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jml
Envoyé lundi 10 janvier 2005 - 23h12:   

MAUDIT HIVER



Lorsque les doigts dégèlent on rêve de l’été. On laisse l’hiver dehors ronger la babiche des raquettes et le bois des skis. Je réchauffe les miens à l’haleine d’un loup en écoutant chanter le cerisier qui brûle. C’est comme un vin de feu léchant les bras du poêle. J’imagine une plage sur la page de neige, des eaux bleues dans la marge, un canot crachant l’air comme un bébé baleine.

Lorsque les mots dégèlent on n’ose pas leur toucher. Il y a des mottons de voyelles sur la laine des mitaines, des empreintes qui fondent sans qu’on puisse les lire, des traces de neige qui s’effacent comme un vol d’oiseau sans laisser de sillage. L’encre sèche en buée comme le serin* du nord.

Lorsque les yeux ont froid les images tombent en neige. Les montagnes rentrent la tête dans les épaules. Le ciel enfile son écharpe de nuages. Le vent mord la chair de l’horizon. Une longue barbe blanche mange les joues du paysage. Même le soleil a froid au bout de sa ficelle. Un arbre cogne sur le toit avec ses doigts de glace. Je rêve de marcher sur le sang des colchiques.

Les mots d’amour surpris par la tempête se cachent dans les boites à malle. Elles accoucheront de poèmes, de lettres enflammées et d’autres mots d’amour au retour des outardes. Tous les poteaux de clôture ont mis leur tuque blanche et les oiseaux dérapent sur les fils givrés. Je rêve d’une terre aux lèvres de chaleur.

La rose rêve d’être un oignon pour traverser l’hiver sans avoir à mourir. La lune vole si bas, on s’y cogne la tête. Chacun a sur le crâne une bosse de glace. Il fait si froid dehors, même l’ombre s’enrhube. Où trouver les couleurs dans les yeux de la terre ? Tout est blanc. La vie retient son souffle. La neige vient à bout de la patience des peintres.

Les flocons brillent dans la nuit. La neige est une erreur du feu. On entend le silence faire craquer les branches. Pour peu, on croirait du néant. La neige qui s’entasse a dévoré les routes. La lumière est si lente, le corps n’a plus d’ombre. On ne parle plus, on tousse. Il n’y a plus de fruits pour la faim des chevreuils. Ils s’enlisent affamés dans les ravages blancs.

La peau se racotille pour réchauffer le cœur. Les paupières dérapent sur la minceur des images. Il faut être un flocon pour connaître la neige. Je ne suis qu’un peu d’homme cherchant un peu de femme. Tout est trop blanc, trop mou. Quand on avance dans la neige les mailles du filet se reforment à mesure. Le soleil n’est plus qu’une métaphore, une doublure symbolique. Je rêve d’être une guêpe dans une ruche folle, une poussière d’étoile sur un tapis volant.

On ne sait pas ce que l’hiver veut dire. Il fait taire les fleurs, les papillons, les bêtes. Il se nourrit de rien et dépouille les hommes de leurs chaudes caresses. Même un arbre en hiver doit se fermer les yeux. Les petites mésanges lui servent de radar. Il n’y a que les enfants pour faire rire la neige. Ils y sautent à pieds joints. Ils font des balles folles et des châteaux hantés. Ils coursent des lutins sur des luges enchantées.

Pendant que je grelotte mon vieux loup Chibouki s'installe sur le plus haut banc de neige, les oreilles dressés et le museau pointé vers l'absolu des bêtes. Il aime le blizzard, les hurlements du vent et les tempêtes de neige. Il rajeunit l'hiver comme un arbre au printemps. Son poil devient blanc et ses regards s'allument. Dans ses yeux jaunes, c'est le soleil qui brille. On ne saura jamais ce que pensent les loups.

J’ai besoin de racines, de fougères et de branches. J’ai besoin du goût rouge des fraises, du cri de la cigale et du dard des abeilles. J’ai besoin de la pierre pour accueillir mes pas, de la mousse vivante où rêvent les insectes. J’ai besoin d’un soleil qui ne soit pas éteint, d’une lune si proche qu’elle caresse les blés. J’ai besoin d’un brin d’herbe pour appuyer mes phrases, du phare des lucioles pour éclairer ma nuit.

La neige tombe trop drue. Elle coupe du réel mais aussi du sacré. La neige n’a pas de pulpe où mordre à belles dents, ni saveur ni ferveur. La neige n’a pas de peau. Elle résiste aux caresses. C’est une chambre blanche où s’efface l’image. Seules les montagnes persistent à narguer l’horizon. Je rêve d'un creux de souches où débordent les sources, aux grottes entrouvertes où débonde l’azur. Je rêve aux libellules, aux maringouins, aux mouches noires et aux ours.

Certains jours d’hiver, on n’ose pas sortir. On n’a pas le cœur en forme de pelle. On n’a pas l’âme en pneus d’hiver ou en Bonhomme Michelin. On n’a pas des snow-grip au bout de chaque orteil. Il n’y a plus d’espoir pour accrocher le cœur. On s’encabane. On hiberne. On met une tuque aux faits divers. On se cogne la tête contre les murs.. On fait son miel avec des fleurs séchées. On jardine sur les fleurs du tapis. On cherche du parfum sur la tapisserie à fleurs.. On transforme en étang le bain de porcelaine. On y ajoute des ides, des idées, des anges, des néons, des grenouilles en terre cuite et les plantes du salon.

J’ai besoin d’un printemps et ses graines de voyou dégainant leurs rengaines, le corps à corps, le swing, à fleur de peau, à fleur de mot. J’ai besoin d’un été et ses hanches qui chaloupent sur une mer d’herbe verte, ses rires de framboise sous la caresse du vent, la mèche du soleil que le plaisir allume. J’ai besoin d’un gazon piqué de pissenlits. J’ai besoin d’un gazou avec son p’tit air crasse qui faire rire les flûtes, de crosses de fougère faisant danser les fées, de têtes d’ail sauvage avec leurs idées folles.

J’ai besoin d’une terre pleine de sucs et de sèves, de graines et d’insectes. Je veux un ventre de chaleur où la vie tangue pour renaître, où la mer gagne sur la cendre. Je veux marcher pieds nus, le rêve au bout des doigts, comme on trace un poème aux dos des doryphores.



·le serin est le nom que les vieux donnent à la rosée du soir


10 janvier 2005
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Christiane
Envoyé mardi 11 janvier 2005 - 03h42:   

Vous devriez pourtant aimer l'hiver comme votre loup.
C'est une saison pleine à ras bord d'espérance
Aussi arable que le printemps, pourvu qu'on le cultive disait E. Dickinson

Et puis les adorables mésanges

Mais, c'est vrai, quand la maison craque et que les clous pètent de froid, on n'a pas le goût de sortir, même pas le goût de jardiner "les fleurs du tapis"

Bises
Christiane
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mohand
Envoyé jeudi 13 janvier 2005 - 00h06:   

quand l'hiver tue tout en promettant la lune
Les vieux de leur bout des yeux pleureurs n'y voit qu'un amour
qui brule à la meche de leur beau passé
qui s'envole.
quand l'hiver s'empare de leurs haillons,
le feu qu'ils espèrent ressuciter leurs ames
fait de leur peine
la cendre de la continuité dans l'absence.

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