Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton,
nous vous présenterons un court conte
ou nouvelle
:
Septembre
2014
Highway
to hell - Partie 1
par Paul Durand Degranges
Qu’est-ce qui m’arrive ?
J’ai l’impression de ne plus sentir mon corps. J’ai du mal à
voir autour de moi, tout est flou. J’entends tout mais je ne peux pas
bouger. Ah, si ! Mes paupières semblent se fermer de temps en
temps. Est-ce que je peux parler ?
Merde, je n’arrive pas à parler ! Je pense, déjà
c’est quelque chose, je ne suis sans doute pas mort. Putain ! J’ai
dû me prendre une biture et j’ai du mal à faire surface.
Je dois être proche du coma alcoolique, ça doit être
ça. Je dois être en train de reprendre mes esprits. Il
faut que je réfléchisse, est-ce que j’ai fait la
fête ? Est-ce qu’il y avait une fête où j’aurais pu
boire à ce point ? Ça ne me revient pas. Je suis
fatigué, j’ai sommeil. Est-ce que je peux m’endormir ou est-ce
qu’il faut que je résiste ?
*
Je crois que je suis parti un moment, je ne sais pas combien de temps.
Je ne sais toujours pas ce qui m’est arrivé mais maintenant je
vois clair. Je suis dans une chambre d’hôpital et pour l’instant
il n’y a personne autour de moi. J’essaie de bouger… mais rien. Je ne
sens aucune partie de mon corps. J’ai ce putain de syndrome locked-in,
j’en suis sûr. Comment est-ce que ce syndrome d’enfermement m’est
tombé dessus ? J’ai du mal à réfléchir.
Voyons, j’ai 27 ans, je suis sportif. Ah, oui ! Je suis nageur et je
fais de la compétition de haut niveau. Je suis marié et
j’ai un fils de cinq ans. Je me souviens de mon mariage. C’était
il y a sept ans. Personne n’y croyait. On me disait que j’étais
fou, que quelqu’un qui veut devenir sportif de haut niveau ne se marie
pas. On pense à sa carrière d’abord. Même
Cédric, mon petit frère, et mon témoin, ne
paraissait pas enthousiaste à l’idée de ce mariage. C’est
étrange de penser à ça maintenant. Il faut que je
dorme.
*
Je n’ai mal nulle part, ça ne doit pas être un accident.
Ce n’est certainement pas un coma alcoolique, je ne bois plus depuis
des années. Oh ! Quelqu’un bouge à côté de
moi. Une infirmière peut-être, je la vois, je ne la
connais pas. J’ai l’impression qu’elle touche un tube qui est
enfoncé dans ma bouche. J’entends des bruits, mais je ne sens
rien. Elle parle, je l’entends.« C’est le respirateur qui le
maintient en vie, il n’y a toujours pas de signe d’activité
cérébrale. » Comment ça pas
d’activité cérébrale ? Mais je suis en train de
penser !
*
Je me suis encore endormi ou déconnecté, je ne sais pas
trop ce qui se passe. Je commence à avoir mal, très mal,
ce putain de tube dans ma gorge me fait mal. Même si je pouvais
parler, je n’y arriverais pas. Ça me revient, j’étais
à la piscine, il était tard, le soir. Je n’aime pas nager
quand il fait nuit. Préparation pour une compétition.
L’entraîneur nous poussait, me poussait, pour améliorer
les temps. Et puis je ne sais pas, j’ai entendu l’entraîneur
crier, « sortez-le de l’eau », dépêchez-vous.
Ça me revient, maintenant, je le vois au-dessus de moi en train
d’essayer de me faire repartir le cœur. Le défibrillateur, c’est
infernal à quel point ça fait mal, le
défibrillateur. Déjà, je voyais tout et je ne
pouvais plus bouger, plus parler. L’entraîneur a continué
le massage cardiaque, quelqu’un m’a posé un masque pour me faire
respirer. Le SAMU a pris le relais, je suis entré dans
l’ambulance et c’est là que le trou noir commence.
Quelqu’un pourrait me donner à boire ? J’ai vraiment très
soif et puis j’aimerais bien qu’on m’enlève ce truc que j’ai
dans la bouche, ça fait vraiment mal.
- Il est ici madame.
Tiens, quelqu’un arrive. C’est Laura, ma femme, je suis vraiment
content qu’elle soit là, elle va pouvoir me tirer de ce
cauchemar. Oh oui ! Laisse ta main sur ma joue, elle est chaude et
douce, ça me fait du bien. Pourquoi est-ce que tu pleures ? Ne
pleure pas, je suis là, je ne suis pas mort.
- Docteur,est-ce normal qu’il ait les yeux ouverts ? Il est conscient ?
Il nous entend ?
- Il a les yeux ouverts par reflexe. Parfois ils se ferment, puis
s’ouvrent de nouveau mais ce n’est pas pour cela que votre mari est
conscient. Je vous assure qu’il ne nous entend pas. Il est maintenu en
vie par des machines mais son cœur s’est arrêté à
la piscine et il n’est jamais vraiment reparti.
- Et vous pensez qu’il ne repartira jamais ?
- Non, je vous l’ai déjà expliqué votre mari est
en mort cérébrale. Vous m’avez dit que vous avez des
papiers de sa part indiquant qu’il ne veut pas d’acharnement
thérapeutique. Il va falloir prendre une décision. Sans
aucun signe de vie, cela ne sert à rien de le laisser
branché. Il a fait un arrêt cardiaque il y a quatre heures
et son état n’évolue pas.
Attends, tu ne vas pas bien là ! Je suis en vie, je t’entends,
je comprends ! Comment est-ce que je peux te faire signe ? Je suis
coincé là dans ce corps sans pouvoir rien faire !
- Je ne veux pas qu’on le débranche pour l’instant. Je ne peux
pas. Je sais qu’il ne veut pas qu’on le maintienne en vie, mais c’est
trop tôt pour moi. Son frère va arriver avec notre fils.
Je veux qu’il voie son père maintenant, pendant qu’il est
branché. Je veux qu’il le voit encore en vie, même si
cette vie est artificielle. Peut-être qu’il sentira la
présence de son fils, peut-être que ça le fera
revenir à nous.
- Vous savez qu’on a peu de temps. Je sais que c’est une
décision difficile mais votre mari est un homme jeune, en pleine
santé, sportif. Réfléchissez bien, vous savez
qu’il peut sauver d’autres vies.
Hello - hello - hello, Is there anybody in there ? Just not if
you can hear me. Is there anyone home ? C’est bien le moment d’avoir
une chanson de Pink Floyd en tête ! Le toubib demande la
permission de me démantibuler pour servir de réserve de
pièces détachées à d’autres malades. Okay,
je suis pour le don d’organes, mais pas de mon vivant. Ce n’est pas
possible, je dois trouver un moyen. Je sens que je fatigue,
peut-être que je devrais me laisser mourir ça arrangerait
tout.
*
Tiens, le cerveau a dû s’arrêter pendant un moment. Voyons
voir où j’en suis. Le tube, je le sens toujours, les
paupières, je crois que je n’arrive pas à les faire
cligner. Est-ce que je peux pleurer. Je me souviens avoir vu ça
à la télé : une femme était dans le coma,
les médecins pensaient qu’elle était en mort
cérébrale et sa fille a vu une larme couler alors qu’elle
lui parlait. Peut-être que si je vois mon fils je me mettrai
à pleurer. Ah, voilà Cédric, Laura et mon fils
Maxime. En fait, ce n’était pas une si bonne idée de le
faire venir. Il ne comprend pas. Il m’a vu sur le bord du bassin il y a
quelques heures et il me voit là, un tuyau dans la bouche
incapable de bouger. Il n’ose pas s’approcher de moi. Laura lui demande
de m’embrasser sur la joue, il hésite et finalement me donne un
baiser furtif. Oh oui, j’ai envie de pleurer, je souffre mais rien ne
sort. Je ne parviens toujours pas à bouger, toujours pas
à crier. Maxime sort de la chambre avec Cédric alors que
le médecin entre. Il s’adresse à Laura.
- Madame, excusez-moi d’insister, je sais que ce n’est vraiment pas une
décision facile à prendre, est-ce que vous acceptez que
l’on prélève ses organes ?
- Non, je ne peux pas. Vous le débranchez et s’il meurt, il
meurt. Je veux qu’il reste tel qu’il est. Vous ne touchez à
aucun organe.
à suivre ... Partie 2
Francopolis septembre 2014
Paul Durand Degranges
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