...
suite
Ah,
merci Laura ! J’ai bien cru que j’aillais finir découpé
vivant ! Je sais que c’est déjà arrivé ça,
qu’une personne s’est réveillée au début de
l’opération destinée à lui prélever ses
organes. Enfin, au moins elle s’est réveillée, elle. Moi,
je donne toujours l’impression d’être mort.
Tiens,
Cédric revient avec mes parents. Merde, les voilà qui
pleurent comme si j’étais déjà enterré. Je
sens les larmes de ma mère couler sur ma joue et son baiser me
fait du bien. J’ai vraiment envie de chialer mais toujours rien
à faire. Oh ! Mes parents ont apporté un de mes costumes,
mon père demande à Laura si c’est bien celui qu’elle
voulait. Là, je le sens mal, le truc. Ils vont me
débrancher dans pas longtemps. C’est sûr. Allez, tout le
monde pleure. Qu’est-ce qu’ils attendent pour me débrancher ?
Ah, j’ai compris, mes parents vont garder mon fils, ils ne vont pas
rester. Et voilà,pour l’instant ils sortent tous de la chambre,
sauf Cédric qui s’assoit sur le lit à côté
de moi.
-
Enfin tu ne vas plus te mettre en travers de ma route ! Je vais pouvoir
être le meilleur en compétition. Enfin ça ne va
plus être toi que l’on regarde, que l’on entraîne, que l’on
dit le meilleur ! En plus, espèce de con, je vais enfin
récupérer Laura. Tu ne te souviens pas que c’est moi qui
te l’ai présentée ? Non, tu l’as toujours oublié
ça… dès la première fois que vous vous êtes
vus. Sept ans que je souffre. Mais là, c’était trop. La
semaine dernière, encore une compétition où tu
m’as volé la vedette. Tu sais, le plus drôle, c’est que si
tu es dans cet état, c’est sans doute à cause de moi. Je
n’y croyais pas trop mais, il y a quelques jours, j’ai rencontré
un marabout. Il m’a dit qu’il pouvait faire des incantations qui te
cloueraient au lit. Je ne pensais pas que ça serait à ce
point-là ! Non, sérieusement, je ne pense pas que tu sois
mort à cause de ces incantations, mais tu vois, je n’arrive pas
à être triste. Je ne suis même pas heureux. Je crois
que je me sens soulagé. Je sais que tu n’es déjà
plus là et que je parle dans le vide. Dans cinq minutes, tout le
monde va revenir pour de débrancher et t’habiller dans ton beau
costume. Et dans vingt-quatre heures la presse parlera de toi une
dernière fois pour tes obsèques.
Petit
merdeux, si tu savais que j’entends tout ce que tu dis ! Si tu savais
à quel point tu me fais mal ! Rencontré un marabout, mais
ça n’existe pas ! Enfin la magie n’existe pas. Ça devait
être encore un soir ou tu avais trop bu, parce que toi tu bois,
souvent et trop. Tu ne t’es jamais dit que si tes résultats
n’étaient pas bons c’était à cause de l’alcool
?Merde, tu ne m’entends pas alors ce n’est même pas la peine que
je cherche à t’expliquer quoi que ce soit. Allez,
fous-moi la paix, laisse-moi dormir un peu.
*
Ça
fait super mal, on est en train de me retirer le tube. Vous ne me voyez
toujours pas bouger ? Je ne pleure pas de douleur ? Qu’est-ce qu’ils
racontent ? Il faut attendre quelques minutes pour constater la mort,
mais déjà tout est plat. C’est pas possible, leurs
appareils doivent être en panne. Putain ! Mais je suis en train
de penser, je vois tout ce qui se passe autour de moi, je suis en vie.
Je serais à côté de mon corps en train de voir la
scène, je comprendrais ! Je me dirais que je suis mort, que je
suis un esprit qui voit la scène autour de lui. J’aurais
peut-être la chance de rencontrer une entité qui me dirait
que mon heure n’est pas encore venue et qui me renverrait dans mon
corps. Mais là, je suis coincé dans mon corps,
coincé, en vie, et personne ne s’en aperçoit. Ah, Laura
s’assoit à côté de moi. Ne pleure pas, je suis
toujours en vie. Elle m’embrasse sur le front, une de ses larmes coule
sur ma joue. Je sens ses lèvres chaudes. Est-ce que je suis
déjà froid ? Je ne suis pas comme la Belle aux bois
dormant, un baiser ne suffit pas à me réveiller.
Cédric, Judas, tu viens m’embrasser pour faire bonne mesure ? Je
ne vois pas une seule larme dans tes yeux, je vois plutôt un
sourire satisfait. Peut-être que tu as réellement vu
quelqu’un pour m’éliminer ; peut-être que ce
n’était pas de simples incantations mais que tu ne t’es pas
gêné de mettre un poison dans ma bouteille pendant
l’entraînement. Voilà, c’est l’heure de m’habiller.
Cédric, enfoiré, pourquoi tu me fermes les yeux ? Je
n’arrive plus à les ouvrir. C’est gentil ce que tu me susurres
à l’oreille, « j’espère que tu iras brûler en
enfer ». Tu me fatigues vraiment, enfin je commence à
vraiment fatiguer. Peut-être que je suis en train de mourir pour
de bon cette fois, l’appareil ne me maintient plus en vie. Allez,
adieu, je vous aime, même toi Cédric.
*
Oh
la vache, quel cauchemar ! Je suis content de me réveiller. Ah,
non je n’arrive toujours pas à bouger, ce n’était pas un
cauchemar. Où est-ce que je suis ? Il fait nuit je crois, en
tout cas, tout est noir. J’ai vraiment peur. Je voudrais que quelqu’un
voie que je suis toujours en vie. Oh, je sens une larme couler ! Mes
paupières ! Je peux bouger mes paupières ! Je sens
de la chaleur, je dois me réchauffer. Enfin ! Je suis sûr
que bientôt quelqu’un va voir que je suis en train de revenir. Je
ne comprends pas que personne ne se soit aperçu avant que je
suis toujours en vie. Je crois que ça va aller mieux maintenant.
Je vois de la lumière, je ne pense pas que ce soit celle au bout
du tunnel. Je suis sûr que quelqu’un va entrer dans la
pièce.
*
Nous
venons d’apprendre que, samedi dernier, le médaillé
olympique Yannick Delatour a été victime d’un accident
cardiaque lors d’un entraînement. Malgré les soins de
réanimation apportés immédiatement par les
entraîneurs et le SAMU, il n’a pas été possible de
réanimer notre nageur national. Crédric
Delatour,frère de Yannick, a demandé à ce que les
informations soient divulguées après les obsèques
qui ont eu lieu ce lundi matin dans la plus stricte intimité au
crématorium de Marseille, ville dont sont originaires les
parents de Yannick.
Une cérémonie pour rendre un dernier hommage public au
nageur aura lieu ce mercredi à Marseille.
FIN
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