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Aglaé
Envoyé lundi 19 juillet 2004 - 16h22:   

Dure, dure, la soirée…

Quand j’invite mes trois petites filles à passer la soirée avec moi, c’est avec la ferme intention de ne pas nous ennuyer. Par exemple, nous allons à la piscine après l’école pour faire une bonne coupure entre le travail, les parents, la maison et une soirée avec Deudeu ( puisqu’elles m’ont affublée de cet étrange surnom, à peine moins laid que mon prénom lui même). Peu importe, Deudeu suis et resterai dans la chronique familiale. Après la piscine, propres comme des sous neufs, direction Roger La Frite pour quelques Hot Dogs bien moutardés au sommet d’une montagne de frites brûlantes. Moutarde ou mayonnaise ad libitum comme on disait dans nos bonnes grammaires latines. Jus de fruits l’été et chocolat chaud en hiver…Un de mes fils (leur oncle) à dix ans renonça définitivement aux hot dogs après avoir compris, d’après mes explications, que Hot Dog voulait dire chien chaud ! Effort pédagogique couronné d’échec, c’est bien connu….troisième volet de la soirée : cinéma , …le plus souvent, des dessins animés, bien avant qu’ils soient harrypotérisés au point que je n’y comprenne plus rien. Je vous épargne la liste des grands Walt Dysney….ils nous ont émerveillés, ils les enchantent encore.

Mais rien ce jour-là ne devait ressembler à nos sympathiques fiestas habituelles.
A cela, une raison grave. Leurs parents avaient décidé de se séparer. Je le savais depuis peu de temps et me demandais si les trois petites étaient au courant et dans quelle mesure elle comprenaient la situation ; Il est temps de vous dire que Lucie, l’aînée, avait douze ans ; Manon, neuf ; Marie, six. J’étais aussi mal à mon aise qu’on peut l’être avec l’impression d’avoir avalé un parpaing de vingt kilos.

J’avais senti le besoin de les voir. Et je ne trouvais pas un seul mot à leur dire. Il avait fallu que quelqu’un me propose quatre places pour un spectacle musical, des chants d’Afrique du nord, pour que je me décide à réunir mon petit monde. Il était trop tôt pour nous rendre au concert. Je proposai un dîner léger chez Mac Donald, certaine de leur faire plaisir .
Mallarmé a écrit : « la chair est triste, hélas… ». Il aurait dit t : « La chère est triste » et affreusement monotone en plus, s’il avait fréquenté un Mac Donald.


Mais les trois fillettes étaient ravies, lipides et glucoses abondaient, cocacola coulait et je commençais à croire qu’elles avaient au moins provisoirement oublié les grosses misères qui planaient sur le ménage de leurs parents. Je commençais même à digérer mon parpaing. L’atmosphère du MacDo était joyeusement bruyante et j’ai dû tendre l’oreille pour saisir au vol la voix sans timbre de Lucie qui m’interrogeait entre deux frites : « Deudeu, est ce que tu sais que nos parents vont se séparer ? ». Je n’ai pas dit une phrase. Ou trois mots. Non. Dans un souffle, presque inaudible, j’ai dit : « Je sais ». Le parpaing était revenu. Immédiatement, j’ai su que j’étais incapable ce soir là du moindre propos qui aurait convenu à la situation. Les trois petites ont repris leur manteaux, nous sommes sorties, et comme il était à peu près l’heure, nous nous sommes dirigés vers le lieu du spectacle.

Ce lieu est très particulier et assez beau. Très moderne, les gens l’ont d’abord baptisé Le Yaourth. Et peu à peu il est devenu pour tout le monde « Le Volcan » autrement dit une grande bâtisse, plutôt cylindrique et toute blanche. A l’intérieur, une grande salle de cinéma et un grand théâtre de plus de mille place où nous allons souvent mon mari et moi. La scène est immense et très profonde accueillant des spectacles de qualité. Nous y avons vu « Le Songe d’une nuit d’été» avec trente comédiens sur la scène et des décors puissants aussi bien que dans un haut lieu à Paris.

J’étais donc assez contente dans mon malheur d’emmener les enfants là plutôt qu’ailleurs. Hé bien entrons. Au premier coup d’œil ce n’était pas la foule des grands soirs. Normal après tout. J’y pensais tout à coup, la musique d’Afrique du nord intéresse sans doute une partie modeste de la population d’une grande ville à notre époque. Nous cherchons nos places. Nous sommes très bien placées. Il se confirme par contre que la salle ne sera pas remplie. En effet, de grands lais de tissu bleu marine sont étendus, du haut en bas, au dessus des dix premières rangées de fauteuils, à gauche et à droite de la scène. Toutes les places ne sont pas réservées. Nous sommes presque les premières installées. Par deux ou par trois les spectateurs arrivent et s’assoient. Ce n’est pas la ruée des grands soirs. La jeune fille qui donne habituellement le programme n’est pas là. Service minimum. Un quart d’heure après, la salle est moins vide et une cinquantaine de personnes garnissent les premières rangées de fauteuils ace à la scène. Mes filles sont ravies. Nous sommes prêtes.

On ne peux pas dire que le rideau se lève, car, la scène est plongée dans le noir sans aucune séparation d’avec la salle. Généralement les lumières s’allument découvrant aux spectateurs des décors sobres ou riches, austères ou baroques selon la pièce et les désirs du metteur en scène. Ce soir là aussi , des lumières, mais si modeste qu’elles révèlent la scène dans sa parfaite nudité...un peu tristounet… Pas pour moi , mais pour les petites filles… Je ne dis rien car elles ont l’air tout à fait satisfaites….un petit coup d’œil de leur coté m’a entièrement rassurée.

Notre tribu de mauritaniens entre en scène, à la file indienne, ce qui est assez osé pour des africains….je les compte machinalement…. Onze, douze, treize….je ne suis plus très sure aujourd’hui… disons à peu près ça. Ils sont assez grands., sérieux, certains portent la barbe et d’autres la moustache, ils sont vêtus d’une tunique blanche à manches longues, ils s’approchent tout près de la rampe et s’installent en silence les uns à coté des autres, sur une seule rangée, face au public. L’un d’eux tient à la main une flûte ou un pipeau et un autre une sorte de tambourin.
Personne n’applaudit… Je fais de même malgré une forte envie de réchauffer l’atmosphère… A ma gauche, les petites très attentives, se tiennent impeccablement.

Le groupe entame le premier chant sans annonce préalable.
Aujourd’hui je serai moins déconcertée. Les maghrébins qui vivent en France et sont souvent français au même titre que moi, ont importé une musique arabe qui s’est fondue peu à peu dans notre mémoire musicale au même titre que le jazz américain beaucoup plus tôt ou que la musique rock un peu plus tard. Ce soir là, sans aucun a priori, mais sans aucune initiation je me sens profondément déroutée : C’est une mélopée peu rythmée qui monte légèrement vers les aigus et redescend lentement vers les graves et dessine une sinusoïde aux accents plaintifs avec une grande monotonie générale….un des instruments accompagne la mélodie….Quelques minutes se passent….Les voix se taisent….Les chanteurs saluent très légèrement…. Les cinquante personnes présentes dans la salle applaudissent de tout leur cœur ce qui fait à peu près le bruit de la clochette d’un enfant de cœur dans une cathédrale. Je connais bien le public présent ce soir, c’est un public qui serait venu aussi bien voir des danses innuites ou des acrobates pygmées. Ils sont venus, barbus , le pantalon tirebouchonné, les baskets ruinées, avec un cœur gros comme ça et il feront de cette soirée un succès inoubliable. Nos chanteurs peuvent être tranquilles, ce public leur est tout acquis.
Pendant les chansons suivantes ,qui ne se distinguent pas de la première, en tout cas pour mes oreilles ,mes réflexions se portent sur les enfants qui m’accompagnent. Admettons que ce programme dure pendant deux heures, peut on demander à la plus jeune de subir- c’est le mot qui convient- de subir ,sans bouger, ce flux monotone, sans rythme, sans distraction et sans gaieté.
Un peu comme on écouterait une conférence dans une langue étrangère qu’on ne connaît pas. D’ailleurs je dis « la plus jeune », mais les deux autres non plus ne tiendront jamais le coup !…de temps en temps j’entends la clochette de l’enfant de chœur….et encore une, me dis je à chaque fois… restons calme puisque les petites restent jusqu’ici d’une sagesse exemplaire.
Les morceaux se succèdent tant bien que mal. On est là depuis une heure. Le mieux c’est peut être d’attendre l’entracte pour savoir où nous en sommes. Je jette des coups d’œil autour de moi. La salle est restée un peu éclairée. Mes cinquante enthousiastes sont cloués d’admiration à leurs sièges. C’est peut être ce détail qui déclenche la suite des évènements. Je regarde la scène un peu comme on prend une photo d’avion : Lucie, Manon, Marie d’une immobilité et d’une sagesse irréelle, à ma gauche, la cinquantaine de kamikases prêts à passer une partie de la nuit vissés à leurs sièges ;et une douzaines de mauritaniens plutôt mignons, sans un décor, sans un sourire, psalmodiant une musique très austère, et ceci depuis plus d’une heure. A ce moment précis, sans avoir pu le prévoir… Sans pouvoir le refreiner… Dans cette salle attentive et sérieuse… J’ai senti monter inexorablement , De mon ventre, de ma poitrine, un fou rire d’autant plus intense que les circonstances ne me permettaient pas de le laisser éclater. J’étais simplement secouée, les bras serrés autour de la taille, sans émettre un son, ou seulement un petit gémissement saccadé. Malgré mes efforts, mes soubresauts mal contrôlés attirent l’attention des enfants. Sans savoir exactement ce qui se passe, elles se penchent vers moi, interrogatives , étonnées ,un peu inquiètes. Sans raison, le fou rire redouble. Non seulement je me tiens les cotes ,comme on dit si bien, mais des larmes véritables me montent aux yeux que j’essuie, à défaut de mouchoir, avec la paume de mes mains. Les chanteurs ,devant nous ,continuent leurs vocalises, imperturbables. Les spectateurs les plus proches de nous évitent discrètement de tourner la tête vers moi mais je sens que la situation sera bientôt intenable. Je voudrais bien attendre l’entracte avant de tenter une sortie….J’essaie même de me raisonner… Rien de drôle….Aucune raison pour se mettre dans cet état….Rien à faire… Je pouffe de nouveau …Je pleure.
Je prends la main de Marie à coté de moi . Je me courbe en deux pour sortir de la rangée de fauteuils sans trop déranger les personnes assises derrière moi…Les deux autres fillettes comprennent qu’elles doivent me suivre….La sortie la plus proche est à notre gauche… Encore quelques secondes et nous sommes dans les couloirs du théâtre…Une minute de plus et nous sommes dehors…

Je suis incapable de dire comment finit cette soirée, mais il fait nuit quand nous nous retrouvons sur le trottoir et il y a tout lieu de penser que je raccompagne chez elles mes trois petites filles.

Plusieurs années plus tard, devenues adolescentes toutes les trois, je leur raconte les détails de cette soirée. Elles m’ont dit que c’était un très bon souvenir. Le théâtre était très joli et les messieurs en robe blanche , très beaux, chantaient très bien. Et que d’ailleurs, elles n’avaient jamais passé avec moi des soirées qui ne soient parfaitement réussies.

Aglaé

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Ali
Envoyé lundi 19 juillet 2004 - 20h52:   

Belle nouvelle Aglaé; Merci.
Mais les maghrebins ne sont pas des arabes ;des arabophones oui ils le sont.Parce que éthniquement et historiquement parlant ce sont des berbères.C'est le pétrole qui est arabe!
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aglaé
Envoyé mardi 20 juillet 2004 - 09h41:   

C'est la première fois que je comprends le distinguo...et poutant j'ai un vieux copain sculpteur de talent, né dans les Aurès, élevé au lycée français d'Alger, qui dit toujours: "je ne suis pas arabe"...j'osais pas demander d'explications...Merci Ali!...Tembrasse...Aglaéclairée
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Ali
Envoyé mardi 20 juillet 2004 - 13h56:   

Merci Agalaé! Oui,tu sais le pétrole et l'idéologie fasciste arabiste avaient fait perdre à L'Afrique son Nord! Mais ce n'est jamais trop tard!bizzsudique

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