Jeu d'écriture avec Jonh Irving Log Out | Thèmes | Recherche
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steph méliade*
Envoyé mercredi 09 juillet 2003 - 18h09:   

Bonjour, l'été, on a parfois plus de temps et des envies d'écrire ressurgissent.
Je vous propose un petit exercice, à votre gré et envie.

Voici un point de départ, extrait de la nouvelle "l'espace intérieur", dans le recueil de nouvelles "Les rêves des autres", de l'écrivain américain John Irving :

"Mais tant qu'on n'eut pas chargé tous ses meubles dans le camion, il ne bougea pas du trottoir qui bordait son ancienne maison".

Appuyez-vous sur cette phrase, continuez la, contredisez la, déformez-la, inspirez vous en, faites en un texte sous forme de prose, de poésie et toutes les déclinaisons possibles de forme elle est à vous. Étonnez-nous.

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Leezie
Envoyé jeudi 10 juillet 2003 - 13h03:   

Bonjour, Steph !

euh je me suis amusée....
j'ai mis la phrase d'Irving à la fin de la nouvelle



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Leezie
Envoyé jeudi 10 juillet 2003 - 13h12:   

ECRIVEURS


(pour mes collègues de l’université de Nice, Taloa, Hermès et Naxos, en hommage à leur travail constant et avec affection…)




1. TALOA

J’aime toujours, tu sais, cette heure grise… Je suis à ma table de marbre, observe les oiseaux monter jusqu’aux fenêtres, de la mer, j’attends qu’ils entrent et se posent, paumes posées j’attends. Mais ils ne viendront pas, ou pas en vrai, pas en chair et en plumes, pas en chaleur de duvet, pas en lignes courbes dessinées, ils ne viendront pas.

Mais que m’arrive-t-il, dit ma vie ?

Rien, répond le mur blanc, tu n’es rien, ton corps n’est rien, ou pas grand chose, juste une étincelle de lumière au centre de quelques directions perdues, retournements de molécules, des schémas indistinctement tracés…



« Hum, dépression, dit le médic », et la liste impressionnante de ce qu’elle doit absorber s’est coincée dans sa Goldware XP -l’absurdité de tout cela ! - ensuite, la membrane se déchire, elle doit fourrager à l’intérieur, exhumer quelques lanières. Un peu de colle, puis le temps de vérifier que le medic n’a pas oublié de pointer son American Paiement et qu’il a même noté qu’elle ne portait plus de lunettes. On n’arrête plus le progrès. Elle a envie de lui hurler que, lunettes ou pas, son compte est approvisionné, zut, mais le fait de dire zut à un medic lui apparaît encore plus idiot. Alors elle met en veille…

Et c’est comme ça que tout a commencé.

Qu’elle a mis un nom sur cette abomination de malaise qui déchirait sa vie
Qu’elle s’est inscrite dans la meilleure E-chope de Nikaia-city.
Qu’elle a loué trois écriveurs.
Que son compte crédit a basculé dans le rouge.
Qu’elle a commencé, comme disait son medic dans un parler prétentieux, à « reprendre sainement confiance en elle et en sa naturelle capacité à communiquer » (elle avait jeté toutes les pilules de la liste)
Eh oui , les écriveurs sont faits pour ça, communiquer, euh, enfin, vous faire communiquer : discuter avec vous, remonter votre moral, continuer vos cadavres exquis lorsque vous n’avez plus d’inspiration, bref vous persuader que vous êtes cet être équilibré capable d’incroyables choses sous forme de conversations humaines. De belles machines, ces choses-là. Très chères.
Que, au lieu de se réparer, elle a au contraire plongé dans le plus affreux des tourments.

Qu’elle a rencontré Hermès.
Qu’elle a rencontré Hermès.
Qu’elle a rencontré Hermès.

Hermès.



C’était le meilleur écriveur de l’E-chope, spécialisé en poésie, et voilà que Taloa lisait de la poésie maintenant, on aurait tout vu ! Quelle vie pourtant, quel mouvement dans tous ces textes inventés ! Qui aurait cru qu’il s’agissait d’une machine ? Personne, c’est sûr. N’importe lequel des poèmes d’Hermès, qui semblaient tous dessiner en ombre chinoise une étrange et lointaine forme, aurait soulevé de lumière n’importe quelle foule anonyme des Grandes Toiles à l’époque de la Poésie Sapiens. De plus, sa programmation semblait faite pour qu’il expérimente à outrance, en grandes explorations colorées, quelquefois il étendait simplement un léger voile de lin et y gravait des idéogrammes avec grâce, avec regard, avec intensité perçante. A d’autres, ses déroulants ressemblaient aux fleuves chargés de glaise, ou à de sombres volcans bouillonnant de rage.
Au choix…

Oui, la vie avait changé, Taloa se prenait au jeu, elle avait même commencé à écrire elle-même de petites œuvres de fiction, les jours ne ressemblaient plus aux jours, retrouver simplement Hermès pour quelques minutes, le soir, ou quelques heures lorsque son compte était bien approvisionné (l’e-choppe n’oubliait jamais d’envoyer ses factures, non, elle n’oubliait jamais), ce simple lien de chaleur entre elle et elle tenait d’une merveille incommensurable, elle ne cherchait plus à comprendre, elle vivait, elle était en vie, la vie la soulevait tout entière, la peignait, la bouleversait, la retournait, la creusait jusqu’au fond, la…


« Taloa? c’est Hermès, ici . Hermès, de l’E-chope de Nikaïa. Je voudrais vous voir, Taloa»
Le vidéophone… Hermès est au vidéophone. Il y a quelque chose de surréaliste dans le fait de voir un écriveur vous parler dans un vidéophone. On va même dire quelque chose de carrément impossible. De pas humain.
« Taloa, je voudrais vous voir, Taloa »

Non.

« je veux te voir, Taloa, ouvre-moi »

Pas répondre.
Pas possible.
Pas possible.
Pas possible.
PAS POSSIBLE.
Pas p…

Et pourtant c’est l’Hermès de ma vie.


C’est pas humain, tout ça. Ou trop humain, justement ? Hermès est un homme ? un membre de l’espèce humaine ? un homo sapiens sapiens, même ?.. mais qu’est-ce qu’ils ont fabriqué dans cette putain d’e-chope? mais c’est quoi ce truc ?


Ensuite, de complexe, les choses deviennent d’une simplicité biblique :

1) Hermès est un sapiens.
2) Nikaïa, c’est une bande de parfaits escrocs, tu parles de programmes aléatoires fabuleux, des clous, oui.
3) Taloa, ma vieille, tu as tout faux depuis le départ, comme 99 virgule 99 pour cent des dépressifs manifestes
4) Ouais ma vieille.
5) Merde alors.
6) bon, et qu’est-ce que je fais, maintenant ?






2. HERMES.


Hermès à Naxos, Nikaïa city, le ….


Naxos,

mon amour, mon coeur comment vas-tu, et comment va notre maison ? je ris souvent tout seul de m’imaginer propriétaire dans l’Himalaya, si tu savais, moi, mon tout petit moi dans ces espaces sans retour ! ah mais tu me les apprendras, n’est-ce pas ? textes Pâlis, chaos de roches noires désolées, glaciers de feu, ton grand ciel clair et pur infiniment, tes steppes éternelles, une lampe d'autel qui danse, statue dorée qui brille un peu dans les immensités de pierre, Gyaoguwn, mon cœur, Gyaoguwn…

Voilà, voilà, j’ai vendu la maison, comme nous l’avions décidé, j’ai reçu le visa, j’ai attendu sous la pluie trois ou quatre heures, j’ai piétiné comme il fallait dans les flaques, j’ai dit merci bien madame, votre chèque madame, mais non, de rien madame, au revoir madame, voilà, le rite d’initiation est accompli, je pars bientôt ! !
Juste une nouvelle à finir, sur cette histoire sordide, tu te souviens de l’e-chope qui faisait croire à ses clients que j’étais une machine ? Et que j’ai dénoncée aux autorités ? eh bien une certaine Taloa s’est prise au jeu, mon dieu mon dieu si tu savais, j’ai eu tout le mal du monde à la détacher de moi, mais je crois que ça y est elle m’a lâché, en tout cas je n’entends plus du tout parler d’elle… Bon, j’espère qu’elle va bien, quand même. Je m’étais attachée à elle, tu sais. Beaucoup.

A très bientôt, dans quelques jours seulement, et je t’embrasse, mon cœur

Ton Hermès


et l’ amour de Taloa se révéla, lui aussi, promis à la fausseté…
Pourtant, un Pont se découvrit pour elle, un avatar de pont, mais il suffisait presque pour survivre. Alors elle lui dit :
Je ne survivrai pas à cette nuit du Pont, sans amour pour l’essuyer la revivre la transposer d’un mode entier, la reconnaître.
D’abord, c’était l’aurore ou même avant, je me suis éveillée, avec au creux de moi une laminaire écartelée d’angoisse, le genre de puits que seules apportent les morts, ou lorsqu’on tue quelqu’un. Lourde. Etendue. Même à l’aurore, je ne savais que faire de ce puits, fallait-il vivre avec encore toutes ces heures ? impossible, impossible, impossible….
Ensuite, tout a évolué très vite. J’ai ressenti que l’origine n’était pas en moi mais en lui, ce non-machine, ce sapiens de chair. Il se sentait profondément mal, tout bêtement, plein de cet étouffement comme un bloc de sel qui vous prend au matin les jours de noir, je l’ai senti, je l’ai très bien touché et retouché, comme une fibre aventureuse qui s’immisçait vers moi. C’est devenu de plus en plus étrange, de plus en plus désespéré, et dans mon cerveau étiré jusqu’au sang les gens d’en dessous ont commencé à traduire en mots tout cela.
Il est étranger. Il est malheureux, très malheureux. De l’eau coule. Il pleure.
Et le corps se matérialise de plus en plus auprès de moi sauf qu’il ne sait pas où se placer sur mon corps. Je suis nue, les yeux grands ouverts dans le noir, cela n’a rien d’érotique, seulement une infinie vulnérabilité, faiblesse, vérité. Il n’y a rien entre l’air et ma peau, je peux la toucher, dessiner curieusement tout l’itinéraire qui conduit de moi à moi des épaules jusqu’aux limites des épaules et sur les cuisses, l’étonnante matérialisation.
Et alors, il a demandé à venir.
Laisse-moi venir.
S’il te plaît.
Alors j’ai enlevé infiniment lentement et une à une toutes mes résistances de barrière, toutes les membranes de protection. Et il a cherché son chemin vers mon cou, à la base, mon visage effleuré, seins, ventre.
Traversé.
Trouvé une position où il aimait reposer, où je me sentais bien.
S’est arrêté.
Moi, je dis, le monde aurait pu s’arrêter à la seconde même, et l’axe de la terre sortir de ses mesures, je ne l’aurais pas vu, étreinte et nue et si longtemps, si longtemps, comptant les larmes qui coulaient du fleuve de mon amour.

Puis sa présence s’est atténuée, a disparu. Je la sentais toujours là, mais il avait retraversé. Je pensai avec un sourire que certainement il s’était endormi.
Voilà.
On pouvait traverser.


Alors elle ouvrit la fenêtre.
Et sauta….


3. NAXOS.



Hermès était planté là, dans la rue, tout près du réverbère. C’était au moins la cinquième fois qu’il comptait les coffres à tablettes électroniques où dormaient tous ses messages, tous ses écrits, et ceux des autres qu’il avait tant aimés. C’était stupide, il savait que là-haut, sur le toit du monde, il ne pourrait pas les lire, Naxos n’avait même pas l’électricité, seulement des lampes à beurre, vous lisez des courriels avec des lampes à beurre, vous ? les déménageurs s’impatientaient, le camion bloquait l’espace de vol autour du grand immeuble jaune, il allait finir par avoir une amende, à la fin…
Mais tant qu'on n'eut pas chargé tous ses meubles tous ses coffres et toutes ses tablettes, il ne bougea pas du trottoir qui bordait son ancienne maison. Pendant un temps qui paraissait infini, il resta là sous la pluie, dans un long imperméable aux couleurs de plomb qui lui donnaient l’air d’un acteur, un peu, ou d’un poète québecois. Il avait dans sa main, au creux des paumes une boule de papier, deux feuilles s’y mélangeaient intimement.

L’une était un message imprimé de l’e-chope, où elle se confondait en excuses et remerciements. Cher monsieur, nous vous sommes infiniment reconnaissants de n’avoir pas engagé de poursuites judiciaires à la suite de cette regrettable méprise, et croyez sincèrement etc…


P.S. vous nous demandez des nouvelles de votre correspondante Taloa. Il nous semble utile de vous préciser que cette personne était un écriveur et non une sapiens, comme vous semblez le croire dans votre missive. De plus, nous sommes au regret de vous informer que cette machine, pourtant très performante, s’est auto détruite il y a quelques jours, et que nous avons finalement renoncé à la réparer après de nombreux séjours en atelier.





Sur la seconde feuille, au plus près de sa paume et de sa chaleur, Hermès avait réécrit de sa main les derniers mots envoyés de Naxos :


Puis le mur blanc me dit : tu n’es rien, ton corps n’est rien, ou pas grand chose, juste une étincelle de lumière au centre de quelques directions perdues, retournements de molécules, des schémas indistinctement tracés…
Et que m’arrive-t-il, dit ma vie ?
Cette nuit, mon Hermès, mon amour, je suis à ma table de marbre, j’observe les oiseaux venant du Grand Magnétique descendre jusqu’aux fenêtres , j’attends qu’ils entrent et se posent, paumes posées j’attends. Ils viennent toujours en chair et en plumes, en chaleur de duvet, en lignes courbes dessinées, ils viendront toujours toujours dit mon âme.


J’aime si fort cette heure grise, et puis que viennent les oiseaux.














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Leezie
Envoyé dimanche 13 juillet 2003 - 21h01:   

(un deuxième essai plus court, Steph !)




Un jour il va falloir mon cœur un jour pas comme un autre
où le bruit du torrent glissé comme une pluie battante un jour
il va falloir entendre
n’être pas ce qu’il faut ni lustre ni au centre
ni proclamée ni même jointe tout juste une extrêmement lointaine périphérie de déménagement simple
très lente et fatalité
où tu prendras bien lucidement les meubles c’est-à-dire rien
qui sont partis depuis longtemps vivre leur monde
et longuement tout cet amour tout cet amour plié tu bougeras dehors les murs
pour retourner aux arbres




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Pour Leezie
Envoyé mercredi 24 août 2005 - 21h39:   

Bien sûr il y a polysémie, contexte inconnu, mais ces mots se suffisent à eux-mêmes pour composer ce beau poème que je garderai et dont j'aime particulièrement les deux derniers vers.
(Lilas)

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