| Auteur | Message | ||
     khalid |
Jusqu'à atteindre l'âge pubère où l'innocence vacille sous les assauts des pulsions hormonales, je croyais dur comme fer, ainsi que la majorité de mes petits camarades qui usaient consciencieusement en ma compagnie les bancs de l'école Anatole France de Casablanca, que nos ancêtres étaient gaulois. Cette croyance était certainement fondée pour la communauté allochtone d'origine française du respectable établissement qui guidait nos pas vers les arcanes du savoir. Pour le reste de notre puérile et hétéroclite communauté, cette croyance démontrait un degré de naïveté faisant certainement l'apanage de la marmaille universelle à travers les âges et surtout, témoignait de la laïcité, scrupuleusement respectée, de l'enseignement qui nous était dispensé. Il faut dire que notre institutrice de l'époque, dont l'origine gauloise ne faisait aucun doute, mettait tant de cœur à nous transmettre sa connaissance de "l'Histoire" sans faire de distinguo de race, de couleur, de sexe ou d'appartenance religieuse, nous logeant à la même enseigne; celle de l'âge tendre. Nous fûmes d'abord tous des Sinanthropes ensuite des Cro-Magnons émergeants de leurs villages lacustres pour se transformer en gaulois et, au fur et à mesure qu'évoluait l'espèce humaine sous la voix de fée (et par voie de fait) de notre charmante enseignante, notre progression dans le domaine de la connaissance devenait pour nous une source d'évolution et de prise sur le monde, prémices d'une conscience objectivante incarnant l'éveil de notre "moi" embryonnaire. Quelques poils pubiens et quelques leçons d'histoires plus tard, le vase de Soissons qui symbolisait l'homogénéité innocente de notre communauté infantile vola doublement en éclats. D'abord sous le coup de hache de Clovis qui marquait ainsi l'avènement des Francs et la scission de notre entité culturelle, ensuite sous les coups de marteau de Charles Martel qui tout en repoussant l'invasion arabe à Poitiers ancrait en même temps notre future identité biculturelle. C'est ainsi que les petits gaulois que nous étions se scindèrent donc en Francs et Sarrasins. Il faut dire que cette mutation ou plutôt ce réveil ne fut pas trop brutal. Le "choc culturel" n'en était pas vraiment un car chacun d'entre nous soupçonnait déjà, quoique de manière imprécise, les différences raciales mais non ethniques de l'autre. Nuance non négligeable qui évitait une exclusion réciproque en conservant intacte notre alter-égalité dans cette dimension universelle qu'est le monde de l'enfance. Rassurés par la certitude d'une origine qui expliquait les différences pressenties, chacun d'entre nous commençait à accepter sa "Marocanité" ou sa "Francité" non pas en tant que fatalité ni en tant que bénédiction, mais en tant qu'opportunité de pouvoir accéder à un répertoire culturel doublement enrichi et surtout préservé, le temps nécessaire à l'assimilation de cette "biculture", des préjugés viciés du monde adulte. De cette époque, qu'il nous plaisait à appeler tendrement la "Gaule Ottomane", nous avons gardé une lueur dans le regard, une attitude dans le comportement et une ouverture dans l'esprit, stigmates d'une ubiquité à percevoir doublement les choses, résumant ainsi une dualité assimilée dans laquelle on évoluait avec aisance et qui, tantôt attirait tantôt rendait mal à l'aise les "unicultivés". Ce n'est que beaucoup de poils pubiens et de leçons de vie plus tard que je mesurais toute la portée dramatique de l'expression "choc culturel" lorsque assis sur un rocher du détroit je contemplais les côtes espagnoles en même temps qu'un jeune homme assis à quelques mètres de moi, et dont le regard scrutateur d'un " harrag"[1] potentiel me rappelait celui des gerfauts chantés par José Maria De Hérédia dans son ode aux conquérants. Il émanait de ses pensées perdues une aura de désespoir obnubilant sa vision uniculturellement restreinte au point de faire miroiter les sombres reliefs ibériques, contreforts de ses "chateaux en Espagne", comme une destination salutaire, rêve chimérique d'un Eldorado retrouvé. Il était loin de se douter qu'il rêvait d'une Gaule, certainement pas Ottomane, cloîtrée dans une "uniculture" parallèle et qui par peur de se voir ottomanisée avait troqué le marteau de Charles Martel contre les patrouilleurs de la guardia civil qui sillonnaient les eaux froides du détroit, funeste destination de ces conquistadores des temps modernes. [1] "Harrag": Nom donné à un candidat à l'émmigration clandestine et qui traduit littéralement veut dire "brûleur". Nom donné par la coutume de bruler tous ses papiers une fois sur le territoire Européen afin de ne pas être identifé et rapatrié vers le pays d'origine. khalid le détroit de gibralatar- vue à partir du cap malabata (tanger)  | ||
| isadayeur |
Super, Khalid, ce mélange d'humour, de gravité et d'humanité. Une très belle prose. Bi-culture ? Ali, dirait tri-, n'oublie ni le vase de Soissons, ni la jarre du berbère. Ceci dit sans désir polémique, mais parce que je trouve ça drôlement intéressant, la complexité culturelle. | ||
| Ali |
Oui Isa c'est super aussi cette association entre les temps ,les situations à travers le terme"herrag" ça me rappelle l'expression de kateb yacine" la gueule du loup" et le titre d'un livre" Tariq qui n'avait pas conquit l'Andalousie".. En ce qui concerne l'identité marocaine ,je crois que les écrivains marocains d'expression française sont les premiers à soulever et à traiter de sa dimension berbère et à la revendiquer aussi .. Et actuellement il y a même une commission préparatoire pour la création d'une association nationale pour l'africanité du Maroc;qui aura comme tâches l'ouverture de passerelles avec la culture noire ;litterature,cinéma,chanson,danse,comme quoi la négritude fait partie elle aussi de notre identité.. Merci Khalid pour ton beau texte et merci Isa pour ton commentaire | ||
| lafourmi |
"accéder à un répertoire culturel doublement enrichi et surtout préservé, le temps nécessaire à l'assimilation de cette "biculture", des préjugés viciés du monde adulte" cemme j'aime ce passage et quel style agréable Khalid ! Il y a quelques années je préparais des émissions de radio à propos de la poésie espagnole avec Jacques Ancet . J'avais été émerveillée d'apprendre qu'en Espagne des arabes musulmans et des espagnols vivaient en parfaite entente chacun pratiquant sa religion en toute liberté. jusqu'au jour où il y eut les croisades , dont Isabelle la Catholique et un pape avide de pouvoir pardon pour l'approximation je ne veux pas écrire un texte trop long et il me faudrait rafraîchir ma mémoire aussi. ton texte et ce souvenir me laissent la nostalgie d'une époque inconnue de nous où les hommes étaient sans doute bien plus intelligents que maintenant ! l'intelligence de la tolérance et d'une véritable liberté de pensée. | ||
| khalid |
Merci à vous de l'avoir lu et commenté | ||
| khalid |
c'est vrai que j'ai eu la chance de grandir dans des quartiers très hétéroclites de casablanca et de tanger. J'en ai conservé mes plus beaux souvenirs d'enfance qui ont certainement façonné de très molle façon ma pompe à émotion :-)) | ||
| H. fourmi |
molle façon ??? lmpourquoi ? trouves tu que la tolérance et l'ouverture d'esprit soient signes de mollesse ? pour moi cest signe d'intelligence et de philosophie. et si partout il y avait donc plus de gens qui pratiquent la mollesse peut être que nous aurions moins de guerres . | ||
| khalid |
désolé pour la confusion induite par l'emploi d'un terme inadéquat j'aurais sans doute du utiliser "tendre" car c'est ce que j'ai voulu dire par molle façon du coeur :-)) c'est vrai que la tolérance et l'ouverture d'esprit sont signe de philosophie et d'intelligence mais dans le cas du micro système dans lequel j'ai évolué c'était surtout le fruit d'une éducation et d'une idéation de "l'autre" où un humanisme instinctif et généreux était fortement présent. | ||
| khalid |
un cliché de cette tendre période. Chaque visage me rapelle une voix, une scène, un moment de vie intense qui se rejoue entre douleur et bonheur dans un petit coin de ma tête qui envahit d'une intensité incroyable l'intégralité de mon coeur. il y a là 6 nationalités et 3 religions sans compter les "bof" en cette matière :-)  | ||
| ali |
"arabes musulmans" Fourmi ,pour moi et l'une des tares orientalistes que l'idéologie arbiste a reprise pour son compte..Les vraies appelations en arabe sont:"Al andalousiyyun"" et" Al mouriskiyyun"(les andalous et les maures)et quand il s'agissait de questions théologiques on utilisait "Almouslimoun""Al yahud""Annasara".Le terme"arabe" à l'époque désignait les "vrais arabes" de la péninsule arabique.C'est la même chose aussi chez IBnou Khaldoun et les autres.. Et khalid a raison de dire à sa façon que les marocains ont une longue tradition d'ouverture sur l'autre,de générosité ,de tolérance et d'hospitalité légendaire.L'Afrique du Nord a été toujours une terre d'accueil.. et je te préviens Fourmi si jamais tu répètes cette erreur je tirerai une balle-haïkue sur toi"Poum!" | ||
| fourmiabeilleescargot |
mon instruction quant à l'histoire de l'Espagne est légère car le peu que je sais je l'ai appris par la poésie. je chercherai dans mes archives et te donnerai l'époque et quelques noms de poètes je crois que c'était l'époque des cantos Mais pourquoi détruire l'illuson que les hommes puisqu'ils ont tous deux bras deux jambes et un tas d'autres choses semblables puisque la douleur est la même pout tous qu'ils soient blancs noirs jaunes nés ici ou au maroc ou en Chine sont obligés de se bagarrer pour revendiquer des choses qui ne sont en fait que détail quand le monde a été créé il y avait tant de terres nues ! je suis une antiraciste à 100% c'est ma seule religion . je suis même aussi un insecte tu vois bien et personne ne me fera changer d'idée ; je pense que c'est seulement pour ça que je porterais des bannières. avant de choisir une pensée je réfléchis longtemps ; je suis libre et indépendante. pas obéissante du tout | ||
| fourmi |
Khalid quel beau kaléidoscope et ces enfants pourraient- ils se faire la guerre ? qui se souvient de Josephine Baker qui avait adopté des enfants de tous pays justement opur créer un monde de paix ? | ||
| pour ali |
pour Ali surtout : la poésie de l'époque dont je te parle est la jarcha. Depuis le VIII e siècle la péninsule est occupée par les arabes qui vont développer entre le Xe et le XI e siècle une civilisation brillante qui sera le phare de la culture européenne . Cordoue est la capitale de l'Islam d'Occident et entre maures, chrétiens et juifs , malgré les tensions s'est instauré un modus vivendi qui va durer huit siècles. on parlait l'arabe et le mozarabe ( dialecte roman parlé par les chrétiens ) pour terminer pas une fleur voici cette jarcha O que ferai-je ? comment vivrai-je ? J'attends cet ami je meurs pour lui. la jarcha est l'ancêtre des chansons d'ami galaïco portugaises qui vont fleurir au XIIe siècle et sont issues d'un double courant à la fois savant et polpulaire comme toujours en Espagne. etc.... Jacques Ancet ( extrait d'un manuscrit ) | ||
| ali |
Merci mon "pour ali" pour cette belle "jarcha"..A cette belle époque du côté des "musulmans"il y avait bcp de genres de poésie dont les plus célébres sont:"AlKasaid","Azzajal"et les fameuses "Mouwachahat".. J'aimerais te traduire l'une des belles oeuvres de cette "Andalousie"mais je n'ose le faire ;il s'agit d'un poéme de Ibnou Khoufaja intitulé" Al birkatou Al hasna"(Bel étang).C'est un texte où le poéte parle effectivement de l'étang mais en réalité il s'agit des yeux d'une/la femme;les normes de "houbb Al mourouwa" (un certain amour sublime)l'exigeait.. Donc à la place de cet absent je t'offre un chaud bisou gros comme ça..hihi!! Merci khalid pour tes deux belles photos.. | ||
| isadayeur |
Tu es lequel sur la photo de classe, Khalid ? | ||
| khalid |
troisième à partir de la gauche dans la rangée du haut..çui qui bombe le torse en disant bêtement chiiiiise...c'est vrai en plus le photographe itinérant, un vieux sympa, qui vivait dans sa camionette transformée en laboratoire photo nous demandait à chaque fois de chiiiser. il sillonnait tout le pays, d'école en école |