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Envoyé jeudi 10 mars 2005 - 23h13:   

Légende du Mongol

C’était entre la Ville rouge et la Vallée du Roi, bien avant le déferlement des armées de Genghis Khan. On ne se souvient plus du nom du souverain qui dépêcha vingt de ses hommes parmi les plus sûrs et les plus forts de l’autre côté du fleuve Amour, pour chercher la coupe de la vie.
Cette coupe, il l’avait arraché à une cité vaincue dont tout s’est perdu, même le nom. Si on y buvait matin et soir, elle rendait le corps si heureux qu’il n’y avait plus de maladie possible.
Quant à l’âme, boire à cette coupe l’inondait d’un tel enthousiasme que la vieillesse n’existait plus. Qui y buvait mourait infiniment vieux comme on s’endort parmi les fleurs à la fin d’un festin de noces.
La caravane et l’escorte, pour raccourcir le chemin du retour, traversait le grand glacier au dessus des lacs de Baldiamir quand le yack qui portait la coupe effondra un pont de neige et culbuta au fond d’une crevasse de glace vives.
Elle était si précieuse, cette coupe et le roi, dans sa Ville Rouge, l’attendait avec tant d’espoir que revenir sans elle serait tendre sa gorge au bourreau. S’enfuir ? La perte passerait pour un vol et demain ou dans dix ans, les soldats subiraient les supplices les plus raffinés.
L’escorte décida de camper sur le glacier pour en sonder les crevasses et coûte que coûte retrouver le yack et son chargement.
On monta le camp sous un roc géant qui protégeait des tempêtes et des indiscrets. La langue de glace qui descendait entre les falaises rouge était par bonheur tellement limpide qu’on ne pouvait tarder à repérer dans cette grande transparence la forme brune de l’animal.
Tous les soirs, quand le soleil prenait les crevasses en enfilade les soldats se penchaient sur les bords et regardaient. L’un d’eux enfin se redressa et sur tout le glacier on entendit ses cris de joie. Enfin, il avait trouvé ! Après des prodiges d’équilibre, on réussit à descendre une corde terminée par un crochet qui s’enfonça, vingt mètres plus bas dans l’encolure du yack. Mais en remontant la bête, son chargement bascula et la coupe tomba tout au fond. Allez-donc, maintenant, repérer dans ce cristal de glace, le cristallin d’une coupe ! Autant retrouver un diamant tombé en mer.
- Il vaut mieux aller à la Ville Rouge fit celui qui commandait, et dire toute la vérité.
- Moi je reste, dit un Mongol à tête plate, celui qui portait dans des outres une liqueur rouge.
- Tu es fou, firent les autres, l’hiver est là. La neige va te prendre et tu mourras en route sans ramener la coupe !
- J’ai autant la folie de cette coupe que le Roi. Si je la trouve, elle sera à moi et à personne d’autre.
- Commence par nous la montrer, eh le Mongol !
L’homme vida ses outres le long de la crevasse et miracle, la coupe se remplit. Tous purent la voir, petit bouton rouge inaccessible.
- Et maintenant ?
- J’ai dit qu’elle est ma folie.
Ceci dit, il sauta dans la crevasse en poussant un long cri.
Dès qu’il vit ses soldats passer les portes de la Ville Rouge, le cœur du Roi fut empli de bonheur.
- Où est ma coupe ?
- Au fond du glacier !
- Il manque le Mongol !
- Il est avec elle !
- Il me l’a volée. Par sa faute et par la vôtre je vais mal vieillir et mal mourir ! Qu’on les brûle vif !
Et leurs fumées inutiles montèrent droit vers le ciel.
Des années durant, tous les printemps, le roi se fit porter sur le glacier en espérant qu’en fondant il rejetterait sa coupe. Il mourut d’angoisse et de rage bien plus tôt qu’en vivant simplement sa vie. La légende du Mongol lui survécut sans qu’on sache de quel glacier il s’agissait. Il paraît même qu’une très vieille femme en courant sur la glace pour éviter l’avalanche avait vu au fond d’une crevasse un point rouge et un homme tendait vers elle sa main ouverte.
Les armées du Grand Boiteux passèrent par là et par trahison le Khan s’empara de la citadelle rouge dont il éventra les hommes et les femmes comme d’habitude après les avoir forcés à abattre les murailles. Comme un des messagers de Genghis traversait le glacier, il prétendit avoir aperçu en se penchant pour boire à un filet d’eau qui courait sur la glace, dans les profondeurs teintées par le couchant une forme humaine dont l’index touchait une tache rouge.
Il revint au triple galop mais on le crut pris d’insolation et on le roula entre deux couvertures qu’on arrosa si copieusement qu’il en mourut étouffé.
Des siècles après, un jeune officier de l’armée britannique de la garnison de Kaboul, montait à cheval vers Bâmyân. Déçu par la grossièreté du colosse du Bouddha, il continua sa marche vers les sommets. Il longeait la chute du glacier quand un cri lui échappa. Ce n’était ni le lieu ni le moment des mirages et pourtant…
Au bout de la fine lame vitreuse, un bras dépassait. La main tenait une coupe où pétillait un fond de vin rouge. Le visage de l’homme aux yeux grand ouverts et son corps étaient encore noyés dans la glace.
Quand l’officier lui ôta la coupe des mains et qu’il y trempa à peine ses lèvres, le regard du Mongol s’emplit d’un tel effroi que l’officier pris de panique remit la coupe dans sa main sauta sur son cheval et piqua des deux vers Bâmyân. Un étrange bien-être gagnait son corps. Une telle folie de vie qu’il crut pouvoir sauter d’un bord à l’autre du ravin. Mais le cheval n’avait pas bu. Ce n’était qu’un coursier ordinaire de l’armé de Indes. Il plongea dans le vide et se fracassa avec son cavalier cent mètres plus bas.
Deux mois de plein soleil délivrèrent les lèvres du Mongol. Après tant de siècles d’attente, il put boire la coupe jusqu’aux dernières gouttes avant que le froid de la nuit gèle ses lèvres une dernière fois.
Le lendemain, il arrachait son corps à la glace et titubait parmi les fleurs. Il passa en chantant sous les ruines de la Ville Rouge où le roi avait rejoint la glaise et les cendres des suppliciés s’étaient dispersées dans les quatre vallées.
Mais le Mongol n’avait plus le temps de s’étonner de rien. Il avait tant et tant désiré le soleil, tant et tant tendu la main vers sa coupe, tant et tant été un mort vivant !
Mais ces genévriers, ces oiseaux autour des cascades, toutes ces eaux vivantes qui jaillissaient de la glace morte, comme lui !
Ah, ces jeunes filles dans l’odeur du miel sauvage qui le regardaient passer, étonnés par son accoutrement et tous ces siècles à vivre pour elles !

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