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Bachy
Envoyé mardi 24 janvier 2006 - 18h03:   

Dans ce roman, Ka, un journaliste en reportage, nourri de culture européenne, assiste aux luttes entre les nationalistes laïques et islamistes radicaux. Un tableau de la Turquie d'aujourd'hui entre Orient et Occident. Il finira assassiné après avoir barboté dans les eaux troubles d'une ville paralysée par l'hiver et la misère. Il faut lire ce roman pour comprendre, de l'intérieur, le présent si douloureux de ce pays déchiré entre lumières et ténèbres.Ka est un héros ambigu se démenant au sein de ses luttes pour assurer son bonheur..
Exilé politique en Allemagne, il part faire un article à Kars, ville de 350.000 habitants (préfecture) à l'est de l'Anatolie, à un vol de corbeau de la Géorgie et de l'Arménie. Kars, comme son nom l'indique, accueille chaque année la plus grande quantité de neige de toute la Turquie. Il enquête sur un fait divers sordide: le suicide de jeunes femmes voilées. Il cherche à connaître les raisons qui les poussent à commettre ce geste. Ce n’est pas la pauvreté, le désarroi ou l’incompréhension. Ce n’est pas non plus l’incompréhension des parents opprimant et frappant sans cesse leur fille, ne lui donnant même pas la permission de sortir dans la rue; ce n’est pas non plus la pression des maris jaloux ni le dénuement matériel. L’envie de se suicider correspond au désir de s’approprier leur propre corps : les filles qui perdent leur virginité tout en étant trompées, les vierges destinées à être mariées avec un homme dont elles ne veulent pas. Elles voient le suicide comme un désir d’innocence et de pureté. La raison essentielle est l’amour-propre. Il arrive à la veille d'élections municipales où s'affrontent nationalistes, islamistes et laïcs. Il est aussi venu pour de plus humbles raisons: rejoindre une ancienne camarade de fac, Ipeck, dont il est secrètement amoureux. Ka est témoin de l'assassinat du directeur de l'Ecole Normale qui a interdit le port du voile et d'un putch militaire à l'occasion d'un spectacle de propagande au Théâtre de la Nation. A partir de ce moment, Ka est sollicité par les membres des deux factions adverses: les étudiants islamistes d'un côté et les ultralaïcs de l'autre.

On reconnaît Pamuk à son écriture labyrinthique, à sa force de dire l'irréel avec l'évidence de la vérité, de décrire l'âme des gens sans dessiner leur visage, au souffle romanesque qui traverse ses livres sans faiblir. Il surprend lorsqu'il avoue que la moitié de chacun de ses livres est autobiographique, qu'il s'est rendu à Kars pendant les élections municipales, que tous les chapitres racontant ces faits, la façon dont chacun veut séduire puis rejeter l'envoyé de la grande ville qui jouxte l'Occident, sont d'exacts reportages. Il demande qu'on ne se hâte pas à faire la part du réel et du surréel dans ces livres, car, en Turquie, ces deux notions s'inversent imperceptiblement. La première place est occupée par un poète parce qu'en Turquie personne ne peut prétendre à une carrière politique sans publier de la poésie, c'est pourquoi il ne fait pas de politique, ses poèmes sont trop mauvais ! Pamuk, plus habitué aux histoires stambouliotes, a fait le choix d'investir cette partie reculée - oubliée - de son pays. Et ce n'est pas anodin. Dans les environs de Kars se trouvent les ruines d'Ani, la « cité aux mille églises », riche capitale de l'Arménie au Moyen Age, ainsi que, majestueux et surplombant la frontière arméno-turque, le mont Ararat - symbole pour les Arméniens de leur pays perdu.
Il s'est inspiré d'un fait divers et ajoute un élément récurrent dans sa narration : la neige. Kars est coupé du reste du monde, par une neige qui, inlassablement, tombe, cache des amours interdites, étouffe les coups de revolver, anesthésie les douleurs, mais ravive les rumeurs, attise les rivalités sanglantes entre fractions de tous bords, de tous les extrêmes : islamistes, militaires, nationalistes. Pamuk, malin ou provocateur, les met tous en scène sans prendre parti. Il n'épargne personne, pas même son héros, ironise sur l'art, se moque de Ka délirant sous de soudaines inspirations poétiques, montre l'imposture de la presse (le journal local imprime la veille les événements du lendemain), exhibe la détresse politique (les doubles jeux, les assassinats, les tortures...). Dans un climat de suspicion et de délation, les vérités les plus élémentaires comme les hommes les plus ordinaires sont broyés, mâchés par une machine kafkaïenne - inculture, intolérance. « Neige » ose démontrer l'incompatibilité entre démocratie et religion extrémiste. Il raconte la haine, une forme de désarroi. En véritable romancier, il maîtrise l’art et la manière d’assembler les éléments qui construisent une histoire, avec ses zones d’ombre qu’on a envie d’éclairer. Et sème, entre des pages élégiaques et torturées, les petits cailloux de plusieurs récits qui s’enchevêtrent autour de quelques personnages gravitant dans l’orbite du narrateur.
Un récit dense de près de cinq cents pages, d’une remarquable diversité d'angles et de jeux narratifs, imbriquant sa marqueterie de parenthèses et de raccords malicieux. Le romancier est omniscient et… furieusement libre.

http://users.skynet.be/pierre.bachy/pamuk_neige.html

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