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yves
Envoyé lundi 19 juillet 2004 - 14h48:   

3 Anaïs


Anaïs ? Qu'elle était vieille, bonne et laide !
On l'avait dénichée dans un village nommé La Plume. C'était la femme d'un rebouteux qui guérissait les enfants des vers en les badigeonnant sous les bras avec un mystérieux produit qui sentait la résine, le camphre, et le serpolet. Il était mort subitement, sans avoir eu le temps de livrer ses secrets à sa femme, et Anaïs en avait été réduite à louer ses bras à des paysans, malgré son âge, puis à venir travailler et habiter à l'école de La Lagüe.
Elle était d'âme simple et sans doute aussi un peu simplette d'esprit. Mais elle était si "brave" Elle croyait tout ce qu'on lui racontait avec une telle bonne volonté ! Elle riait de si bon cœur quand on lui disait qu'on l'avait fait marcher.

Ainsi pour cette histoire du poste de T.S.F, comme on disait à l'époque.
Quand le père de Titou acheta cet instrument, une bonne moitié du village considéra cet appareil qui parlait seul comme la voix du démon. Pensez donc ! On y entendait des voix d'hommes et de femmes, et même de la musique, sans que personne n'habite sa grosse boîte d'acajou.
Un jour, mais cette fois c'était vraiment le jour du démon, Titou décida de s'amuser aux dépens de la bonne vieille. Il lui expliqua que le poste parlait de tout le monde, et parfois d'Anaïs elle-même. Oui oui, d'Anaïs ! Il en disait, des choses, le poste ! Il suffisait de tourner le bouton de gauche et on entendait tout. Avec le bouton de droite c'était encore plus fort !
Un jeudi que son père et sa mère se rendaient à l'épicerie "Chez Marie", Titou se cacha dans le coffre sur lequel reposait ce damné poste de T.S.F. Il attendit, l'œil sur un trou qu'il avait creusé dans le meuble avec la pointe de son couteau, l'arrivée de la vieille.
Elle commença par mettre son tablier, puis Titou entendit circuler son balai dans toute la classe. Anaïs ignorait le "poste" et faisait son travail comme à l'accoutumée. Titou allait-il rester enfermé dans son coffre toute la matinée ?
La classe balayée, Anaïs attaqua les casseroles, mais soudain, elle s'arrêta et Titou, par son trou, vit son tablier à carreaux roses et bleus. Elle restait hésitante devant le poste. Titou retint sa respiration. Dans le silence, il entendit claquer le bouton de la T.S.F qu'Anaïs venait de tourner. C'était le moment.
Il changea le son de sa voix en parlant dans une cruche :
- Allô, allô ! Allô ! , ici radio Nérac. Allô, Anaïs !
- Oui, fit Anaïs.
- Mes chers auditeurs, nous sommes bien contents d'être avec Anaïs.
- Et moi de même, monsieur.
- Mais Anaïs n'est pas toujours gentille.
- Faut pas le dire, monsieur !
- Elle a même fini le gâteau hier.
- Faut pas le dire devant tout le monde !
- Hier, en binant, elle a coupé la clématite du portail, et puis elle a enterré le bout pour qu'on ne le sache pas.
Titou entendit le bouton claquer à nouveau pour éteindre le poste. Il ne pouvait plus rien réparer et se retrouvait dans son coffre avec des remords gros comme une citrouille. Que dire quand il entendit Anaïs sangloter à gros bouillons et se moucher tant qu'elle pouvait.
Que faire ? Bien sûr, sortir de sa boîte pour dévoiler la supercherie. Il en soulevait le couvercle quand, comble de malheur, les parents arrivèrent et entraînèrent Anaïs dans le jardin, où elle leur avoua qu'elle pleurait car on disait du mal d'elle dans la T.S.F !
La porte de la cuisine n'était pas plutôt refermée que Titou entendit le pas du père et le soleil l'aveugla.
- C'est pas moi, gémit-il. Je te jure que c'est pas moi.
- Et en plus tu mens !
- Je voulais pas lui faire de la peine.
- Mais elle pleure ! Mets le couvert, et vite !
- Ce n'est pas midi.
- Pas de discussion !
Titou sortit de sa cachette, et, tout surpris d'avoir échappé à l'orage, mit la table en un temps record.
Tous s'assirent, sauf le père.
- Il est allé voir la lapine, dit maman. On commence sans lui.
La première bouchée de soupe à peine passée, soudain, la T.S.F se mit en marche. On entendit des crachotements, puis une voix lointaine qui chantait une chanson de résinier, et enfin, une belle voix d'homme
- Bonjour, mes chers auditeurs, bonjour. Nous visiterons aujourd'hui le petit village de La Plume, où vécut, vous le savez, un homme de grand talent dont la réputation de guérisseur s'était étendue au monde entier.
- Mon Dieu ! fit Anaïs
Le poste continua, de la même voix sourde :
- Il nous a laissé sa femme, Anaïs. Une personne d'une grande bonté, qui vit maintenant à La Lagüe, dans la maison d'école...
(Anaïs sortit son mouchoir.)
- ...où elle est aimée et respectée de tous.
Anaïs se remit à pleurer.
- Surtout de la famille de l'instituteur et de son fils Titou.
A ces mots, Titou sentit tomber sur sa joue les grosses lèvres d'Anaïs.
- Quand vous passerez à La Plume, ne manquez pas de penser à elle et à son pauvre mari. Ainsi se termine pour aujourd'hui notre émission.
Et ainsi s'apaisa la peine d'Anaïs.
**********
(De *Au bois sauvage*, bio de mon enfance. Ed Sedrap )
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Cécile
Envoyé jeudi 22 juillet 2004 - 20h18:   

J'ai lu cet extrait avec beaucoup d'intérêt car en plus j'adore les histoires d'enfance ! J'ai écouter mes parents, mes grands parents des heures durant me raconter leur jeunesse... Et en plus ton style est bien plaisant. Il y a un autre intérêt aussi c'est que je collectionne les vieux postes !!!
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yves
Envoyé vendredi 23 juillet 2004 - 00h18:   

Merci, dame Cécile. Ce petit texte est extrait d'un recueil biographique sur mon enfance publié par un éditeur scolaire. J'ai passé ma prime enfance dans un village au fond des bois au milieu d'enfants pauvres (ma mère était l'institutrice)J'en ai gardé un souvenir émerveillé d'enfance sauvage et libre comme l'air au milieu des arbres. Il est étonnant de penser qu'on s'éclairait avec une lampe à carbure de celles qui servaient dans les mines, que l'eau était au puits et qu'il n'y avait pas de voitures ni de téléphone Rien, et on était tellement heureux !

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