Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton,
nous vous présenterons un court conte
:
Le Baptême
- (Conte de nos montagnes)
par Éliette Vialle
Partie 1
(novembre 2013)
Partie
2 (décembre 2013)
Partie
3 ( avril 2014)
et voici la suite et fin ... Partie 4
(mai 2014)
Il
s’ensuivit une période de folie, où ma présence
chez les Tollard commençait à faire jaser. Notre plan
était simple : ils devaient rechercher les noms et les adresses
de parents susceptibles d’accepter le parrainage. J’avais fait une
lettre-type que la Rose recopiait sagement. On en envoyait deux, puis
on attendait la réponse, puis on élargissait le cercle.
Les plus proches refusèrent sous divers prétextes, mais
on sentait bien la puissance du Marcou.
Rose et Cyprien ne faisaient pas le poids face à sa richesse et
à sa clientèle. Au bout de trois semaines nous avions
étendu nos recherches à de lointains cousins totalement
inconnus, certains même ne répondirent jamais.
Le curé n’était pas content, un bon chrétien
était un parrain putatif, cette volonté de mettre un
membre de la famille était une tradition locale, et il nous
raconta ce qui se faisait dans d’autres régions où il
avait exercé son ministère. Un ami de bonne
réputation était acceptable. On misa sur les voisins qui
déclinèrent. Je pensais à la fille de
l’épicier, charmante, travailleuse, mais si vertueuse
qu’à trente-huit ans passés, elle n’avait pas
trouvé de galant, d’aucun disait qu’elle voulait entrer dans les
ordres… Les épiciers n’étaient pas dépendant du
Marcou, ils étaient les seuls alentours, et si Marcou mettait
son véto, il n’était pas possible pour les fermiers
d’aller chercher leurs fournitures à des kilomètres de
là.
Le marché hebdomadaire était une aubaine
pour troc ou achats. Les fermes étaient si
éloignées que les paysans vendaient leurs denrées
et avec l’argent gagné puisaient dans les trésors de
l’épicerie : ficelles, cire pour les meubles, huile de choix,
ampoules électriques – car nous avions depuis peu
l’électricité !- ou mèches à pétrole
lampant.
Le curé approuva le choix de cette pieuse personne, et
accompagna la Rose, tout endimanchée pour l’occasion, chez la
bien-nommée "Marie". A les voir ressortir l’air satisfait,
quoique Rose essuyait furtivement quelques larmes d’émotion,
nous comprîmes qu’ils avaient réussi. Marie était
une blonde au teint et aux yeux pâles, très<<
minsourlette>>, c’était l’opposé de la Rose chez
qui les couleurs étaient si vives.et les rondeurs
épanouies.
On se retrouva au presbytère et le curé nous servit un
verre d’excellente eau-de-noix, et je fus surpris que Marie
acceptât, on la considérait comme une grenouille de
bénitier et les garçons la moquaient un peu. Le
curé nous fit un discours sur les devoirs de la marraine et
aussi du parrain, ce qui m’étonna et mis mal à l’aise car
j’avais l’impression qu’il s’adressait à moi.
– Il ne reste plus qu’à trouver le parrain, dis-je en saluant la
compagnie. Tous les yeux étaient rivés sur moi et Rose
dit doucement :
- tu es un homme de cœur…
- et de paroles, ajouta Cyprien.
Le curé acquiesça et son regard me pétrifia tant
que je me rassis presque honteux. Je n’avais pas pris part à
cette recherche pour vouloir être désigné d’office.
Je balbutiais quelques paroles maladroites :
-je ne pensais pas… je ne suis pas de la famille.
- Eh bien maintenant tu vas l’être et un des meilleurs,
s’esclaffa le Cyprien en me mettant une bonne claque dans le dos.
Le curé resservit une tournée d’eau-de-noix et
s’écria :
- Je vous attends tous les soirs à 18h précises pour vous
apprendre à être de bons parrains Chrétiens !
*****
Voila ce qui arrive quand on a trop bon cœur ! Malgré mon
hébétude, il y avait comme une petite flamme de joie qui
s’élevait dans mon cœur.
Le baptême eut lieu le 15 août, Marie et moi fêtions
notre entrée définitive dans le village grâce
à cette appartenance à la famille Tollard. Ce fut un beau
jour avec un doux soleil, après les orages de la mi-août,
Marie et moi tenant notre filleul, les parents nous suivant, nous
prîmes place dans la calèche, et on jeta les
traditionnelles piécettes et dragées sur lesquelles se
ruaient les gamins du village.
Ce fut un beau baptême, on avait invité les voisins
même ceux qui avaient refusé. Ils se sentaient bien
penauds, mais firent bonne mine quand on arriva à l’auberge du
col des quatre-vents où le repas de baptême avait lieu.
Rose me chuchota : - Marie est une bonne fille, vous allez bien
ensemble…
Et le Cyprien, toujours grand nigaud, rajouta : - Après le
baptême, ce sera le mariage !
Marie rosit, ses yeux brillaient, elle me parut presque aussi belle que
la Rose, et le curé, bienveillant, me fit un sourire
d’encouragement…
FIN
Francopolis mai 2014
Éliette Vialle
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