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Y/B
Envoyé mercredi 04 janvier 2006 - 23h47:   

Souvenirs au coin du feu.


La première fois que je l’ai vue j’ai retrouvé intacte cette émotion que j’avais petit enfant lorsque je voyais passer, dépasser, glisser devant tout le monde, le camion rutilant des sapeurs pompiers.
Rien ne semblait pouvoir l’arrêter.
Elle non plus.
Dans sa robe moulante d’une sorte de lamé rouge vermillon que ses formes tendaient comme des boucliers de carrosserie où la lumière s’accrochait et rebondissait, elle traversa la salle, entre les tables, d’un pas vif et glissé. A son passage devant eux tous se taisaient en levant les yeux vers elle avec une sorte de déférence, d’admiration prioritaire.
« parrrr-don ! parrrr-don ! parrrr-don !.. » se contentait-elle de dire en se faufilant légère parmi les dîneurs.

Elle venait vers moi qui flambais au bar.
Précise et décidée ; bien qu’encore à plus de dix mètres l’éclat bleu de son regard me parut un flash.
Et puis elle m’aborda avec un « bonjour ».
« Enchanté » dis-je en tâchant de prendre un air normal mais aussi la précaution discrète d’essuyer machinalement sur la jambe de mon futal la paume de la main que je lui tendais et que je craignais brutalement moite.
« Moi aussi » répondit-elle en la prenant sans me lâcher les yeux des yeux. Puis elle tira de son petit baise-en-ville un paquet de Marlboro et me dit sur un ton dont je ne pus deviner si c’était une question ou une affirmation : « Vous avez du feu ? » …
A moins que ce ne fut : « Vous avez du feu ! »

C’est à peu près à cette époque que je me suis remis à fumer.


La première fois que nous avons fait l’amour ma parvinrent les réminiscences de ma brumeuse convalescence après mon accident de bagnole.
Je suis incapable de dire combien de temps je suis resté entre la vie et la mort dans cette chambre anonyme.
C’était dans une piaule d’un hôtel borgne de Monte-Carlo ou bien dans la suite nuptiale d’un palace de Bécon-les-Bruyères, peu importe.

J’avais eu peur de mourir et puis j’avais eu une violente envie de vivre encore.

Celle qui s’occupait de mon coma ne portait rien sous sa blouse. Je l’avais remarqué dès le premier jour quand elle s’était penchée sur le lit et que par sa boutonnière entrebâillée m’était apparu tout entier son petit sein rond et ferme, jusqu’à la perle granuleuse et rouge tendre du mamelon. Davantage que si elle eut dansé nue à mon chevet ce petit bout de chair pommée que je braconnais du regard m’avait excité.
Elle s’appliqua sur mon corps inerte, déplaçant dans l’air où elle bougeait cet éther particulier où se mêlaient les odeurs échappées de ses aisselles à celles des antiseptiques et de son eau de toilette qui derrière mes paupières closes et à chacune de mes respirations poussait en moi les stolons d’un jasmin.
Comme autant de baisers précautionneux et intentionnés, ses doigts légers parcouraient mes blessures pour dans le même instant exacerber la douleur et si bien l’apaiser que je ne pouvais plus discerner dans les sons qui m’échappaient ce qui était des grincements de ce qui était des soupirs.
Par ces spasmes incontrôlables et incontrôlés qui m’envahissaient et tendaient tout entier mon corps comme un arc, par mon corps qui s’était de moi affranchi, redevenu sauvage, j’avais su tout de suite que j’allais m’en tirer.

Alors lorsque comme des ventouses chaudes ses baisers avaient tiré mon sang à fleur de peau j’avais reconnu la sensation étrange de mon corps qui, ne m’appartenant plus, subjuguait ce qui me restait de conscience déjà droguée par son odeur, anesthésiée par cette acupuncture de tous mes méridiens où les pointes de sa langue et de ses seins avaient cloué ma volonté comme un papillon sur un liège

J’avais eu encore peur de mourir mais cette fois j’en avais eu aussi une irrépressible envie qui me fit entrevoir inquiet que j’allais avoir vraiment du mal à m’en tirer.

C’est à peu près à cette époque que je suis devenu hypocondriaque.


La dernière fois que je l’ai vue j’ai immédiatement pensé à ma grand-mère.
Cette vieille vache m’en avait tant fait baver à tout propos et à tous les temps, aussi bien pour cet imparfait du subjonctif dont je ne venais jamais à bout que pour les heures qu’elle me faisait passer devant mon assiette jusqu’à ce que j’avale avec des hauts le cœur cet œuf poché à peine cuit qu’elle préparait à mon intention parce que j’en avais un dégoût.
Cette salope ne m’avait jamais rien épargné.
C’était parce qu’elle m’aimait disait-elle qu’elle n’avait de cesse de fustiger ma tendance à la rêverie qu’elle prenait pour de la flemmardise. C’était pour mon bien, pour que je devienne quelqu’un de bien à ses côtés qu’elle me flanquait des coups de canne dans mes tibias d’enfant et m’imposait des humiliations au quotidien. Et puis ce sourire qu’elle avait et qui dissimulait mal le fou rire qui devait la tenir en dedans chaque fois que mes yeux déprécatifs croisaient les siens en y cherchant je ne sais quoi auquel ils voulaient toujours espérer.
C’était parce qu’elle était tout pour moi qu’elle s’efforçait de me faire comprendre que j’étais pour elle un moins que rien.

Oh ! J’ai toujours su qu’elle me mentait, qu’elle me trompait. Quand elle me laissait tout seul la nuit pour aller soi disant discuter chez la voisine je savais pertinemment qu’un voisin y trouvait son compte. Je l’avais compris un soir de solitude, quand cédant à ma juvénile passion pour le métier de sapeur-pompier j’avais découvert dans mon dictionnaire analogique tout ce qui, de loin ou de près, avait à voir avec le mot feu : j’avais appris ce qu’était un pyromane et ce que signifiait avoir le feu-au-cul !

Oui, en bas de l’escalier elle ressemblait étrangement à ma grand-mère.
Peut-être parce qu’un corps désarticulé ressemble à un corps désarticulé, et que des yeux ouverts terrifiés ressemblent aux yeux sur l’effroi ouverts.
Vu d’en haut, à vingt ans d’intervalle, l’image était la même : masse molle chiffonnée d’où saillaient comme ils étaient tombés les quatre membres devenus parfaitement inutiles.
En collant le crin des cheveux un filet rouge vif suintait. Il coulait sur le carrelage blanc et s’en allait en essayant de suivre les joints.

Dominateur, je suis resté longtemps sur mon palier. Je la regardais inerte et dérisoire, flasque et éteinte. Sa bouche était restée ouverte et n’avait pas eu le temps de lâcher le cri qu’elle semblait encore contenir dans la joue noire écrasée, comme un pruneau sur le sol. J’essayais de l’imaginer mais curieusement c’est la voix de ma grand mère que j’entendis me resservir son couplet préféré :
« Mon pauv’, pauv’, pauvre garçon ! Tu ne changeras donc jamais ! »

Puis enfin j’ai pris mon téléphone et j’ai composé le 18.

C’est depuis cette époque que tous les premier-janvier j’achète, au tarif bienfaiteur, le calendrier édité au profit des orphelins des soldats du feu.
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aglaé
Envoyé jeudi 05 janvier 2006 - 09h54:   

Une merveille!
Aglaé qui adore les souvenirs quand ils sont de ce tonneau-là....

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