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Pascal Duf
Envoyé jeudi 02 décembre 2004 - 10h40:   

Terre promise


15 Avril 2057, km 40 Nord de Haïfa.



Sous l’horizon laiteux se découpaient les ombres des collines du Liban entourant la plaine. Depuis plus de deux heures, le grondement de l’artillerie à fusion totale avait cessé.
Près de la piste, dans le calme revenu, le murmure d’un ruisseau faisait entendre sa mélodie incongrue.
Le sable absorbait rapidement le sang répandu, un buvard démoniaque séchait la mémoire des hommes au même rythme que leur substance vitale. Dans quelque temps, il ne resterait plus de traces marquantes des combats. Une lune factice de cinéma américain montait dans le ciel devenu violet, le paysage contrefait semblait dessiné par un décorateur fou aux fantasmes morbides…
Le bras de Yasser était inerte et d’une couleur écarlate indécente. Ariel, lui, n’avait plus de pied gauche, la brûlure du flux laser avait cautérisé la plaie empêchant Ariel de se vider.
La souffrance n’était plus alors qu’un fait parmi tant d’autres…
Au détour du passage, la rencontre des deux êtres loqueteux semblait inévitable, comme inscrite depuis le début de la bataille.
Deux hommes mutilés sur une terre mutilée… Deux mondes différents, deux destins opposés se rejoignaient dans le chaos d’un univers qui, paradoxalement se donnait des airs de campagne paisible, un soir d’été, après la moisson. Une moisson de mort et de misère…
Yasser leva son bras valide. Ce n’était pas un geste de défi, il n’y avait pas de haine dans son attitude. Simplement une prévention, une manière de montrer toute la lassitude qui l’habitait.
Ariel était un appuyé sur un débris de Mitrailleur ionique, béquille de fortune, dérisoire et sinistre.
Il n’y eut aucune parole, pas de cris, aucun bruit, hormis celui du fossé d’irrigation. Rien que deux regards qui se croisaient, se jaugeaient, dressaient l’inventaire infernal de l’après-déluge.
Sur la plaine, l’apocalypse était passée, personne ne gagnait, personne ne perdait, simplement les plus chanceux survivraient, avec leurs cauchemars…
- « L’eau est potable… Enfin, je crois… »
Yasser avait un geste d’invite face à ce pantin cassé qu’était devenu
Ariel.
- « Je préférerai une cigarette… »
- « Il m’en reste une, j’ai trouvé le paquet hier, sur le siège d’un
« Fulgur » d’assaut abandonné, un véhicule de chez toi… On va se la partager. »
Harassés par leur progression et submergés par la douleur et l’épuisement, les deux hommes, enfin… Ce qui en restait, s’étaient affalés sur le bas-côté, le dos appuyé sur les sacs de sable éventrés d’un nid de mitrailleuse conventionnelle, il en restait quelques-unes… Dans le calme de la nuit tombée, on entendait gronder les mouches, il valait mieux ne pas se retourner, pendant de nombreux jours, les cadavres feraient partie intégrante du paysage.
Loin, vers le nord, une fusée éclairante illumina le bois de cèdres, des troncs calcinés, alignés, fantomatiques…
Les demi-cigarettes ne dureraient pas longtemps, pas assez longtemps pour éveiller l’attention d’un snipper, deux détonations sèches ou deux jets d’énergie blanche et puis, la paix… Ce n’était pas pour cette fois, tant pis…
- « Tu es d’où ? »
- « Des territoires du Sud, sur les bords de l’ancienne Mer Morte…
Enfin du Lac de la Paix, comme on l’appelait, il y a encore trente ans, à l’époque de sa revitalisation… »
- « Comme ma femme ! Yasmine ! Son père était biologiste… »
- « Tout comme le mien, c’était une région pilote, ma tribu est…
Enfin, était composée de scientifiques, spécialistes en réhabilitation des sites »
- « Ouais, dommage qu’il n’y ait plus personne de vivant… Parce que
c’est pas le boulot qui manque, maintenant… »
Les deux blessés parcouraient le paysage nocturne désolé, ils avaient
La certitude qu’ils assistaient en direct à la fin d’un monde, à la fin de leur monde.
*

Même jour, km 10 Centre ville de Nouvelle Jéricho

Les pistes de sable n’étaient plus qu’un glacis de verre fondu. Les eaux du Jourdain flottaient maintenant dans des cieux striés de mauve et de vert, vaporisées, les berges évanouies. Les vents de la plaine véhiculaient de la puanteur qui emplissait l’atmosphère lorsque le soleil s’imposait l’illusion d’éclairer le désert comme les aubes de jadis. Les forêts étaient définitivement pétrifiées sous des tonnes de cilice, de radiations permanentes, de défoliants et de substances infernales, de brûlures et de gaz.
La guerre était passée…
Arrivant de l’immense désert, très vite un engin rougeâtre apparût parmi les éboulis chaotiques et se figea dans la cuvette fumante jusqu’à faire vibrer l’air et faire siffler les cailloux aux quatre points cardinaux.
L’hélicoptère moribond se posa.
Dans la chaleur écrasante de l’ancienne cité, Salima et Esther, avachies dans un antique hélicoptère de combat Cobra, inspectaient l’horizon désolé qui semblait s’être éloigné sous le récent déluge mais n’évoquait plus rien de vivant :
- Jéricho !
Un des patins de l’hélico s’effondra.
- « Alors c’est vrai !
La turbine se tut définitivement…
Puis le silence se fit, encore plus pesant à mesure que les minutes
s’écoulaient.
Les temples millénaires, aux murailles de pierre lisse s’étaient transformés en talc grisâtre et s’envolaient en volutes, nuages torturés sur la plaine empoisonnée.
Le chagrin les déchirait comme des oiseaux de proie, et les souvenirs affluaient, hurlaient, montaient, se multipliaient, éventraient, explosaient, lacéraient puis, bousculant tout, ils s’imposaient avec des images lancinantes et des brûlures aiguës, de parents, de maris et d’enfants aimés, définitivement perdus. Les jours d’avant subitement absorbés et évaporés comme des oueds sous le soleil.
Le lieutenant Salima de l’armée républicaine de Palestine ne bougeait pas. Aucun souffle d’air n’agitait l’atmosphère.
- « Il ne reste personne, ni rien, on ne peut y croire ! »
Esther, sergent-chef de l’armée des Etats Unis d’Israël, était pétrifiée,
tant de douleurs soudaines allaient faire basculer son esprit dans la folie, ultime refuge contre la souffrance.
Salima contempla longuement les murs de la Nouvelle Jéricho, un nom qui en devenait ironique… La dernière tour du centre des affaires, réduite à une carcasse rouge, tomba lentement en poussière sous la poussée légère du vent qui venait de se lever dans les rues fantômes. Les bombes oxydantes avaient accompli leur travail avec efficacité, tout ce qui avait été métallique s’était transformé instantanément en poudre de rouille.
L’imagination des consortiums d’armement était sans limites !
-« Il n’y a plus rien à faire ici, il nous faut partir. »
-« Pour où, le pays est mort jusqu’au Nord du Liban… »
-« Ce n’est pas certain, des poches ont peut-être subsisté ? »
-« Juifs ou Palestiniens ? »
-« Quelle importance, vivantes seraient mieux, oui, surtout vivantes… »
-« Tu crois que les autres nations vont se mobiliser pour nous aider ? »
-« Cela m’étonnerait beaucoup. La crise s’est étendue partout. La Confédération Puritaine d’Amérique du nord est au bout de ses ressources, elle s’est complètement ruinée depuis vingt ans qu’elle mène une guerre titanesque contre les phalanges altermondialistes des Non-Al.
-« Il nous reste Europaland… »
-« N’y compte même pas, l’assemblée d’Europaland comporte tant de commissions et de sous-commissions qu’il leur faudra des dizaines d’années avant de bouger. La population est très âgée et la plupart des électeurs sont séniles ou grabataires, il n’y a plus guère de naissances. Les gens ne connaissent même pas le nombre exact de députés, certains disent plusieurs dizaines de milliers. Il ne faut compter que sur nous…
Un soleil de cuivre s’abîmait derrière la ville, aucun oiseau ne volait dans le ciel cancéreux, uniquement des miasmes pestilentiels. Les deux femmes se résignèrent à passer la nuit dans une excavation rocheuse. Esther, par réflexe, fouillait l’endroit soigneusement.
-« Que fais-tu ? »
-« Je vérifie, serpents, bestioles ou insectes ne font pas de bons voisins. »
-« Si seulement, tu trouves même l’ombre d’un insecte, cela voudra dire qu’il reste un espoir, mais n’ai aucune crainte, tu ne trouveras absolument rien, le désert n’a jamais mérité autant son nom. »
Un monstrueux silence s’était étendu aux portes disparues de ce qui avait été à la fois une cité moderne et une ville de légende. Aucune trompette n’avait été nécessaire cette fois pour faire tomber les murs de Jéricho. La musique des hommes était devenue plus sophistiquée et bien plus infernale.
*
16 avril 2057, Haïfa

L’aube pointait contre toute attente. Ariel avait tenté de soigner Yasser, et il ne s’était pas trop mal débrouillé. Le bras était immobile, mais l’hémorragie s’était arrêtée. Yasser savait au fond de lui que son bras était définitivement perdu, mais compte tenu des circonstances, ce n’était qu’un point de détail insignifiant. Il se remémorait la conversation de la nuit précédente et sans retrouver l’optimisme, il lui semblait que tout au fond de son cœur s’allumait une minuscule et vacillante flamme que personne n’aurait eu la décence d’appeler espoir.
La nuit avait été suffocante, moite et longue… Le climat s’était modifié, complètement bouleversé, aurait-il été plus juste de dire… Les deux combattants n’avaient pu, ni voulu sombrer dans le sommeil.
-« Tu crois que l’on peut devenir autre chose que des cadavres d’ici quelques jours ? »
-« Nos blessures sont sérieuses, mais pas mortelles à court terme, c’est le « miracle technologique », infliger la souffrance mais ne pas tuer trop rapidement. Si cela n’était pas aussi insupportable, cela pourrait presque sembler comiquement « humanitaire ! »
Un croissant de lune cuivré montait dans le ciel d’encre, à sa gauche
Une étoile extrêmement brillante semblait venir s’accrocher à l’astre nocturne.
-« Israël rend visite à Ismael ! »
-« Tu crois qu’ils vont s’entendre ? »
-« A part compter les morts, je ne vois pas ce qui reste à faire. Nous avions des destinées mêlées, mais nous l’avons toujours nié, toutes et tous autant que nous sommes… Par notre conflit sans fin ; maintenant nos destins sont similaires, Israël ou Ismael… Martyrs est devenu notre nom commun et notre seul drapeau est un immense linceul.
-« Que va-t-on faire ? »
-« Tenter de survivre… Le « Fulgur » des cigarettes tourne encore, je l’ai planqué ! Nous devons nous unir, tout seul, je n’y arriverai pas. »
-« Où comptes-tu aller ? »
-« A Tibériade, s’il reste de l’eau dans le lac, j’en doute… Elle doit être polluée… mais à 150 mètres sous le fond, il y a une énorme caverne artificielle avec : Une autre étendue d’eau, un lac, mais souterrain. Il a été créé entre 2010-2015, à l’insu de toutes les nations, une « réserve » en quelque sorte. De l’eau, c’est la vie, sur les rives de ce lac, nous pourrons avoir une autre existence, une vie « souterraine » certes, mais une vie tout de même, et puis d’autres, ailleurs, ont peut-être survécus, nous pourrons essayer de recommencer « autre chose »… »
-« A moins que nous recommencions à nous battre ? »
-« Avec quoi, nos poings… Il ne reste rien ou presque… Tout est à faire… Je doute que nous recommencions, trop de morts, trop de misères, que cesse
cet enfer. De toutes manières, il n’y a plus de gouvernements, ni d’un côté, ni de l’autre, plus de système, plus rien, à vrai dire… Alors continuer… »

*
Même jour, quelque part, dans le désert

L’énorme engin cuirassé de plaques de Téflon et d’alliage spécial roulait lentement vers l’est. Le paysage ambiant n’avait aucun intérêt, reliefs et couleurs tout avait disparu, fondu…
Le ciel était vert zébré de noir, pour toujours, il faudrait s’habituer à cette teinte bizarre et blafarde.
Yasser et Ariel se taisaient. Pour l’instant, les mots n’étaient plus utiles, il fallait simplement survivre…
*********
Non loin du trou où elles s’étaient réfugiées, Salima avait trouvé un glisseur de combat dont la cellule d’énergie fonctionnait encore.
Collées l’une contre l’autre, elles filaient à travers la plaine.
Poussée par l’instinct, Salima se dirigeait vers le lac de Tibériade, peut-être resterait-il encore de l’eau, et l’eau, c’était la vie…

Sur cette terre détruite tout avait commencé, il y avait des milliers d’années et tout avait été anéanti… L’histoire des hommes aimait l’ironie, sous Tibériade, tout allait peut-être renaître…
Sans drapeau, sans chapelles, sans dogmes et sans doctrines…
Avec uniquement une philosophie, un fabuleux amour de la vie.


Loos, le 1er décembre 2004
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lafourmi
Envoyé jeudi 02 décembre 2004 - 13h48:   

"Juifs ou Palestiniens ? »
-« Quelle importance, vivantes seraient mieux, oui, surtout vivantes… » "

"Sur cette terre détruite tout avait commencé, il y avait des milliers d’années "

science fiction qui pourrait devenir réalité!!
à plus ou moins longue échéance !
L'homme restera-t-il aveugle ? ou du moins ses gouvernants
aidera-t-il toujours la Mort qu'il craint tant à faire son triste travail ?
très bien imaginé et très bien écrit.


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