir comme mon âme.

Pendant plus de trente longues années j’ai mené une vie dite « normale », en d’autres termes j’étais un mouton de plus dans l’immense troupeau de mes semblables. Ces semblables qui ne l’étaient en fait pas vraiment et que j’ai peu à peu appris à mépriser et à détester.
Pendant plus de trente ans, je croyais appartenir à ce que l’on appelle « la société ».
Société des hommes. Société de consommation.
Société de cons surtout.
Et j’en faisais parti. J’en faisais indubitablement et horriblement parti.

Mais tout ceci c’était avant.
Avant LE jour.
Celui où tout bascula.

J’étais à mon travail, tranquillement assis devant mon guichet, quand je me sentis soudain plonger dans une abîme vertigineuse, un peu à la manière dont on a l’impression de tomber dans les rêves.
Peu à peu le monde réel s’estompa et les gens qui faisaient la queue devant mon guichet disparurent progressivement.
Emergeant de cet immense trou noir, je me retrouvais au milieu d’une immense salle remplie de maquettes. On aurait dit un musée. En m’approchant de la maquette la plus proche, je crus défaillir. Elle me représentait moi, John Trendell, assis à mon guichet, en train de saisir un papier tendu par un client. Complètement abasourdi, je reculais de quelques pas et vis alors, sur le socle de la maquette, une inscription que je n’avais pas remarquée :

« SCENE DE LA VIE QUOTIDIENNE D’UN FONCTIONNAIRE – TERRE – FIN 20° »

Hébété, je titubais jusqu’à une autre maquette. Celle-ci représentait une rame de métro bondée. On pouvait y voir les hommes et les femmes se presser les uns contre les autres, comme s’ils cherchaient à s’étouffer mutuellement. En fermant les yeux, je crus même entendre leurs vociférations et leurs discussions ridicules. Je me penchai alors et lu sur le socle :
« WAGON A HUMAINS – TERRE – FIN 20° »

Commençant peu à peu à réaliser où je me trouvais, je passais, plus calmement, d’une maquette à l’autre. Chacune représentait un instantané d’un cliché de la vie quotidienne à laquelle je n’avais jusque là rien trouver à redire. On y voyait, pêle-mêle, un présentateur de JT distillant ses fadaises à une famille attablée, un gosse scotché à son ordinateur occupé à surfer comme un drogué, un stade de football rempli de débiles mentaux ivres-morts, des employés municipaux occupés à se curer le nez…
C’est alors que je vis, au dessus de la porte d’entrée, un panneau tellement gros que je ne l’avais pas encore remarqué et sur lequel était marqué :

« MUSEE DE LA CONNERIE HUMAINE. TERRE. »

Je fus alors pris d’un immense fou rire incontrôlable ; je me roulais par terre comme un épileptique et ne cessais de rire aux larmes. Au milieu de cette hilarité, je me mis à suffoquer et m’évanouis.

Quand je repris conscience, la première chose que j’aperçus fut une cliente, visiblement mécontente, qui ne cessait d’ouvrir et de fermer le bouche comme un poisson hors de l’eau.
J’avais envie de l’envoyer au diable mais, au prix d’un immense effort sur moi-même, je parvins à me ressaisir et à achever ma journée de travail à peu près normalement.

Mais le poison du doute commençait à couler dans mes veines et ses effets se firent ressentir de manière brutale. Rapidement, je ne pus plus supporter la bêtise humaine, et Dieu sait qu’elle est incommensurable. Ce rejet se manifesta d’une façon draconienne : par des envies de meurtre. Des pulsions, devrais-je dire, car du stade de l’envie je passais rapidement à celui de la concrétisation.

Avant de me faire arrêter, je réussis à éliminer physiquement mon chef de service, ma belle-mère, un homme politique véreux, un jeune con qui conduisait comme un malade et quelques autres personnes que je trouvais non seulement inutiles, mais dangereuses.

Mais je m’aperçois que l’heure fatidique approche.
Le Directeur de la prison m’a donné l’autorisation de continuer à dicter mes impressions sur ce dictaphone, et ce jusqu’au dernier moment, jusqu’à l’ultime instant.
Je n’ai pas vraiment peur de ce qui va m’arriver, simplement je ressens une immense lassitude, une sorte de triste résignation. Finalement je suis retombé dans les griffes de ce système que j’ai tant haï, tant combattu.
On ne peut pas lui échapper complètement.
Jamais.
Il faut vivre avec ou mourir.

Ca y est.
La porte de ma cellule vient de s’ouvrir.
Entrent deux gardiens et un prêtre.
Lentement je me lève, jette un dernier coup d’œil à ma cellule et sors, encadré par les deux gardiens et suivi par le prêtre.

Nous longeons un long couloir dont les murs nus et froids font penser à un immense canon de pistolet. Au bout du couloir, une porte. Derrière la porte un autre couloir, aussi long et lugubre que le précédent.
Mais celui-ci a quelque chose de différent, car au bout se trouve une immense porte.
Une porte synonyme de mort pour moi.
Plus je m’en approche, plus l’angoisse me gagne. Je me mets à transpirer. Arrivé au bout du couloir, le prêtre se tourne vers moi. Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ?
- « Vous n’avez rien à dire mon fils ? »
- « Sûrement pas à vous. »
Un des gardiens sort une grosse clef et ouvre la porte.
(grincements de gonds rouillés)
Lentement, progressivement, je découvre mon avenir immédiat dans toute son horreur.
« Allez mon gars, faut y aller maintenant. » (voix d’un gardien)

(bruits de rue)
Je m’avance et suis obligé de cligner des yeux à cause de la trop vive luminosité.
Mes jambes me soutiennent à peine mais je continue à m’avancer dans la rue.
Les gens m’évitent tant bien que mal.
Le verdict du jury me revient brutalement en mémoire :
« John Trendell, vous êtes condamné à l’unanimité à la peine capitale.
Vous devrez donc vivre jusqu’à la fin de vos jours au sein de la société. »

Condamné à vivre.
Je suis un homme mort.
(fin de l’enregistrement)









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Hélène
Envoyé dimanche 08 février 2004 - 09h06:   

cete réflexion sur la société transcrite de cete façon pèse bien davantage qu'un article banal . Décidément Joseph je prends grand plaisir à te lire.
Hélène
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Aile
Envoyé dimanche 08 février 2004 - 09h24:   

Joseph j'ai voulu vous écrire mais votre lien ne fonctionne pas . Dommage
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Joseph
Envoyé dimanche 08 février 2004 - 10h52:   

Excuse-moi, je me suis trompé d'adresse.
Il faut dire que je ne suis pas opérationnel si je n'ai pas ingurgité mes trois gin-tonic matinaux.
Maintenant c'est fait, donc l'adresse devrait être la bonne (et pas seulement du curé).

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