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Morgane
| | Envoyé samedi 11 octobre 2003 - 08h23: | |
Perspective Humanitaire
(clin d'oeil à William Burroughs)
Le ciel est sans nuage et me parait rose. Je suis chasseur de cafards. Comme mes proies, je préfère vivre la nuit, car mes yeux avec le temps sont devenus allergiques aux rayons du soleil. Je hante les recoins sombres de la métropole à la recherche de boulot, mais jamais je n’atteins le stade de manque, car les grandes villes ont comme fléau, cette pestilence qu’on surnomme pauvreté. Et les taudis de ces démunis s’étendent tranquillement dans les beaux quartiers, ramenant avec eux leurs déchets, leur manque de culture, mais également leurs cafards. Des millions de petits habitants de la nuit, quoique petit me semble un terme inadéquat. J’en ai vu à faire dresser les cheveux sur la tête d’un chauve d’un seul clin d’œil.
Je suis un solitaire. Au matin, je rentre dans mon taudis à moi, vérifie mes réserves d’insecticides et me couche jusqu’au soir. Mais, la nuit, la nuit la ville m’appartient, je la fais mienne dès la première inhalation de produits toxiques et à ce moment là tout s’éclaircit. Ma vie à un sens, je suis un tueur, un traqueur, un boucher d’insectes nuisibles. L’importance de ma tâche transparaît de toute ma personne, et mon ombre devient immense tel la grandeur de mon ego. Les produits, mortels pour les cafards, sont mes plus grands alliés. Avec eux, je suis invincible : plus rapide, plus fort, mais surtout sans peur. Mais, je n’en suis pas dépendant, oh! non. Ce sont eux qui me sont soumis, esclaves de ma volonté, je décide quand ils peuvent enjoliver leur vie en entrant dans la mienne et quand ils doivent demeurer d’inertes petites particules sans but et sans essence.
Je n’ai jamais été un grand orateur, mais sous le couvert du crépuscule, je me prends souvent à déclamer des vers, truffés d’insultes bien sûr, aux futures victimes de ma virtuosité. Je les sens qui m’écoute en tremblant de toutes leurs pattes, ils savent que leur dernière approche, je suis à ma façon leur fléau. Je suis l’arracheur de mauvaises herbes, le bourreau des vermines, l’exterminateur! De ma voix enrouée par la drogue, je les appelle, je les somme de répondre à mon défi. Tout ceci devient sous le nuage rose qu’est ma vie, un combat titanesque, un géant tout puissant abattant ses maigres sujets un à un, savourant chaque mort, chaque âme perdue, comme on savoure un cognac près du feu en tentant de refaire le monde. Je suis le maître du monde des cafards, tel les anciens dieux, je suis vengeur et capricieux. J’inspire la crainte et on s’évanouit de peur sur mon passage. Je suis le maître de l’Univers des bas fonds de la cité!
Tout en savourant ces mots, je me dirige vers mon miteux logement, baissant les yeux sous la clarté naissante du jour. Soudain au détour d’une ruelle, je me fais bousculer par une mauviette en habit cravate. Quel imbécile! Je pourrais l’anéantir d’un seul geste du doigt, mais le sommeil me gagne rapidement et je décide de lui faire grâce de cette juste réprimande pour un tel affront…
Jacques est en retard au bureau aujourd’hui… Tout en poursuivant son chemin, il époussette les poussières imaginaires résultant du précédent accrochage avec un pauvre type en lambeau. Quelle loque humaine ce mec! , pense-t-il, ce genre de rapace devient de plus en plus fréquent dans les beaux quartiers, des vraies ronces poussant aussi bien dans le noir qu’en plein soleil et obstruant tout sur leur passage. Une vraie pollution pour les yeux et mauvaise également pour les affaires. Il serait quand même temps qu’on fasse appel à l’exterminateur.
Morgane |
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