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     PhiliPPe |
Pour les jeunes d'aujourd'hui. Philippe .. Nous sommes en 1941, en France occupée. Les pouvoirs nazis sont en place,les libertés essentielles foulées aux bottes de l'occupant. La plupart des écrivains prennent leurs distances avec une culture assignée à résidence et strictement canalisée. Certains choisissent l'exil, d'autres le silence, d'autres la résistance. Quelques-uns préfèrent s'aligner sur l'ordre nouveau et couvrir d'excréments ceux qui opposent leur dignité aux invites, puis aux menaces de la Collaboration . Comme partout et sous tous les régimes totalitaires, les poètes sont éminemment suspects . Ils ont trop répété, au cours des siècles, qu'il n'y a pas de pratique de la poésie sans exercice de la liberté . En ces temps de malédiction leur solitude est grande . C'est ici que nous rencontrons Jean BOUHIER . Avec sa femme, Colette, il habite Rochefort- sur -Loire . Ils tiennent la pharmacie de ce village endormi au coeur de l'Anjou, parmi les vignobles des Côteaux du Layon . Jean a 29 ans, il est poète . Sa bibliographie nous apprend qu'il a déjà pub- lié HALLUCINATIONS, en 1937, et HOMME MON FRERE, en 1939 . Le titre de ce recueil vaut qu'on s'y arrête car il est l'expression absolue d'un acte de foi auquel le poète restera fidèle toute sa vie. Pour l'heure, Jean BOUHIER héberge le peintre PENON et ils passent le plus clair de leur temps à parler peinture, poésie, philosophie, bref à refaire le monde . Incidemment ils remarquent que les groupes de peintres portent souvent le nom d'école : Ecole de Fontainebleau, de Barbizon, de Pont - Aven, de Paris ...tandis que les poètes se rassemblent plutôt sous des vocables en " isme " : Romantisme, Symbolisme, Surréalisme, etc...et déjà un certain humour contradictoire les amène à se demander pour- quoi on ne bousculerait pas l'usage en inversant les termes. Autrement dit, pourquoi on ne créerait pas une Ecole de Rochefort ? Pourquoi pas ? Tout de même, fonder une école poétique à deux dont un seul d'ailleurs est poète, lui donner le nom d'un minuscule village dont le seul titre de gloire, vignobles mis à part, est une fabrique de tire-bouchons en ceps de vigne, et, bientôt, en prendre la France tout entière à témoin, avouons qu'il faut le faire ! ... Ils le font . Un communiqué est envoyé à la presse pour annoncer l'événement et que l'on va publi- er des cahiers consacrés, chacun , à un poète .L'Ecole de Rochefort existe officiellement. On peut même dire qu'elle n'existe qu'officiellement. C'est encore bien peu . Si les choses en étaient restées là, on pourrait n'y voir aujourd'hui - mais s'en souviendrait-on ? - que boutade et canular alors qu'il y a bien évidemment des raisons profondes à cette naissance . Et d'abord la solitude dont je parlais à l'instant, le besoin pour le jeune BOUHIER et pour le jeune PENON de se constituer une famille d'esprit, de regrouper les poètes dispersés par la débâcle, de donner la parole à une génération que l'Histoire est en train de réduire au silence et qui, par ailleurs, cherche sa voie ( autant que sa voix ), encombrée qu'elle est par la dernière grande révolution esthétique, la plus inouïe depuis le Roman- tisme et , peut-être, la plus romantique : le Surréalisme dont la fondation remonte à quelque vingt ans de là et dont la présence sensible devient un peu contraignante . René Guy CADOU, auquel on attribue, souvent et à tort, la fondation de l'Ecole de Rochefort, fut le premier à répondre à l'appel de Jean BOUHIER, bientôt suivi de Michel MANOLL . Jean les avait con- nus l'un et l'autre à Nantes : René y faisait des études et Michel y tenait une bouquinerie où volaient des colombes parmi des livres poussiéreux . Et puis voici les amis et, bientôt, les amis des amis qui rejoignent Rochefort, au moins par le courrier, par la pensée : BEALU, BERIMONT, ROUSSELOT ...Rochefort comme on va à la fontaine, com- me on va à la fête ... Cette équipe de base constituée, soudée par la priorité qu'elle donne à la poésie sur toutes choses, va se définir à travers un texte théorique rédigé par Jean BOUHIER : " Position poétique de l'Ecole de Roche- fort " qui élève la poésie au niveau d'une morale et qui en fait une réponse à la médiocrité, à la cruauté du temps : " Notre époque est peut-être la première où l'on ait compris ce sens infini de la poésie, son sens vital, sa nécessité de liberté et surtout son véritable caractère révolutionnaire en ce qu'il recherche la libé- ration de la pensée, l'insurrection contre les voies de l'erreur...". Et René Guy CADOU, dans ses " Préci- sions sur l'Ecole de Rochefort " qui font suite au texte de BOUHIER , insiste sur le peu de cas qu'on y fait des conventions : " Avant tout, vous autres, ne soyez pas dupes ! L'Ecole de Rochefort n'est pas une école, tout au plus une cour de récréation... L'écolier siffle, les mains dans les poches, le dos tourné au profes- seur... ". Dans l'introduction de son " Anthologie des poètes de Rochefortt"( Seghers 1983 ), Jean BOUHIER témoigne : " En 1941, nous étions de jeunes hommes encore inexpérimentés mais en pleine force... Nous avions d'abord le désir de vivre alors que la mort rôdait autour de nous. Déjà nous étions ouvertement me- nacés de la prison ou du peloton d'exécution... Nous avions de la générosité en même temps qu'une intran- sigeance. Nous n'acceptions pas, au plus profond de nous-mêmes, un pouvoir servile... Les interdits se multipliaient, il était fatal que nous devenions des révoltés, que nous soyons des hommes du refus... La poésie était notre raison de vivre ... ". C'est ainsi que " L'Anatomie poétique de l'Ecole de Rochefort ", recueil collectif, est dédié : " à ceux qui savent que la poésie est en danger / à ceux qui ne veulent pas entendre parler de poésie nationale et tra- ditionnelle / à ceux qui crient " halte-là " aux faussaires / à ceux qui sont des poètes et des hommes...". A travers de telles citations on voit bien ce qu'était l'esprit de Rochefort et en quoi il pouvait fasciner des jeunes poètes épris de liberté, heureux de se voir publiés dans des cahiers qui paraissent à un rythme relativement régulier jusqu'en 1944 malgré des difficultés croissantes et en particulier le rationnement du papier...Les ordonnances du 27 avril 1942 qui prétendaient en réglementer l'attribution n'étaient en fait qu'un moyen de surveillance supplémentaire de tout ce qui s'imprimait en France occupée . En ne se soumettant pas à ces mesures policières et en publiant les cahiers sans visa de censure, Jean BOUHIER prenait de bien grands risques . Tandis que la France s'enfonce dans la guerre, le froid, la faim, la peur, la douleur, n'est-il pas admi- rable que la poésie continue pour dire que la vie continue ? Et la vie continue jusqu'à la Libération. BOUHIER quitte Rochefort pour la région parisienne où il s'établit pharmacien. MANOLL, BERIMONT, ROUSSELOT vont également vers Paris pour y vivre de leur plume. BEALU y sera libraire.Seul CADOU, nommé instituteur à Louisfert, demeure en pays de Loire. Pour avoir tenu le rôle de rassembleur qui lui était assigné au cours des années noires ( BOUHIER dixit ), Rochefort pouvait entrer dans l'histoire. Quelques-uns des poètes importants de ce siècle ont été publiés à l'enseigne de cette école qui n'en est pas une, alors qu'ils étaient inconnus ou peu connus . Pour eux et pour de nombreux autres, Rochefort fut bien autre chose qu'un mouvement littéraire. Avant tout ce fut une manière de penser, de réagir, d'intégrer la poésie au quotidien . .. SERGE WELLENS source : http://membres.lycos.fr/mirra/ | ||
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