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Chaque mois, comme à la grande époque du
roman-feuilleton, Le Baptême
- (Conte de nos montagnes)
Enfin
l’ombre réconfortante de la pinède ! Enfin sortir de
la fournaise des
espaces béants livrés sans protection à la
touffeur de l’été ! Je m’effondrais
contre le talus. Un soleil farceur jouait à cachette entre les
fûts épineux qui
se balançaient à la brise haute. Je trouvais un repli
moussu et frais qui avait
dû recevoir bien des postérieurs de marcheurs
fatigués, ou d’amoureux
roucoulant, et même si je n’étais pas de ceux-là ,
je m’effondrais avec un long
soupir : Bon diou ! Quelle
histoire ! ….Me
voilà donc parti pour une mission
sacrément
difficile : je sortis de ma sacoche postale la lettre que j’allais
remettre au Cyprien Tollard , je l’examinais attentivement :
elle
avait été adressée par le Cyprien et Le
Marcou avait refusé de payer la taxe et avait renvoyé le
pli à son expéditeur.
Le facteur de ST AMBROISE SOUS VIVARAIS, c’est moi
et la ferme des Tollard est la plus extrême
de ma tournée, j’y vais pourtant d’un bon pas , ferme et
régulier, mais pour
apporter une mauvaise nouvelle c’est
autre chose… Je n’aurais pas droit – c’est sûr- à mon
canon de rouge à
l’arrivée, et il y aurait – je le sentais -
des cris et des pleurs ; mais j’étais le
facteur et je devais
remettre le courrier, vaille que vaille . Ah !
Bon diou ! Je m’épongeais le front, tournant et retournant
cette maudite
lettre : car un gars qui refuse la lettre de sa sœur : c’est
grave ; mais celui qui envoie sans payer : c’est offense, je
l’ai dit,
et offense entraîne vengeance, donc famille
déchirée, et village qui prend –
forcément – parti pour l’un ou l’autre : donc division,
rancœur pendant
quelques générations, résultat : de beaux
jours devant nous !!! Et
moi, Jacques Tourneur, dit Jacquot, le facteur de notre paisible
commune, tel
une méchante mèche d’amadou, j’allais bouter le feu aux
poudres ! OUI, mais une
mèche d’amadou ne sait pas le malheur qu’elle va
répandre, moi, je le savais ! Je
revissais ma casquette sur mon chef, le cuir en était bouilli
par la sueur. J’épongeais
avec mon mouchoir que je mis en pointe sur la nuque, je devais y aller et, cependant, je me levais en
prenant tout mon temps. La ferme était
encore à une demi-lieue, sur l’autre versant de la montagne.
Là bas, un
ruisseau cascadait du sommet en un filet clair et
froid, je pourrais y tremper mon mouchoir, le remettre
sur ma nuque
et affronter la dernière étape. J’approchais
de la ferme, le chien de berger
m’attendait planté sur son derrière, les oreilles
pointées, la tête inclinée,
les yeux accueillants, brave bête ! Il y avait tant
d’intelligence dans
son regard que je m’attendais à ce qu’il m’adresse la parole. Mais
tout ça, c’étaient des rêvasseries pour me tenir
éloigné de ma mission. Je me
repris bravement, essuyais mon front moite de
sueur et de crainte, et m’avançais
jusqu’à la porte toujours ouverte
de la grand’ salle. Celle-ci était
sombre, mais dans un carré de lumière donnée par
le fenestron, Elle
m’aperçut :- Hé, facteur, te voila bien !
assoies toi donc, je vais
te donner un bon canon pour la course. Je pris
place au bout du banc qui longeait la
grande table. Cette
courtoisie m’embarrassa encore plus, et je lui tendis la lettre sans
pouvoir
donner les explications longuement ruminées tout au long du
trajet ; le
refus et sa raison étaient notifiés méchamment
à l’encre rouge. Elle lut, relut
ce message, tourna et retourna l’enveloppe, les sourcils froncés
par l’incompréhension.
Elle attendait que je lui dévoile le mystère de ce renvoi
inopportun ;
sans dramatiser je lui désignais le timbre oublié, et je
voyais son visage se
décomposer au fur et à mesure de mes propos :d’abord
le front buté de
celui qui n’admet pas ,puis, soudain, elle se leva et poussant un cri
plaintif,
elle déposa l’enfant dans le berceau de bois sculpté, et
se précipita vers le
bahut et fouilla fébrilement le plus haut tiroir, elle exhuma
un vieux porte
monnaie en cuir noir, bien usagé et pansu . Alors elle sortit
un petit carré
de papier dentelé : c’était le timbre
oublié ! Je
compris que le Cyprien, en allant au marché du village vendre
ses
« picodons », avait acheté le timbre mais
oublié de le coller. Comme
on le sait quand on a vendu, on se retrouve, entre hommes, au bistrot,
devant
un ou plusieurs canons de rouge, et on n’a
plus tout son raisonnement… Je
pris en mains la situation car le petit gars délaissé
commençait à se plaindre
crescendo : on aurait cru entendre le »kyrie»
à la messe : en
allant vers les aigus ! Il
fallait une nouvelle enveloppe et j’en avais toujours dans ma sacoche, laborieusement et
à l’encre noire – par politesse- Rose,
tout en reniflant réécrivit
l’adresse du
Marcou, et la sienne à l’arrière : puis elle colla
avec soin le timbre oublié. On
avait sauvé la situation : Rose toute bouleversée,
m’embrassait et me
re-servit un nouveau canon de vin rouge, malgré les hurlements
insoutenables du petit gars qui aurait une
aussi belle voix
que sa maman pour sûr ! Deux
fossettes creusèrent le visage rond de cette dernère :
l’esquisse
d’un sourire. Bon, il était temps de m’en aller…
Éliette Vialle |
Créé le 1 mars 2002
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