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aglaé
Envoyé jeudi 10 février 2005 - 15h59:   

Brèves de Mémoire

Dans le Paris de mon enfance, beaucoup de choses existaient, disparues depuis. A la devanture des teinturiers, je lisais : »Deuil en 24 heures. » et longtemps je n’ai pas compris ce qu’était un deuil. Et ensuite, ce fut pire .C’est seulement à l’occasion d’un décès dans ma famille, que j’ai vu les vêtements teints en noir en l’espace d’une journée et que l’énigme s’est éclaircie.

Les petits métiers des rues existaient encore. On entendait : »Peaux d’lapins p eaux »et je suis incapable de vous dire si le marchand voulait acheter ou vendre les fameuses peaux. Je m’en foutais à vrai dire, mais la chanson me charmait.
Au marché on entendait : » duuuu mourron pour les p’tits oiseaux » ou bien : »marchands d’lacets, marchands d’lacets ». Je l’ignorais, mais c’était un reliquat du Moyen Age dans le Paris du vingtième siècle.


Entre huit ans et quatorze, c’est la guerre. Cartes d’alimentation… vous connaissez. Je suis même allée chercher un masque à gaz-je crois que c’était au Moulin de la Galette- désaffecté en raison de la guerre. On l’a rangé en bas d’une penderie et on en a plus parlé, mais ça devait être obligatoire. Plus rigolo : en revenant de l’école, je vois une grande barrique, sans couvercle, sur un trottoir de l’avenue de Saint Ouen. Je m’approche et regarde : c’était des olives vertes.
Je cours à la maison. Je raconte. Mes parents intrigués, me donnent de l’argent avec pour consigne d’en acheter autant qu’on voudrait bien m’en vendre. Je suis revenue, la bouche pleine, avec un kilo d’olives. Un trésor à l’époque. Nous ne saurons jamais pourquoi et par qui cette denrée inhabituelle avait été expédiée.

Mes parents ne voulaient pas se commettre avec les combines de marché noir. Une seule exception : Le gigot de ma communion solennelle, le meilleur de ma vie. On en a parlé pendant six mois.

Dans ces années là ,j’ai vu le premier film sérieux de mon existence. Mon frère aîné m’avait emmenée voir : « l’assassin habite au 21 » merveilleux film ou merveilleux souvenir ? Les deux je crois. Je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler le dénouement. Il y a trois assassins dans cette affaire policière. Chaque fois que l’un deux commettait un crime et se faisait arrêter, c’est un autre qui prenait le relais. Il tuait à son tour, innocentant le prisonnier. J’avais dix ans et cette idée m’a semblé diabolique et admirable.

Je n’ai pas vu que des chefs d’œuvre, mais je n’avais pas la notion de la qualité d’un film. Au Métropole, petit cinoche de quartier, j’ai vu un navet prodigieux
qui s’appelait : « Les Abandonnées » sur la réhabilitation des prostituées . Mes parents avaient fini la soirée dans un grand fou rire et, furent stupéfaits de me retrouver en larmes devant ce mélo grandiloquent.

La piscine de mon quartier, une des plus anciennes de la capitale ,est située en bas de la rue de la Jonquière. Nous avions rendez-vous le jeudi matin avec deux ou trois camarades ,devant la porte Des que nous avions franchi les trois marches qui nous séparaient de la caisse –et, c’est ce moment là qui constitue le meilleur de mon souvenir, un ensemble de cris joyeux, de rires, de brouhaha sympathique, un peu lointain, faisait battre mon cœur d’une émotion délicieuse, pour un plaisir légèrement différé, et à cause de cela ,plus intense. A cela, s’ajoutait une odeur de bain chaud légèrement javellisé et les bassins bleus que nous apercevions bientôt ressemblaient à une grande baignoire destinée aux ébats de grands poissons bruyants et rigolards. Toute ma vie j’ai ressenti cet instant d’arrivée dans une piscine, comme un des meilleurs petits bonheurs de l’existence.

Tous les souvenirs d’enfance ne sont pas agréables. Deux fois, vers dix ans, il m’est arrivé ceci : je revenais de l’école le midi avec mon amie Chrissy. Nous riions comme des folles. On peut dire que c’était un bon moment. Mais tandis que, elle, prudente, pensait à « prendre ses précautions » après les trois cours du matin, moi, disons le tout net, je n’avais pas fait pipi depuis le matin. Pendant que nous marchions ensemble, tout allait bien. Mais, au moment précis où je m’arrêtais de marcher, c’est à dire dans l’ascenseur,….c’est ça, vous avez compris : je faisais pipi . Honteuse, je sortais au troisième étage et, pour me donner le temps de réfléchir aux ennuis qui m’attendaient chez mes parents, je m’asseyais sur les marches de l’escalier, sur quoi ? Sur la moquette rouge. Et ,trois minutes après, il fallait bien sonner à la porte, rouge jusqu’aux genoux et inondée.

Le six juin mille neuf cent quarante quatre, toujours avec mon amie Chrissy, vers huit heures et demi du matin, nous marchions en direction de l’école comme chaque matin en échangeant nos histoires de petites filles. Quelque chose de vaguement inhabituel attire soudain notre attention. Un petit groupe d’ adultes, puis un second, puis un troisième ,bavarde, chahute, plaisante.
Nous nous approchons d’eux, curieuses, les oreilles bien ouvertes. Nous avons entendu, mais avons nous compris directement la portée de la nouvelle que tout ce tohu-bohu révèle : »Les Américains ont débarqué . » C’était donc ça ! Et les gens dans cette rue Legendre habituellement sinistre, parlent fort, s’interpellent, et une atmosphère de fête dévale le quartier comme une vague d’espoir. Mon souvenir ne va pas plus loin. Je pense que nous avons repris le chemin de l’école en regrettant que les grandes personnes ne soient pas rigolotes un peu plus souvent.

A cette époque, ma grand’mère paternelle ,qui était davantage une mémé lecture qu’une mémé confiture , m’a emmenée au théâtre pour la première fois de ma vie. Et quel théâtre mon dieu ! La comédie française ; je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai trois souvenirs fondus en un seul : la salle était rouge et or, La sonnerie grêle et entêtée qui rameutait les derniers spectateurs et presqu’en même temps les trois coups sonores, majestueux, impératifs du brigadier qui font taire les derniers murmures dans la salle. Le silence. L’enroulement qui n’en finit pas du rideau qui se lève et… le comédien est déjà en scène, assis dans un fauteuil, enfoui dans une robe de chambre sans élégance, une plume d’oie dans la main droite, une feuille de papier devant lui posée sur un écritoire, et il monologue :

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq.Plus « un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir, les entrailles de monsieur »…………………
…………………………………………………………………………………………….
« Les entrailles de monsieur, trente sols. »

J’ignore tout de la pièce de Molière, Le Malade Imaginaire, et je ne connais pas le célèbre comédien qui tient le rôle d’Argan ce soir là et qui s’appelle Denis D’Inès.
Mais je pige tout de suite la drôlerie du texte, la liste interminable des soins et des médicaments prodigués à ce faux malade qui déchiffre le montant des honoraires de son médecin en protestant contre les tarifs exorbitants du praticien.
« Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux ,s’il vous plait, si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade ».
Et à la fin du monologue Argan appelle sa servante en faisant sonner une petite cloche : »drelin, drelin, drelin,drelin, ils sont sourds. » « Toinette, drelin drelin, drelin,Toinette » » »Mon Dieu, ils me laisseront ici mourir, drelin, drelin, drelin. Chienne, coquine, drelin, drelin, j’enrage ». ma citation n’est sans doute pas très
exacte mais j’ai un tel plaisir à m’en souvenir.

Quand mes enfants ont eu à leur tour l’âge de voir une pièce de théâtre nous les avons emmenés voir « Le bourgeois Gentilhomme » Cette fois je connaissais la pièce et le nom des acteurs. C’était sans importance. Je ne regardais presque pas la scène. Je regardais mes enfants et je pensais à mes douze ans.

Quelques années plus tard ,avec ma sœur et mon beau-frère, je me souviens d’une équipée mémorable. Leur maison, implantée à Sceaux, au sud de Paris n’était pas très éloignée de l’aéroport d’Orly. Un soir d’été, en mille neuf cent cinquante deux, à peu près, dans cette direction sud, un incendie impressionnant. Mon beau frère, Georges, nous déclare avec une belle autorité, qu’il s’agissait certainement d’un accident d’avion. « Vite, vite , les filles, il faut aller voir ça » ; En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous sortons la voiture du garage et , en route. Direction Orly. Excités comme des puces. Mais, manifestement, plus nous approchions du but, plus il s’avérait qu’aucun incendie n’était visible ni devant, ni à droite, ni à gauche. Nous avions perdu notre incendie. Tant pis. Demi tour et nous revenons vers la maison. En approchons de Sceaux, une fumée très inhabituelle planait au dessus du Parc. Nous nous approchons de la grille principale, un service d’ordre assez bon enfant faisait signe aux automobiles de circuler. L’un de nous décide d’aller aux renseignements et revient vers les deux autres, mort de rire. Il était bien là notre incendie avec cette fumée épaisse. Sacha Guitry tournait ,de nuit, l’incendie de Moscou, pour un film historique dont j’ai oublié le nom et, de loin, quelques flammes un peu hautes avaient réchauffé nos imaginations de jeunes gens. Ce n’était que ça.

Puisque je parle de ma sœur, qui vient de nous quitter, je veux dire qu’elle avait un don pour des contrepèteries involontaires qui faisaient notre bonheur. Devant un de ces petits manèges peu fréquentés, mal peint, moulinant une musique pauvrette ,elle s’était campée et avait déclaré : » c’est pitable, non, pardon, c’est mineux »ou bien : « mais si, souviens toi, c’était ce fameux connard tellement couru « . Si, sortant de chez le dentiste, elle râlait parce que la voiture était garée un peu loin du cinéma, elle lançait à son mari : « Tu ne vas pas me faire marcher avec ma dent ». C’était Mado, inoubliée.

Mes derniers souvenirs de Paris, au moins pour la période de ma jeunesse, remontent à mille neuf cent cinquante trois , avant mon mariage. Chez Charlot, place Clichy, quand nous étions riches, les spécialités de poissons et de poissons, faisaient nos délices. Mais notre joie, c’était de repérer dans ce haut lieu des fruits de mer, un pauvre mec, qui détestait ça, et qui s’était laisser entraîner là par surprise, se consoler comme il pouvait avec des spaghettis bolognaises .

A cette époque nous voyons les films d’Orson Welles, nous traînions Rue de Seine devant les galeries de peintures, nous avons acheté un hamster quai de la Mégisserie qui nous a pourri la vie pendant deux ans, Nous avons vu « N’écoutez pas mesdames, » au théâtre de la Gaieté,nous avons déjeuné chez Roger La Grenouille qui nourrissait tous clochards de son quartier, nous avons salué l’immeuble du cher Blondin, quai Voltaire, lui qui nous faisait rire et qui nous émouvait. Nous avons découvert Paul- Louis Courrier. Et les mémoires d’un truand de Trignol. Nous avons acheté « Monsieur Jadis » quatre fois, nous avons acheté les poèmes de Raoul Ponchon chez Gibert, vous savez celui qui écrivait :

Je hais les tours de St Sulpice
Lorsque je les rencontre
Je pisse
Contre

Aglaé
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ali
Envoyé jeudi 10 février 2005 - 17h05:   

Superbe narration mon Aglaé!! un délices!! merci

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aglaé
Envoyé vendredi 11 février 2005 - 20h45:   

merci mon Ali
je lis tes poèmes et je reviens; Sois sage;
D'autant plus que mon ordi manque de mémoire (comme moi!)et me fait des mistoufles!!!
Flopée de bisous
Glaé
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ali
Envoyé vendredi 11 février 2005 - 21h41:   

Tes histoires mon Aglaé tiennent aussi leur beauté de cette presence de la narration pas seulement dans le passé mais aussi dans le prrésent et le futur;en voici un exemple:

"-vous savez- celui qui écrivait :

Je hais les tours de St Sulpice
Lorsque je les rencontre
Je pisse
Contre "
un autre:
"-Mes derniers souvenirs de Paris-, au moins pour la période de ma jeunesse."

j'ai remarqué aussi qu'il y a de grands passages poètiques dans ton texte ,voici j'en ai relevé qlques phrases:


Dans le Paris de mon enfance
beaucoup de choses existaient
**
Je m’en foutais à vrai dire
mais la chanson me charmait
Au marché on entendait :
» duuuu mourron pour les p’tits oiseaux »
**

une paire de bisouettes aglaéeniennne!
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mohand
Envoyé samedi 12 février 2005 - 02h48:   

un récit autobiographique où l'on ne sent pas l'adulte/ ecrivain mais le narrateur/ enfant.L'ecart entre ces deux poles est ce qui donne au texte sa littérarité ou pas. Ici ,il est nul, l'enfant/narrateur. C'est dans cette sincerité, qui l'ecrivain/ créatif cherche parfois à s'assurer si elle est sincère, que se retrouve le narrateur et le lecteur qui s'accordent à faire le chemin ensenble. J'ai fait un bon chemin avec vous ,pendant quelques minutes merci pour vos dons
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aglaé
Envoyé samedi 12 février 2005 - 16h55:   

C'est vraiment le bonheur d'être reçu si bien dans des coeurs qui ne sont nullement virtuels à travers la drôle de machine....mais si chaleureux
que je les sens frôler mes mots.
Un gros container de bisous pour vous
Au havre, on envoie tout par container!
Aglaé
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hélène
Envoyé samedi 12 février 2005 - 21h22:   

hé surtout Aglaê qyu'ils viennent surtout d'un pays où il fait bien plus chaud que chez nous
sable et soleil
leur mots nous font supposer des coeurs bien accueilants juste comme une cheminée rouge et or en février comme il est douillet
ce fil
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ali
Envoyé samedi 12 février 2005 - 23h19:   

Container de bisous!!!awwwah!
uniquement
S'ils avaient des pieds j'en ferai des Hommes
s'ils avaient des ailes j'en ferai des cygnes
s'ils avaient des pètales j'en ferai des roses
s'ils avaient des feuilles j'en ferai un papillon
mais ils sont tout ça plus encore la vie
tes bisous en champs de mots sur ta commissure des lèvres!!hihi!mon Aglaé..
quand notre étroit détroit mon Aglaé aura son tunnel je t'enverrai un train de bises!
..
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ali
Envoyé samedi 12 février 2005 - 23h44:   

Sable et soleil
pieds nus d'une fourmi
semelles aux mains

bisousolaire
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aglaé
Envoyé dimanche 13 février 2005 - 17h42:   

Hélène

C'est un fil chamallow pour notre Saint Valentin !!!

aglaé

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