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jml
Envoyé vendredi 11 février 2005 - 07h58:   

POUR HABILLER LE FROID




Le sang jaune de l’herbe recommence à verdir. La maison écarquille les yeux et guette le retour des oies blanches. Il ne neige plus, il pleut de longues larmes sales. Le loup du vieux Matthieu trouve des os trop blancs, trop lisses. Ils ont passé l’hiver à soigner leurs blessures. Les crocs du loup rassurent les vieux meubles mais font peur au facteur. De toute façon, le vieux ne reçoit plus de lettres. Par prudence, les chats du voisinage ont appris à hurler et mordent quelques os pour donner le change. La photo de la terre se développe peu à peu sous le révélateur du printemps. Les secrets qu’elle recèle n’en sont plus, une vieille pelle rouillée, une chaise endormie, un cadre de vélo avec une roue qui tourne tout en grinçant des dents. Cric, cric, cric. On dirait des bémols coincés dans l’engrenage, des couacs de trompette ayant manqués de souffle.

Le soleil a beau fendre les nuages comme une scie musicale et des bouquets d’oiseaux colorer les dimanches le vieux Matthieu aussi ronge encore un vieil os. Il voit ce qui n’est plus. Il entend le silence. Il y a eu un passé qui n’est plus à présent. Seul le paysage entoure ses épaules de ses mains invisibles. Il ramasse à la pelle les cailloux morts d’amour, l’argile des fatigues, l’or fané du temps. Toute sa vie Matthieu a dit oui à la vie en embrassant le soleil sur le bout des orteils. Il astiquait la lune avec le gant du rêve et redressait l’azur en mal d’inconnu. Il réparait parfois le cœur des pommiers. Il élevait des moutons pour habiller le froid. Toutes ces années vécues pour récolter du vent, un ver dans la pomme, un verre à moitié vide. Quand la Louise est morte, il a fermé sa porte aux écureuils roux. Il n’y a plus d’enfants pour lui tirer la barbe, plus de poupées sans yeux, de cerfs-volant brisés qu’il faut remettre à neuf. Déjà, pense-t-il, je ne suis plus qu’un trou en forme d’homme. Si au moins son fils lui avait des petits-fils ou des petites-filles avec des yeux de mer comme ceux de la Louise. Quand son fils est parti, le temps s’est arrêté. Il y a déjà dix ans qu’il n’a plus de ses nouvelles.

10 février 2005

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