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Leezie
Envoyé samedi 25 septembre 2004 - 14h40:   

(un vieux texte que j'ai remanié, pardon pour ceux qui l'ont déjà lu)

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La do mi sol ré mi…

Ile verte, j’écris ton nom


Longtemps, je m’éveille de bonne heure, quand la mer est à l’aube tout au-dessous dans le profond. Sous l’immense chêne à côté de ma tente nous saluons la ville en bas, son cimetière aux odeurs de poulpe, le chanteur sarcastique et tendre qui y vit encore, avec Paul Valéry, les oiseaux qui appuient leurs ailes sur les socles du ciel et l’orgue de la cathédrale qui chante déjà du Sweelinck (car Odile est encore plus matinale que nous).
« la do mi sol ré mi » chantent les doigts d’Odile dans le ciel en joie sauvage.

Voici l’herbe sur le sol
voici mes aubes de repas
du raisin noir et les fruits doux
Du pain du raisin blanc des figues bleues
Des mérémilles

Notre journée de musiciens commence, il est cinq heures.

Scott, lui, termine la sienne .
Termine la sienne comme il termine sa vie.
Avec ardeur.
Avec feu.
Avec violence.
Avec soumission.
Avec révérence.
Avec dévotion.
Son urgence du temps, sa panique nous est transmise, à nous ses disciples comme un virus malencontreux. Quand Scott est parmi nous, les disciples s’affolent, se paralysent, un vent de déroute nous mord au cœur, et cela ne fait qu’augmenter pleinement sa rage :

« Mais bordel de bordel de putain de merde, qu’est-ce que vous croyez, tous ? Que vous avez le temps ? Que vous ne mourrez pas ? mais vous n’avez PAS le temps ! pas plus que moi ! Je vais mourir ? Ah !! la belle affaire…mais vous AUSSI vous allez mourir. Alors votre tristesse, votre lenteur, votre incroyable aveuglement sur vous-mêmes, lorsque vous me regardez avec désespoir, ce n’est que de la merde, voilà ce que c’est ! »

Et, comme toujours, il a raison: Scott se meurt, là, devant nous, mais la jeune Isla aux longs cheveux qui a pour tâche d’exercer le grand clavecin gris tous les matins parce qu‘il est très neuf, Isla, celle dont Jacques dit qu’elle est rousse à force de courir dans le soleil levant, la très jeune Isla mourra bien avant lui, dans quelques mois.
Et, tel un fantôme épuisé au bonnet noir, Scott se penchera sur son tombeau. Nous ne savons rien encore de tout cela.

Mais ce matin près de l’herbe de la colline, Isla joue tristement, aussi tristement que nous tous, et comme tous les matins, ses préludes et fugues du clavier bien tempéré.
Sagement. Dans tous les tons.
Au bout du vingt-quatrième elle a parcouru le cycle des quintes et cela suffit pour la journée du grand oiseau gris. Demain, elle jouera les vingt-quatre autres.
Pour l’instant, elle en est au prélude en do mineur, bouleversant de tragédie et difficile pour ses petites mains de douze ans. La fugue est calme, mais désespérée. Au prélude suivant, en do dièse majeur, je hoche la tête : il devrait être un battement d’aile, un cri de gaieté, il n’est qu’une mécanique sans vie, et la fugue tourbillonnante qui l’accompagne sonne dans le clair matin comme un appel triste.

Mais soudain, dans le prélude en do dièse mineur au doux balancement, quelque chose d’insolite me fait dresser l’oreille. Une dissonance…Que se passe-t-il ? Brusquement, je perçois : Odile joue toujours dans le lointain son thème de bonheur et la jeune Isla l’a incorporé en contrepoint à son prélude, en le transposant. « La do mi sol ré mi », entend-on aussi à travers les fils serrés du prélude de Bach.
Un tour de force!
Maintenant tous les préludes, toutes les fugues ont intégré le motif, chaque fois transposé et l’œuvre de Bach défigurée transfigurée prend son envol : ré majeur, courbes gracieuses, ré mineur, pluie de mélancolie, mi bémol…

Scott achève sa journée à l’aurore à l’instant même où je me lève sur la colline vers la mer, et je lui tends un de mes bols pour son repas, j’ai mélangé des raisins blancs, des raisins noirs.
Ensemble nous buvons au soleil.

Et dans l’air frais du matin Odile joue du Sweelinck comme une joie sauvage.
« La do mi sol ré mi »



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(en 1984, Scott Ross et Odile Bailleux dirigent un stage de travail pour clavecinistes et organistes dans la ville de Sète : un magnifique souvenir pour tous les participants, où la mer, le vent, les vagues, les grands arbres, l’amitié et la musique sont indissociablement liés. Quelques courtes années plus tard, le jeune Scott Ross meurt du sida, non sans avoir plongé pendant ces derniers temps de sa vie dans un travail fou et acharné, et avoir produit quatre intégrales, celles de D’Anglebert, Couperin, Scarlatti et Rameau)



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