Photomatons Log Out | Thèmes | Recherche
Modérateurs | Fiche Personnelle

66 zone franche - Le forum de Francopolis » Romans, nouvelles » Photomatons « précédent Suivant »

Auteur Message
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

Anonyme
Envoyé vendredi 10 décembre 2004 - 23h10:   

Les textes qui vont suivre sur ce fil ont été écrits par le groupe d'écriture collective Passages. Habituellement nous écrivons à plusieurs sur la même page mais ces textes ont été écrits individuellement en prenant le même point de départ. Le premier texte écrit par jml et jean-marie dutey ne fait que lancer quelques pistes.
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 10 décembre 2004 - 23h12:   

Était-ce l'image de l'homme qui disparaissait peu à peu de la terre ou les choses qui l'effaçait pour prendre sa place ? À force de détruire le sens, il faut réinventer ce que le coeur a perdu. Il en a peut-être toujours été ainsi, mais j'ai l'impression que les choses s'accélèrent.

Je crois que toute cette histoire a commencé le jour où j'ai reçu une lettre dont le timbre n'avait pas été oblitéré. Un peu plus tard, il arrivait parfois que les miroirs refusent de répondre à mon sourire. Plus je souriais et plus mes lèvres s'estompaient. On aurait dit que tous avait une tache de buée à l'endroit de ma bouche, comme si quelqu'un passé juste avant moi avait parlé trop près de cette surface trop froide. comme si ne restaient de ses mots retournés au silence et au bruit que cette condensation résiduelle jetant le doute sur mon visage.

Il est encore plus troublant de ne pas se voir sur une photo que de s'y voir tout moche. Nous pouvons trouver du sens dans le non-sens mais comment faire devant l'absence de sens.

Il ne faut jamais mettre de la fausse monnaie dans un photomaton. On risque de n'avoir qu'une image en blanc à défaut d'un faux sourire.

J'ai dû cesser de faire de la photo. Je n'ose plus pénétrer dans la chambre noire. Au moment du développement, chaque personne qui apparaît sur la photo disparaît dans la vie.

À chaque jour, je croise dans la rue des gens qu'on ne voit pas. J'entends battre leur coeur sans savoir où ils sont. Je me sens de plus en plus seul. Devant chaque vitrine je vérifie les traits de mon visage. Je compte même mes rides pour savoir s'il en manque.

Le temps de lire le journal, il manque des titres quand je reviens à la une. En une seule journée, le a et le d sont disparus du dictionnaire. Quand je parle, il y a des trous dans mes phrases.

Les éboueurs ne ramassent plus les ordures chez moi depuis des mois. Pourtant à chaque mercredi, je dépose des sacs à la rue. Le lendemain, ils n'y sont plus.

Je mets de moins en moins de temps pour me rendre du bistrot à chez moi. À chaque jour, en comptant mes pas, je m'aperçois qu'il en faut moins pour m'y rendre. Parfois, c'est l'inverse. On dirait qu'un ingénieur des ponts et chaussées devenu amnésique a recomposé la ville de travers.

Les pas d'un ivrogne, d'un enfant ou d'un fou contrediront toujours la science des urbanistes.

L'autre jour j'ai lu un livre titré La Disparition. Il manquait tous les e mais ca ne paraissait presque pas au début. On m'a dit que l'auteur était mort en cherchant ses mots.

J'ai de plus en plus peur. J'ai de moins en moins de vie. J'ai peut-être. J'ai peu. Je ne vois plus que d'un oeil. De toute façon, il y a de moins en moins de choses à voir, mais au moins maintenant, j'échappe au relief et à la perspective.

Ca y est. Je cherche mes mots quand je parle. J'ai beau hurler, plus personne ne m'écoute.

Quand je vois une ambulance passer toute sirène hurlante, je n'entends rien. D'autre fois, j'entends la sirène sans voir l'ambulance. Il y a de plus en plus de décalage entre l'image et le son.

Il m'est de plus en plus difficile de faire un geste. J'ai la peau qui rapetisse.

J'ai la cervelle en peau de chagrin. On appelle ca vieillir.

La maladie d'Alzheimer est un peu comme ces photomatons qui n'émulsionnent que du blanc. Il n'y a que les flashes au moment de la photo qui nous restent en mémoire: tout le non-dit accumulé, les souffrances cachées, les promesses trahies, les caresses refoulées, les foetus avortés, les secrets bien gardés. Ce que l'on croit être une nouvelle naissance nous mène vers la mort.

Hier matin il me manquait des doigts. Je viens de les compter. Ils sont complets mais il manque les gestes.

Sur les albums de famille, il n'y a plus qu'une ombre à l'endroit où j'étais. Que faire de ces images qui ne veulent plus rien dire, de ces photos ratées, de ces clichés malades, de ces sourires qu'on ne voit plus, de ces regards disparus, de ces grimaces du temps ? Quand j'ouvre la bouche, c'est le silence qui parle.

Quand le silence écoute, il faut savoir se taire.

Les hommes se rendent-ils compte que l'espace peu à peu disparait ? Il y avait un arbre en moins dans la cour, ce matin. J'en ai croisé un autre en marche vers le sol courbant ses branches jusqu'aux racines. La distance entre la porte et la rue, entre la vie et la mort, semble avoir diminuée. L'oiseau à notre insu amenuise son chant. Le vent souffle sans qu'une seule feuille ne bouge.

Quand je reviens, je ne suis plus le même. Je n'entre plus chez moi mais chez un étranger. J'ai un pied qui recule et l'autre qui avance.



Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 10 décembre 2004 - 23h14:   

La disparition

(Louve)



--------------------------------------------------------------------------------




Deuxième flash. Elle vérifie dans le miroir peu flatteur sur le côté de la machine. Oui... La marque est bien masquée par la généreuse couche d'anti-cernes. Ça ira. Elle passe un doigt très léger sur la chair tuméfiée et réprime une grimace de douleur. Troisième flash. C'est de sa faute de toute manière. Il a raison. Pourquoi le met-elle ainsi en colère ? Elle sait pourtant parfaitement ce qui la provoque. Mais il lui a encore pardonné. C'est un homme bien, un homme droit et juste. Quatrième flash. Quelle chance ! Quelle chance inouïe ! Elle a tellement de chance qu'il l'aime, elle - si bête, si naïve, si nulle en somme.

Elle sursaute quand l'occupant de la cabine tire brusquement le rideau noir, faisant hurler les anneaux de métal sur la barre d'acier. Un jeune homme émerge et va se placer, sans un regard pour elle, devant la chute des photos. Elle s'examine à nouveau dans le miroir, passe un ongle sous la ligne de son rouge à lèvre, ajuste sa frange qui a tendance à boucler en lui faisant des cornes sur les côtés du visage et renonce encore à être belle avec un mouvement d'épaules impuissant, avant d'entrer dans la cabine.

Elle s'assied sur le tabouret et s'assure que son visage est à la bonne hauteur sur la surface vitrée du photomaton. Elle insère les deux pièces dans la fente prévue à cet effet et attend le premier flash en s'efforçant d'arborer un air serein.

Elle repense à cette fois quand elle était petite où sa mère l'avait emmenée dans un photomaton pour envoyer des photos à grand-mère. Elle ne savait pas où regarder. Le flash l'avait éblouie pendant qu'elle souriait de toutes ses dents à la grosse ampoule. Premier flash. Maman lui avait dit qu'elle voulait des photos de sourires. Elle souriait comme une dératée, aveuglée par le flash. Maman avait passé la tête à travers le rideau et lui avait flanqué une gifle en lui disant qu'elle avait l'air d'une débile mentale. Elle essayait d'avoir l'air heureux. Il fallait avoir l'air heureux. Elle ne voyait plus rien. Elle souriait au noir, toute appliquée à avoir l'air débordant de bonheur. C'était pour grand-mère. Deuxième flash. Il fallait que grand-mère voie comme sa petite-fille était heureuse et intelligente. Il fallait sourire sans trop sourire. Quand maman avait récupéré les photos, les deux premières étaient trop souriantes et les deux dernières figées. Elle était sûre que l'on verrait l'empreinte brûlante de la main de maman sur sa joue mais non.

Le plus étonnant cependant, c'est que le sourire qu'elle savait avoir plaqué de toutes ses forces sur son visage n'apparaissait pas du tout sur les deux dernières photos. Troisième flash. On lui voyait juste un petit air éberlué. Maman avait été furieuse et l'avait emportée en la tenant trop fort par le haut du bras. Elle avait essayé de lui expliquer qu'elle n'avait pas su où regarder, qu'elle avait vraiment voulu sourire. Mais maman ne l'écoutait pas. Quatrième flash.

Elle se lève, éblouie d'avoir gardé les yeux ouverts sous les flashes. Elle tire le rideau doucement et va attendre ses photos devant la chute. Le jeune homme de tout à l'heure s'éloigne. Ah oui ! Ne pas oublier d'acheter des côtelettes d'agneau pour le repas de ce soir avant de rentrer et de passer chercher les chemises de son mari chez le nettoyeur.

Les photos arrivent dans la chute. Elle extirpe la bande de papier rigide en prenant soin de ne pas poser ses doigts sur la face encore humide. Elle agite la bande en soufflant dessus pour la faire sécher plus vite. Elle a hâte de se voir. Qu'est-ce que les photos vont lui révéler cette fois ?

Rien. La bande de papier ne révèle rien de tout ce qui l'a traversée pendant qu'elle se soumettait aux flashes. Rien de ses expressions. Rien de ses traits. Rien de son visage. Elle reste vierge*.



Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 10 décembre 2004 - 23h15:   

Surexposée

(Louve)



--------------------------------------------------------------------------------


Assieds-toi sur mon genou. Non, aïe, pas comme ça. Oui c'est mieux comme ça. Voilà, regarde bien la caméra maintenant... et souris. Mais non, pas ce sourire - allez, fais un vrai sourire comme quand tu me réveilles le matin. Ouille, tu m'écrases le pied. Attends, attends, attends... Mais ne gigote pas comme ça - la photo sera floue ! Non, tu me caches là, pousse-toi un peu et... Ah zut, elle sera ratée cette première photo. Bon, tiens-toi tranquille maintenant. Souris. Mais souris enfin. Quoi ? Mais pourquoi pleures-tu ? Je ne suis pas fâché. Mais non voyons. Ne pleure pas mon amour. Je ne suis pas fâché, regarde-moi. Ce n'est qu'une photo. Je voulais seulement un souvenir à... aaaaah zut, la deuxième sera aussi ratée. Tant pis. Je voulais emporter une photo de ton sourire, c'est tout mais je n'en ai pas besoin, tu sais. Je n'ai pas besoin de photo pour ne pas t'oublier. Ne pleure pas ma chérie... Ah oui mon voyage. C'est pour ça que tu pleures ? Je dois partir, tu sais bien. Je t'ai expliqué, pour mon travail. Mais non, je ne peux pas t'emmener. Je reviendrai dans trois mois. Oui, je sais que c'est long. Mais... ouf ce flash ! Tiens sortons d'ici...

~ ~ ~

La jeune femme regarde avec curiosité le couple sortir de la cabine du photomaton de l'aéroport après avoir suivi cette étrange conversation à une seule voix. C'est un père qui se penche pour prendre dans ses bras une gamine éplorée de cinq ou six ans. La petite se cramponne de toutes ses forces à son cou, le visage enfoui dans le creux tendre et il la tient serrée contre lui, l'air profondément désemparé. Il caresse ses cheveux comme si la peine de l'enfant gîtait là et s'éloigne de la cabine du pas mal assuré d'un homme qui ignore tout de la mer. Elle les suit du regard, intriguée par le chagrin muet de la fillette. Ils ont rejoint une femme, un peu plus loin. Ça doit être la mère. Elle parle à l'enfant qui se détache de son père un instant pour éclater en gestes véhéments et précis avant de replonger dans le cou paternel.

La machine fait un bruit qui annonce que les photos sont prêtes dans la chute. La jeune femme se dit qu'elle pourra les apporter à la petite famille. Elle saisit la bande de papier en prenant soin de ne pas poser ses doigts sur la face humide et attend qu'elle sèche, impatiente de scruter tout à son aise les visages de ceux dont elle vient de partager un moment, à leur insu.

La bande de papier reste blanche, comme si elle avait été surexposée.



Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé vendredi 10 décembre 2004 - 23h17:   

L'homme creux

(Louve)



--------------------------------------------------------------------------------


- Oui monsieur, vous continuez tout droit et vous trouverez le photomaton juste après la pharmacie.

Ce qu'elle est moche cette bonne femme ! Je l'ai choisie pour être sûr d'avoir une réponse rapide - les mochetés compensent souvent leur manque de grâce par une grande serviabilité, j'ai remarqué. C'est encore pire vu de près. La tronche, dis donc - le front si bas qu'un canal s'y est assurément perdu, les joues flasques avec bajoues incorporées, un nez à la carabosse, le menton fuyant (...le reste du visage sans doute), la peau grasse. Je ne m'attarde pas à son corps. Elle a la décence de le cacher sous cet espèce de machin informe qui est sensé l'habiller. Le cul pourrait être intéressant, à en juger par la rondeur prometteuse qui saille un peu sous le pardessus gris. Si je n'étais pas si pressé, je lui aurais parlé de mon pote Georges qui pourrait lui arranger ça en quelques coups de scalpel. Un bienfaiteur de l'humanité, Georges. (Ah oui tiens, faut pas que j'oublie le tennis de mercredi.)

Comme je ne suis pas une bête, je la remercie quand même et je file dans la direction qu'elle m'a indiquée. Mon cellulaire sonne. Qui c'est ? L'afficheur m'indique le numéro de Gwen. Qu'est-ce qu'elle veut encore celle-là ? J'ai été franc avec elle, elle ne peut rien me reprocher. Qu'est-ce qu'elle a à se raccrocher comme ça à moi, bordel ?! Non, je ne vais pas lui répondre. Il est où ce putain de photomaton ? J'aimerais bien que quelqu'un m'explique pourquoi les gonzes ne pigent pas le concept de l'amitié. C'est simple pourtant. On baise - ça colle et on re-baise. On baise - ça colle pas, on est amis et on re-baise si on en a ENVIE (ou rien de mieux en vue). C'est pourtant simple, non ? J'y peux rien moi si elle ne m'intéresse plus, Gwen. Je ne vais quand même pas la baiser pour lui faire plaisir, merde ! Ah voilà le photomaton. Elle doit être bigleuse en plus, l'autre. Il n'est pas après la pharmacie mais avant.

Quoi, EN-CORE ? C'est chiant ces cellulaires. Non mais c'est pas vrai ! Gwen. Elle va m'obliger à être grossier. Non, c'est mieux que je ne réponde pas.

Bon alors, comment ça marche ces machines déjà ? Les instructions. Okééé... Sourire ! Euh non, pas trop quand même avec ces dents de lapin. Voilà, un sourire énigmatique, c'est mieux. L'ombre d'un sourire. Ne pas fermer les yeux, ne pas bouger... Vlan le flash ! Encore trois. Ah merde ! Le cellulaire. Gwen ! Putain, elle va me... je réponds. On sait jamais, ça ne lui ressemble pas d'appeler comme ça.

- Allô ?

Elle chiale. J'aurais pas dû répondre. Est-ce que je chiale, moi ?! Le flash ! Elle m'a fait rater une photo. Je lui dis que je la rappellerai plus tard. Plus tard... comme jamais, oui.

L'homme émerge de la cabine en dépliant son corps élancé. Il allume une cigarette et fait quelques pas en attendant ses photos. Le temps de brûler sa cigarette, elles sont prêtes. Il les prend avec des gestes impatients et souffle sur le papier pour le faire sécher plus vite. Mais le papier n'a apparemment rien retenu de lui. Rien du tout

à suivre
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 01h25:   

Mensonges instantanés



--------------------------------------------------------------------------------


Moi, j’ai pas l’habitude de me faire prendre en photo, le photomaton ça m’ira bien, surtout pour mettre sur un passeport, franchement ! C’est la première fois que je vais prendre l’avion ! J’ai gagné un concours à un jeu télévisé, il fallait répondre à une question idiote. Il y a du monde dans cette station de métro, il y a même la queue au photomaton. Je ne comprends pas pourquoi. Un gamin d’une vingtaine d’années m’explique que c’est à cause de la rentrée des classes, il faut des photos pour les profs, pour la carte d’étudiant, de resto-u, de bibliothèque… Il est sympa, il parle un peu avec les mains, comme un de mes cousins qui habite dans le Lubéron. Il a un sac à dos bourré à craquer, et ça lui donne un air voûté. Il a de beaux cheveux blonds frisés et longs, une dégaine un peu ado-je-me-fous-de tout, un jeans troué au-dessus du genou et un petit sourire en coin qui découvre une fossette dans la joue gauche, un petit trou adorable. Comme il voit que je n’y connais rien, il se met à m’expliquer, il me tutoie, et ponctue toutes ses phrases par un « tu vois ». Je lui explique que je vais faire un grand voyage, je pars à Ceylan. Il a du mal à situer où c’est. Il m’a pris pour un grand voyageur, je n’ai pas voulu le décevoir en démentant. J’ai pris des airs de type branché, je lui ai parlé de « mes nombreux périples ». Pourquoi ? Je n’en sais rien, l’envie de me faire un peu mousser je présume.

J’ai passé ma vie dans un atelier, je gagne le smic, je ne suis pas malheureux, c’est juste que je ne suis pas riche, loin s’en faut. Je suis comme dans la chanson de Montand, je voyage dans les cartes postales. Je ne sais pas bien ce qui m’a pris, j’ai endossé les habits de qui je ne suis pas. Il m’a regardé avec des yeux admiratifs : tous ces voyages ! Tous ces gens que j’ai rencontrés ! « Moi, il m’a dit, j’aimerais faire comme Kerouac, le clochard céleste ».Je ne sais pas qui est Kerouac mais j’ai fait celui qui connaît.

Ça a été mon tour. Je suis entré dans la cabine, j’ai souri, plutôt enchanté de ma petite aventure, de mes mensonges éhontés, comme quelqu’un qui a joué un bon tour pas méchant, juste un peu bête. Un flash m’a pris par surprise, la machine m’a demandé si j’étais satisfait de mon portrait, dans ce cas il fallait que j’appuie sur le bouton vert, sinon, je pouvais recommencer. J’ai recommencé 7 ou 8 fois, à chaque photo, j’avais le sentiment que ce n’était pas moi sur l’écran. La neuvième tentative a été la bonne. J’ai accepté l’image. Lorsque je suis sorti de la petite cabine, le jeune homme était parti. J’ai soulevé les épaules, la farce était finie. J’ai attendu mes photos qui sont descendues assez rapidement. J’ai regardé : il n’y avait rien sur la bande de papier blanc, ou plutôt si, les traces de mes mensonges !

Mikla

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 01h26:   

Le choc
(Louve)


--------------------------------------------------------------------------------


C'est le choc. C'est ça. C'est le choc et les autres sont simplement indifférents comme ils le sont toujours.

Je sens battre mon coeur, mon visage est tout chaud et je ressens comme un élancement douloureux à la poitrine. C'était insupportable ce regard qui me transperçait, me traversait de part en part sans s'arrêter sur moi. Insupportable la sensation d'avoir été défenestrée de ce regard.

Il a eu peur, c'est le choc, c'est tout. Il ne réagissait même pas à ma voix. Il paraît qu'il ne faut pas toucher quelqu'un qui vient de subir un traumatisme. Qui m'a dit ça ? Je ne m'en souviens plus. Je vais prendre des photos dans ce photomaton et les lui montrer.

Quelques minutes.

Il lui faudra bien me regarder alors. Mettre de la monnaie dans la fente. Il a regardé par terre, avec cet air hagard, comme s'il s'était vidé de lui-même en se vidant de moi, comme s'il cherchait comment combler le gouffre incommensurable entre deux moments.

Flash.

J'ai couru jusqu'au photomaton. Attendre. Mon coeur bat jusque dans mes tempes. Il a eu si peur pour moi. Vite vite, il faut faire vite. Je me suis relevée. Je n'ai rien, presque rien, juste cette petite douleur qui me dit que mon corps réagit, combat, pare.

Flash.

C'est long. Trop long. Et s'ils l'emmenaient pendant que j'attends ces photos ? Nous parlions... De quoi ? De rien. Nous parlions. Sa main était chaude sur mon épaule. C'est elle que j'écoutais surtout, son mouvement presque furtif mais plein, la douceur ferme de sa peau. Le désir creusait son chemin de frissons dans mon ventre. J'étais un peu étourdie.

Flash. Quelle journée magnifique. Et puis ce souffle brûlant. Projetée hors du temps. Un trou. Un trou dans ma mémoire. Sa main chaude et puis ce trou avec son visage tout à coup renversé au-dessus de moi.

Flash. Attendre les photos devant l'appareil. Il y a toujours un attroupement là-bas. Je ne le vois pas, lui. Prendre les photos. Courir, traverser la petite foule de curieux. Il est là. Il est toujours là, accroupi sur le sol. Quelqu'un l'a entouré d'une couverture. C'est idiot, il fait chaud, il fait bleu, c'est l'été. Je m'approche de lui. Il ne me regarde pas. Je mets les photos entre ses mains. Il ne regarde même pas dans ma direction. Mais je vois la chose, par terre, à côté de lui, qu'il ne quitte pas des yeux.

~ ~ ~

Il est écrasé, anéanti. Aucune pensée solide ne parvient à percer le tumulte dans sa tête. Tout échappe soudain à son entendement, tout rebondit sur lui sans l'atteindre. Il tremble, il brûle mais il ne sent rien. Elle est là, près de lui mais elle ne le voit pas. Elle est étendue sur le dos, une jambe repliée sur l'autre, comme si elle dormait profondément - les yeux grand ouverts. Un obscène morceau de verre saille de sa poitrine. Le pare-brise de la moto s'est fracassé contre elle en la fauchant.

Un petit vent se lève et dépose entre ses mains une petite bande de papier blanc qu'il lâche aussitôt.





Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 01h29:   

Entre rêve et cauchemar



--------------------------------------------------------------------------------


Fatiguée. Muscles lourds mais aussi cette pulsation douloureuse à l'endroit où mon cœur était plein. Difficulté à respirer librement. "Sans amour on est rien du tout..." Ces paroles tournoient autour de moi, en moi avec la voix de l'oiseau qui les chantait. Entre mes mains, un petit rectangle blanc de papier cartonné.

M'asseoir au milieu des pierres brûlantes, à l'envers du visage changeant d'un été éternel. Sous le sol transparent, une mer sombre se meut irrésistiblement, charriant et remodelant à l'infini ses peuplades minérales. Ses lents courants me traversent. J'attends la pluie, comme la manne d'une clémence inhumaine. Le pilier de mon échine se redresse.

Sur le silex dépoli d'un oeil, j'ai vu un reflet d'une laideur délétère. Et c'était moi, oh moi ! ainsi réfléchie, trahie. Captive de la douleur. Saccage irréparable de l'intelligence de la tendresse.

Comment marcher encore avec ce trou en plein milieu de moi ?

L'eau viendra, l'eau tombera, l'eau lavera.

Je suis dans un jardin où tout est éclairé de l'intérieur. Chaque couleur irradie son propre parfum. Le subtil se mêle au capiteux. Les feuilles se tendent dans un déferlement de verts sur les fruits gorgés de brillance qu'elles couvent amoureusement. Ça et là perce l'or d'un ciel flamboyant. Mes doigts caressent les fruits au passage. Il y a des framboises immenses et là, tout à coup, émergeant du foisonnement de couleurs, j'aperçois un bleuet si gros qu'il me faudrait les deux bras pour l'enlacer. Je bois son bleu mauve profond.

L'eau viendra, l'eau lavera, l'eau emportera.

Les arbres chantent avec des craquements ardents, penchant sur moi leur feuillage tintinnabulant. Mon être tout entier devient le lit de cette promesse, s'élargissant dans l'attente pour lui faire plus de place. La première goutte roule sur ma joue, bientôt suivie par un torrent vertical qui me secoue, me disloque, me happe. Je disparais du monde. Le monde disparaît de moi.

Les cataractes se résorbent, se dissipent. Le ciel respire sa fraîcheur contre ma peau.

Je ne suis pas neuve, je ne suis pas autre. J'ai brûlé de tout mon bois dans le cercle clos de la douleur sans me consumer.

Je suis devant la petite cabine. Je froisse le petit morceau de papier et le jette. L'autobus va arriver.

(Louve)

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 01h32:   

Mine de rien

(Louve)


--------------------------------------------------------------------------------


Une photo, une photo... Mais qu'est-ce qu'ils veulent faire avec ma photo ? Est-ce que je leur demande leur photo, moi ? C'est pour un boulot de secrétaire que je dépose ma candidature, pas un défilé. Quoique je pourrais bien. Oui bon, j'ai ces putains de dix kilos à perdre, de préférence dans un désert lointain mais c'est rien dix kilos, ça se camoufle très bien. Sauf que sur les photos, ça se multiplie.

Alors, la monnaie... Tiens, je me demande si je ne pourrais pas, mine de rien, tenir mon porte-monnaie Dior un peu haut, comme ça, avec le CD si chic bien en évidence, comme si le machin s'était déclenché pendant que je ne m'y attendais pas. L'air surpris, la bouche en o, les lèvres bien pulpeuses. Il est vraiment super ce rouge à lèvres Chanel. Un oeil averti reconnaîtra la griffe, y'a pas de doute.

Alors ? Le porte-monnaie négligemment suspendu près de mon visage étonné, qu'est-ce que j'en pense ? Non, trop... aïe ! Le flash en plein dans les yeux. J'y vois plus rien. C'est malin, je parlais à mon porte-monnaie. Bon, concentrons-nous pour la prochaine. Dommage que c'est un portrait, on ne verra pas mes Hush Puppies rouges. Ah merde, j'ai filé mes bas ! Mais ils les font avec de la salive ces trucs, j'te jure. Quand je pense que j'ai accroché deux paires de Dim ce matin. Une manucure d'urgence, il me faut une maAaaaaaïeu ! Une photo où je parle à mes ongles maintenant.

Allez, allez Christine, concentre-toi ! Une photo trois-quarts ? Oui, oui. Je baisse un peu le menton. Un sourire. Quel sourire ? Mon sourire jeune fille "je suis timide mais je me soigne" ? Non. Mon sourire femme fatale "oh oh... gaffe au fauve affamé" ? (Tiens, j'ai un bout d'épinard entre les dents.) Non. Mon sourire femme comblée "c'était bon chéri" ? Mon sourire rêveur "la terre est un jardin et je suis sa seule fleur" ? Mais non. Mon sourire auto-stoppeur "arrêtez votre trafic, je suis gentille mais pas conne" ? Oui. Sourire auto-stoppeur. Et flaaash.

Qu'est-ce que je fais maintenant pour la dernière ? Je vais être en retard pour le rendez-vous. Quelle heure est-il, là ? Déjà 3h. S'il y a des embouteillages, je suis cuite. Allez, une photo de face. Non, je garde la même pose. Avec mon sourire "vous avez vu l'heure ?". Je commence à avoir des crampes au visage. Et voilà, c'est fini.



Ils disent que ça prend trois minutes mais ça fait au moins un quart d'heure que je poireaute. Je serai en retard. C'est la première fois qu'on me demande une photo avec mon cv. C'est bizarre quand même. La description du poste n'indiquait pas qu'il y aurait un contact avec le public. Le boss se cherche peut-être une maîtresse. Je me demande s'il est mignon... En tout cas, il doit être plein aux... Ah ! Voilà enfin les photos. C'est pas trop tôt ! Mais. Mais. Merde alors. Je rêve pas. Y'a rien.



à suivre
Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 18h44:   

Vous avez pris votre ticket



--------------------------------------------------------------------------------




« Vous avez pris votre ticket ? »

Je venais de m’asseoir sur une chaise très inconfortable du hall de la mairie, mais enfin, j’étais assis. J’avais à la main un petit ticket bleu ciel indiquant le numéro 178 et j’allais tourner la tête pour répondre à ma voisine. Elle reprit : « le bon ticket je veux dire ».

Je tournai franchement la tête et je découvris une vieille dame très digne, un léger sourire sur les lèvres, des yeux couleur lilas (c’est drôle comme les vieux ont tous l’air d’avoir les yeux délavés, la cataracte sans doute), elle me regardait de biais, sa bouche esquissant une moue de petite fille.

- Heu, je crois…

- Parce que si ce n’est pas le cas, vous allez attendre pour rien…

- Pourquoi ? Il y a différentes files d’attente ?

- Ben oui, il y a une file pour les gens qui viennent déposer une demande de carte d’identité ou un passeport, ceux qui viennent pour les retirer, ceux encore qui veulent un extrait d’acte de naissance, ou encore s’inscrire sur les listes électorales… Vous venez pour quoi ?

- Heu, je viens déposer une demande de passeport.

La vieille dame me regarda en souriant :

- Oui, je vois, vous partez en voyage, un voyage d’étude sans doute vu votre âge… mais cela ne me regarde pas. Pour une demande de passeport, c’est le ticket rose jeune homme !

Je la remerciai, sans elle j’aurais perdu un temps infini et j’avais tant à faire avant mon voyage. Je partais en Russie dans le cadre d’un échange d’étudiants entre facs. J’allais retirer un ticket rose, c’était le numéro 232. Je repartis m’asseoir toujours près de la vieille dame, elle m’avait manifestement gardé la place, il y avait du monde debout et personne ne s’était assis. Je la remerciai à nouveau. Une légère sonnerie retentit, je regardai le panneau lumineux sur lequel clignotaient les numéros d’appel, c’était le 72 qui s’affichait en rouge. J’allais me lever découragé en me disant que je reviendrai un autre jour, un jour où il y aurait moins de monde, mais la vieille dame me rattrapa par la manche.

- Non, ne partez pas jeune homme, le numéro 72 correspond à la personne suivante pour les extraits d’acte de naissance, ça ne vous concerne pas, vous voyez, le petit 2 qui clignote juste au-dessus du grand 72 et bien il s’agit du boxe 2, vous vous attendez votre tour pour le boxe 4, dès que la personne sortira du boxe 4, vous verrez où vous en êtes.

Ha ! Les arcanes de l’administration, les chiffres qui clignotent, le bon fonctionnaire, les bons papiers !

« Au fait, me demanda ma voisine complaisante, avez-vous tous les papiers ? » Je la regardai avec un étonnement qui la fit rire. « Hé bien oui, il vous faut un certain nombre de papiers, les avez-vous ? » J’ouvris la chemise en carton dans laquelle j’avais collecté le livret de famille et quelques autres papiers justifiant de mon identité.

- Je crois que oui.

- Si vous permettez, je vais regarder.

Sans que j’aie eu le temps de répondre, elle se pencha sur mon épaule et examina… le contenu intime de mon dossier, ma vie était un livre ouvert. Le nom de mes parents, ma date et mon lieu de naissance la profession de mon père…

- Je ne suis pas indiscrète j’espère, eut-elle le culot de me demander en me regardant droit dans les yeux.


Je n’eus pas le temps de répondre, elle poussa un petit cri, j’y ai entendu du triomphe :

- C’est bien ce que je pensais, il vous manque un élément fondamental, sans cela, inutile d’attendre davantage, vous serez recalé.

A quoi devais-je m’attendre encore !

- Mon jeune ami, mais vous n’avez pas les quatre photos d’identité requises !

Elle avait raison, la vieille bique ! J’avais pensé à tout sauf aux photos. Tout ça pour rien.

Elle me tendit mon dossier que je repris dépité.

- Écoutez, vous m’êtes sympathique, reprit-elle. Il y a un photomaton au monoprix juste en face. Je vous propose de garder votre place et votre ticket jusqu’à votre retour. Vous n’en aurez pas pour très longtemps.

Je la remerciai encore une fois et ça commençait sérieusement à m’énerver et me dirigeai vers le monoprix en question. Elle trouva quand même le moyen de lancer dans mon dos :

- N’oubliez pas de vous munir de monnaie !

En effet, ça ne prit pas beaucoup de temps et quand je refis irruption dans le hall de la mairie, les choses n’avaient pas beaucoup avancé.

Mamie Nova, comme je l’avais surnommée en mon fort intérieur, était toujours au même endroit et avait dû défendre férocement ma place qui était toujours libre.

- Ha vous voilà ! me lança-t-elle. Vous n’aurez pas beaucoup à attendre, ils en sont au numéro 230 à votre boxe. Je peux voir les photos, me demanda-t-elle ? Elle était gonflée la vieille, mais comment lui dire non ?

Je lui tendis la bande de papier qu’elle prit entre ses vieux doigts noueux.

- Vous vous moquez jeune homme ?

Je la regardai surpris, pourquoi pensait-elle que je me jouais d’elle ?

La petite clochette annonçant le changement de numéro retentit. Elle me rendit la bande brillante et me dit en se levant :

- Je pense que vous ne partirez pas en voyage, et croyez-moi, cela vaut mieux !

Elle se dirigea vers son guichet, je la regardai s’éloigner avec stupeur, qu’avait-elle voulu dire ? Je regardai la bande distribuée 10 minutes plus tôt par photomaton, il n’y avait rien dessus, la machine n’avait pas imprimé mon visage ! Je cherchai la vieille dame des yeux, elle avait évidemment disparu !

Il faut dire, pour conclure cette bien étrange histoire, que, suite à cette petite « aventure », j’ai mis un temps fou pour obtenir mon passeport (j’ai dû revenir à la mairie plusieurs fois, il me manquait toujours quelque chose), je n’ai jamais revu la vieille dame. Aujourd’hui, je me demande bien si elle était réelle si elle était un messager du temps, un ange gardien ou autre chose que j’ai du mal à définir. L’avion que je n’ai pas pu prendre pour me rendre en Russie s’est écrasé au-dessus d’une forêt il y a eu de nombreux morts, dont évidemment, je n’ai pas fait partie !

Mikla

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

jml
Envoyé samedi 11 décembre 2004 - 18h46:   

Comptez les pieds !



--------------------------------------------------------------------------------


Un rahat-loukoum à la pistache ! Voilà à quoi ressemblait le bonhomme tournant comme une toupie sur lui-même. Probablement sa chemise verte m’avait influencée sur le choix du parfum. Le gros type suant à grosses gouttes semblait au bout du rouleau. Son stress commençait à devenir communicatif. Nous étions trois personnes à attendre derrière lui que la cabine photomaton se libère et je commençais, moi aussi, à devenir nerveuse en le regardant tourner sur lui-même comme s’il essayait de trouer le plancher de la gare. A l’intérieur du mini studio photo, quatre ados faisaient une photo de groupe et ça rigolait fort là-dedans, les rires aigus des filles et les gloussements idiots des garçons.

-Y en a encore pour longtemps, s’impatienta mon loukoum en secouant le rideau de la cabine ?

Un des jeunes sorti la tête l’air furieux :

-Oh hé, ça va le gros !!!

Je me suis indignée, je n’aime pas qu’on se moque, c’est plus fort que moi.

-Dis donc toi tu parles autrement…

-Qu’est-ce qui a ? Elle est pas contente la petite dame ?

Le deuxième garçon émergea de la cabine avant même que j’ai le temps de répondre :

-Bon, venez les mecs, pas la peine de faire des histoires, on reviendra dans 5 minutes pour récupérer les photos !

Ils se sont éloignés sur le quai de la gare toujours en riant.

Le bonhomme corpulent s’épongea le front, il ruisselait de sueur, je me souviens m’être dit que s’il continue comme ça, on va retrouver une grosse flaque dans la cabine.

Il entra, on l’entendait souffler bruyamment, il grommelait, il manipulait maladroitement ses pièces qui s’entrechoquaient, il avait l’air si nerveux. Puis, plus rien, plus un seul bruit, même pas celui de sa respiration. Au bout d’une minute ou deux, le rideau s’ouvrit, le bonhomme apparut livide, il n’avait pas été photographié. Ça commençait à m’énerver sérieusement tout son micmac. Je lui demandais :

-Ça va bien, Monsieur, vous avez terminé ?

-Heu non, allez-y vous, j’irais après.

Décidemment, ce type était étrange. J’entrais dans la cabine, je m’installais du mieux possible, il y avait une drôle d’odeur là dedans, une petite odeur acide. Je ne l’ai identifiée que plus tard, beaucoup plus tard, c’était l’odeur de la peur. Pendant que les flashs m’aveuglaient, j’entendais à l’extérieur les gloussements des 4 gosses revenus chercher leurs photos. Et ça riait ! Je me demandais si le bonhomme étrange était toujours là à attendre, ou s’il était parti.

Il était là, l’air toujours aussi angoissé. J’attendais la sortie de mes photos sur le côté de l’appareil. Le type avait laissé les deux autres personnes passer, et lui il attendait.
Je n’ai pas pu me retenir de lui demander :

-Excusez-moi, Monsieur, mais vous voulez prendre des photos ou non ?

Il me regarda comme si je venais d’une autre galaxie, une alien, une sardine dans un pot de yaourt, un chameau lapant du lait dans une cuisine. Deux grosses billes me fixèrent comme si elles allaient tomber des orbites, puis il avala sa salive, secoua légèrement la tête et me répondit :

-Heu, oui, oui, bien sûr que je veux prendre des photos, et il rajouta plus bas, je ne veux même que ça !

-Alors, pourquoi n’y allez-vous pas ? La cabine est libre à présent !

-C’est que j’ai peur…

-Pardon ? Mais peur de quoi ?

Le bonhomme m’attrapa par les épaules, geste qui me fit reculer instinctivement d’un pas (après tout, il était bizarre ce type). Il me chuchota presque :

-ils sont là !

Décidément, il était inquiétant et mieux valait pour moi, je me mêle de mes affaires, mais il ne l’entendait pas de cette oreille.

-Essayez de compter les pieds un jour d’affluence dans le métro, vous verrez que ça ne correspond pas avec le nombre de personnes présentes ! Les entités d’un autre monde nous ont déjà envahi !

Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à ça.
-Et vous en voulez la preuve ? Il sortit d’un cartable de cuir éculé et avachi une enveloppe kraft qui avait vécu elle aussi. Il en extirpa une série de bandelettes blanches.

-Vous savez ce que c’est que ça me demanda-t-il ?

-Heu non.
-Ce sont des photos que j’ai prises de moi dans tous les photomatons de Paris, mon image n’y figure pas, et vous savez pourquoi ?

-Heu non.

-Parce qu’ils la volent systématiquement ! Ils fabriquent des clones.

Sur ce, le bonhomme tourna les talons sans autre explication. Il entra dans la cabine et finit par se faire tirer le portrait. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai attendu, j’étais comme deux ronds de flanc, médusée, interloquée, je n’avais jamais vu un personnage aussi grotesque et pourtant fascinant.

Il sortit et me regarda d’un air entendu, comme si, à présent, nous partagions le même secret. Au bout de deux minutes de silence total (la gare me semblait vide), la bandelette sorti, il n’avait pas menti, elle était vierge !

Il mit la bande de papier dans son enveloppe kraft et s’éloigna, oubliant totalement ma présence.

Et que voulez-vous que je fasse, moi, à présent ? Et bien, je compte les pieds !


Mikla

Top of pagePrevious messageNext messageBottom of page Link to this message

yv
Envoyé dimanche 02 janvier 2005 - 00h10:   

Un chat m'a arrêté dans la rue pour me dire :
Excusez-moi, monsieur, mais vous pourriez pas m'indiquer le plus proche Photomatou ?
......................

Message:
Identificateur : Information d'envoi:
Cet espace est public. Entrez votre nom d'intervenant et votre mot de passe si vous avez un compte. Sinon, entrez vos Nom, Prénom et votre nom d'intervenant si vous avez un compte . Laissez le champ 'mot de passe' vide. Votre adresse E-mail est optionnelle.
Mot de passe :
E-mail:
Options: Ecrire en tant que "Anonyme"
Code HTML non valide dans un message
Activation automatique d'URL dans un message
Envoyer:

Thèmes | Depuis hier | La semaine dernière | Vue d'ensemble | Recherche | Aide - Guide | Crédits programme Administration