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Envoyé vendredi 27 février 2004 - 14h36:   

Cette petite nouvelle cynique, librement inspirée du thème pirate, proposé par le Krabe Borgne, sur la liste ligne de vies, histoire de rigoler deux nanosecondes.

Le thème lancé par KB :

> Un graffiti bien visible dans le quartier : Lebrun = con
> Que va faire Lebrun, le nouveau ?

Le texte commis par sa faute :

-- Le sixième âge --


- Foutez moi la paix avec ce truc. Enlevez ça de ma vue !
- Monsieur Lebrun, moi, je vais vous regretter... vous me croyez, hein ? Il faut les comprendre aussi, à la direction, c'est la troisième fois en quinze jours qu'il y a une vitre cassée...
-... À cause de moi, je sais.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire...mais regardez ces énormes graffitis "Lebrun= con" dans l'entrée, vous croyez que ça fait bien, pour l'établissement?, Allez, soyez raisonnable, quoi.
Le vieil homme haussa les épaules et refusa de nouveau le fauteuil roulant avancé une nouvelle fois par l'infirmière.
- Je peux encore tenir debout ! Je ne dis pas que je courrais un marathon, mais marcher, ça, oui, je peux.
L'infirmière émit un gloussement complice.
- Pour sûr que vous pouvez ! Je me souviendrai toujours de votre cent vingt-septième anniversaire, vous les avez tous semés, laissés sur place...
Elle soupira en poussant songeusement la fauteuil roulant vite, avec le même soin que si monsieur Lebrun avait pris place dedans.
- Quel dommage que les gens vous rejettent et vous obligent à changer de maison de retraite tous les trois mois...
Le vent apporta le grondement décroissant des manifestants dans la rue voisine. Ils se calmaient. Mais chacun savait qu'ils reviendraient à la charge. Tous jeunes, tous lisses, la lueur lueur dégénérée de leur yeux composant un contraste intéressant avec leurs visages civilisés.
Monsieur Lebrun contempla les murs qui s'écaillaient depuis de longues années.
- Eux aussi tiennent bon... le sixième âge, ce n'est pas drôle ma petite fille. Si vous croyez que c'est une partie de plaisir d'enterrer ses petits enfants...
- Oui, mais il y a des compensations, l'interrompit brusquement l'infirmière avec une fausse gaieté. Vous êtes une célébrité, personne au monde n'avait jamais atteint votre âge...
Monsieur Lebrun fit claquer sa langue et pencha la tête comme un voleur.
- Amenez-moi plutôt un petit porto... et dans un vrai verre, hein, pas dans vos dés à coudre pour gâteaux... allez, vous pouvez bien faire ça...
Un bruit de moteur étouffa dans l'oeuf l'élan dyonisiaque du plus vieil homme du monde.
- Allez, monsieur Lebrun, la voiture est là... il est l'heure. J'espère que vous vous plairez dans votre nouvel établissement. Je penserai à vous...
- Grmbl...

La voiture se mit à rouler en fendant la foule. Quelques-uns des manifestants abbatirent leur poing sur le capot avant de s'écarter. Monsieur Lebrun leva le pouce dans leur direction.
Ils avaient bien travaillé. Les graffiti dans le hall d'entrée, c'était son idée, mais ils l'avaient appliqué avec art et zéle, maculant tout ce qui pouvait être maculé. Il refoula l'émotion qui commençait à monter. Après tout, il les payait, et il les payait bien, grâce à la somme confortable d'argent qui lui restait encore. C'est ce qu'il avait fait toute sa vie : exploiter ses employé, commander à l'univers, abuser les gogos et acheter les gens. Les héros, les bienfaiteurs de l'humanité, les gentils, ils étaient tous tombés comme des mouches depuis longtemps. Mais lui était toujours debout, protégé par une croûte de mépris, navire de cynisme qui semblait l'avoir désamarré du temps.
Dès le mois prochain, quand son arrière-petit fils serait parti en pré-retraite, il lui demanderai de recruter encore de nouvelles troupes. Son armée ennemie, sa jeunesse assoifée, ses petits soldats de plume.

Ce groupe d'intermittents du spectacle lui plaisait vraiment bien. Ils faisaient exactement ce qu'il fallait. Grâce à eux, à leurs vociférations, à leur graffiti, Monsieur Lebrun devait déménager tous les trois mois, était considéré par tous comme dangereux, empêcheur de vieillir en rond. Une vraie nuisance. Au lieu de croupir dans la même auberge grise pendant quarante ans, entre le thé, les petits gâteaux et les enterrements, il roulait à travers la ville comme une star de cinéma, comme un voleur de légende.
Avant de s'accorder une petite sieste sur le siège arrière, il eut la fugitive pensée de faire écrire sur les murs la fois suivante : "lebrun = vieux con". C'était mieux, plus parlant, plus insultant, plus précis. Plus jubilatoire.

Monsieur Lebrun n'en avait pas fini, avec ce citron juteux qu'était l'humanité, si prompte à se faire presser et acheter par le plus offrant. Tout ne faisait que commencer.
Le sixième âge, c'était vraiment le plus bel âge de la vie.


27-02-2004







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