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Catrine
Envoyé jeudi 18 septembre 2003 - 13h35:   

Commotion


Je crois que j’ai perdu connaissance. Je me souviens que je tombais… puis de grands visages au-dessus de moi en halos ternes, leurs yeux immenses, la bouche ouverte… moi aussi j’ai la bouche ouverte. J’ai la bouche ouverte sur un cri qui ne sort pas, et puis il fait noir, et puis plus rien. Je ne sais plus…

… un frémissement d’ombre, des souvenirs, des putréfactions nauséabondes et flasques, des remugles de consciences; des ongles, des dents et des langues déchirent les hymens et les âmes, m’attirent sur le sexe raide et froid de la mort… une mort toute les quinze secondes et combien de naissances, est-ce autant d’orgasmes? … une hécatombe chaque jour et chaque nuit, n’en est-il pas assez déjà de femmes, d’enfants, d’humains, partis pour rien, pour d’autres, quand les rois envoient encore à la guerre les ventres et la chair des peuples; l’espèce se mange la vengeance sur un tertre de complots ourdis de siècle en siècle aux noms d’hypocrites justices. Le destin de chacun dans la manche du pouvoir tels des cartes et jouées par caprice, pour du pétrole et un cigare…bander du luxe de disposer d’autrui à sa guise comme d’un bien, d’une possession, d’une …chose. Un spectacle de tricheurs cannibales. Un rire se délecte du prochain carnage, il vocifère autour de la terre. Le mensonge atteint la moelle, convainc tous du bien fondé des meurtres, des tortures, des viols. De la boucherie. De la charpie. Et nous restons assis, tous, silencieux et assis. Le ciel est si bleu dans la lumière vibrante du matin…

L’haleine souffle sur les déserts de sable et de neige, elle enfle en une voix qui ne s’éteint jamais, effleure et pique, caresse et mord …que de rêveurs à éveiller, que de cauchemars et d’illusions à dissiper; ici et maintenant il n’y a que le flot du sang, un temps s’efface et un débute. La grande roue et son mouvement, l’instant magnifique à vivre s’il en est et l’on ne se souvient de sa propre naissance, de l’ultime douleur, de cet exquis plaisir qu’à la minute même de la mort; là est la polarité la plus sensible, le passage obligé, la voie tracée d’un vortex sensoriel et sensuel, au corps, au cœur et à l’esprit, le trauma essentiel à toute existence… cet axe se suspend et se repose, l’acte essoufflé, charmant paresseux, il balance entre la vie et la mort. Une vie pour apprendre à mourir, une existence pour apprendre à vivre. Il se balance entre les doigts du vent qui souffle depuis les déserts de sable et de neige. La branche penche.

il me semble que c’est exactement au point d’équilibre que j’ai sauté le pas; j’ai fui.

… on m’a dit "évoque au lieu de dire" mais les choses s’évoquent d’elles-mêmes dans le silence de la mémoire et de la pensée… le geste équivaudrait à t’amener à évoquer en toi-même… tu ne serais qu’introduit dans ta propre pensée, ton âme si sensible et pourtant anesthésiée ne boirait rien de mes paroles…de la même manière que l’on abstrait de soi le son subtil de la faucheuse; comme s’il fallait te prendre par la main pour que tu te ressentes toi-même, ne te ressens-tu pas sans ce geste toi qui attrapes tout par le sexe pour te sentir vivre ? J’avais tout attrapé par le sexe pour me rendre compte que je n’avais plus de cœur…et qu’as-tu à faire de ma main, je me le demande… le sifflement de la faux n’est-il pas vivant ?

Je suis morte, vois-tu ? Je suis morte en moi-même et depuis si longtemps, mais la mort ici n’a plus le sens que tu lui donnes. La mort, celle dont tu parles, celle de la chair, la mère de tous les dieux, n’évoque rien qu’un silence, une absence. Je me suis dissoute dans ce néant ou plutôt dans son illusion, la seconde parfaite où l’on est convaincu que plus rien n’existe vraiment, la fuite… entre deux battements de cœur, entre deux pulsations, une ombre mauve sous les cils, les lèvres aussi pâles et exsangues que celles des cadavres, la même indifférence. L’épine de joie, la douleur vive de la naissance n’aura pas suffi à me mettre au monde, à m’expulser de mon placenta mental.

Je suis un mensonge.

Une bulle de savon.

Je n’ai pas d’existence hors la fuite.

Est-ce que tu crois que Laborit est fier de moi ?

Les naissants sont horrifiés de toute cette mort qui s’étale à leur arrivée, jusqu’à l’odeur aseptisée, la lumière crue, les doigts froids… je ne veux pas être au monde. Je voudrais n’être jamais sortie de la chair de ma mère… oui bien sûr c’est un manque viscéral qui me fait dire ces choses, oui, je suis lucide, mais je suis aussi ce que tu te plais à nommer, étiqueter, à ranger au banc des fous, des malades…

Est-il vraiment malade mon dégoût pour ce culte de la mort ? Je te regarde. Les cadavres t’horrifient. Toi aussi tu as peur de constater l’éventualité de la fin et pourtant on meurt depuis la naissance, et on passe sa vie à se faire dire "Attention, tu vas te blesser, tu pourrais mourir "… je pourrais mourir. Je mourrai de toute façon… je suis déjà morte, qu’importe. La vie ne tient qu’à un fil dit-on. Le précieux de la chose étant que l’on a presque pas conscience de cette fragilité. On oublie. Si vite nous sommes axés sur ce que nous ne sommes pas, sur les choses, les objets, les outils… et le fric, si vite nous devenons des choses et du fric. Je ne veux pas de cet état, je le refuse de tout ce que je suis et dans ma fuite, dans ma course à l’envers, je te le crie en plein visage : tu cours à l’abattoir, tourne-toi ! Tourne-toi ! C’est peut-être moi qui cours à l’abattoir, comme tu dis, c’est peut-être moi qui devrait me tourner …

et toi , qu’es-tu ? un ange ?

Les fous sont magnifiques, tout autant que l’instant précis entre la vie et la mort, tout autant que ce battement dans la poitrine de tous ceux meurent sans raison, pour la cupidité, au nom du capitalisme égorgeur, le dieu fric. Les innocents sur l’autel des sacrifices. Cela n’a rien d’humain assurément…Je dis "Pourquoi aimer une chose et donner une valeur à ce qui n’en a pas ? pourquoi aimes-tu l’argent plus que toi-même ? " et je n’obtiens de réponse hormis un regard figé. Ma folie est peut-être plus vivante que toutes les morts en soi…

Je voudrais retourner au moment exact où les mâles de l’espèce ont écrasé les femelles, je voudrais renverser les choses sans effusion de sang, combattre sans lutter… je me demande ce que serait un monde où la pensée et l’amour construisent pour le futur, sans égoïsme, et non pas dans la peur et dans la mort, mais pour la vie, pour la vie en elle-même. Je regarde ces mâles mener les peuples au massacre, saigner l’Afrique , la saigner à blanc… à blanc… les continents sont nos cadavres. Combien d’âmes y sont passées depuis les premières aubes ? N’y a-t-il rien d’autre à faire sur la Terre que de tuer ceux qui y vivent? As-tu remarqué comme les vieillards qui haïssent les enfants haïssent aussi la vie, comme les gens qui crachent sur la rue crachent sur la vie ? ... j’avais pensé que nous étions son ultime instrument, qu’elle nous prenait dans ses bras pour nous embrasser, qu’elle nous portait vers quelque chose, un but, qu’elle nous menait par un chemin étrange et merveilleux, pour apprendre, comprendre et construire, aujourd’hui un doute s‘installe… à quoi bon la vie si ce n’est que pour mourir sans cesse en soi-même, être avalé par ce culte morbide, la peur de la mort puis la peur de la vie plus que de la mort et payer pour vivre… comme si nous ne payions pas déjà de notre propre existence le passage de la mort à la vie… ou est-ce l’inverse? je ne sais plus…je ne sais plus, il fait si noir.

Évoquer, n’est-ce pas pour les morts ?

Mais je suis morte n’est-ce pas ?

La vie… c’était ma mère, la source. Je n’ai pas assez bu. J’ai soif, et puis je suis comme une assoiffée qui abandonne, au diable ce puits qui n’existe plus, au diable cette traversée du désert de sable et de glace qui n’en finit plus, tu as bien raison, autant m’asseoir et mourir, assoiffée mais indifférente, engourdie par ma propre mort, la belle défaite, oui, oui, tu as raison… j’abandonne. Quelle honte. Il n’y a pas d’oasis dans mon désert. Je n’ai plus de salive et mon sang cuit, il ne me reste que mon petit cheval dans la tête, il trotte, il trotte… mais à quoi bon.

La vie c’était peindre, chanter, rire, sentir un parfum de cheveux, odeur de feuille et pattes de chat, toucher des choses douces. Et puis la vie est devenue autre chose, elle est devenue malade, malade des amours, des enfants et puis la vie s’est perdue quelque part entre moi et… moi-même. En fait, aussi bien le dire, la vie, ce qui la représentait à mes yeux, est morte. Et moi de même.

À quoi bon vouloir vivre et exister. Je perds mon temps et mon petit cheval trotte…

la silice et la chaux,

la bouse et la paille,

la mort et la vie

s’enfilent comme des perles

sur un cordon d’histoires,

passez les fils sur la trame,

rien ne s’efface et tout s’oublie…

le temps roule comme la mer,

quenouilles et conques,

tissez, roulez…

Il est des hommes depuis si peu de temps sur la terre et déjà tant de dégâts, comment faire, comment faire… tu aimerais bien que je me secoue un peu , pas vrai ? oui je sais, tu me l’as dit déjà cent fois mille fois que je suis paresseuse, ce n’est pas que je veuille m’enlever la vie, ni périr, non, ni sombrer; c’est que je suis épuisée après cette fuite à la file épouvante…

je me sens bien quand le vent m’enfouit dans son sable…si seulement je pouvais ne plus me souvenir de qui je suis, perdre vraiment ma mémoire… oublier les traces si anciennes qu’elles se brouillent et m’embrouillent, tous ces millénaires qui coulent dans mes veines, toutes ces transfusions…

Est-ce que tu es mort toi aussi ?

J’ai trois ans et demi, et toi ?

Je suis tombée du balcon. Je crois que j’ai perdu connaissance, mais je n’en suis pas certaine… il y a un trou noir et un trou blanc dans ma vie. Bien sûr que je sais que tu le sais, ne viens-tu pas de me ramasser ? Qui es-tu? Un ange, la mort ou moi-même ?

J’aimerais te conter mes rêves… tu veux bien rester encore un peu ? Et tu es bien certain que je ne suis pas morte…pourtant j’aurai juré…



Catrine G.
printemps 2003
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Stél*
Envoyé jeudi 18 septembre 2003 - 22h40:   

Certain.
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Catrine
Envoyé vendredi 19 septembre 2003 - 03h18:   

Certain ? :¬)

riiire
ça se digère ? )))

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