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Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton,
     nous vous présenterons un court conte : 

    
Novembre 2013

Le Baptême(Conte de nos montagnes)

   
    par Eliette Vialle


    Partie 1


Enfin l’ombre réconfortante de la pinède ! Enfin sortir de la fournaise des espaces béants livrés sans protection à la touffeur de l’été ! Je m’effondrais contre le talus. Un soleil farceur jouait à cachette entre les fûts épineux qui se balançaient à la brise haute. Je trouvais un repli moussu et frais qui avait dû recevoir bien des postérieurs de marcheurs fatigués, ou d’amoureux roucoulant, et même si je n’étais pas de ceux-là , je m’effondrais avec un long soupir :   Bon diou ! Quelle histoire ! ….Me voilà donc parti  pour une mission sacrément difficile : je sortis de ma sacoche postale la lettre que j’allais remettre au Cyprien Tollard , je l’examinais attentivement : elle avait été adressée par le Cyprien et la Rose, sa femme, au Marcou, leur frère et beau frère : le Marcou , je le connais bien , un sacré pingrot celui-là , mais  c’est de famille… Mais voilà «  l’histoire » : le Cyprien avait oublié  d’ affranchir son message, et ça c’était « offense » !!!

Le Marcou avait refusé de payer la taxe et avait renvoyé le pli à son expéditeur. Le facteur de ST AMBROISE SOUS VIVARAIS, c’est moi  et la ferme des Tollard est la plus extrême de ma tournée, j’y vais pourtant d’un bon pas , ferme et régulier, mais pour apporter une mauvaise nouvelle  c’est autre chose… Je n’aurais pas droit – c’est sûr- à mon canon de rouge à l’arrivée, et il y aurait – je le sentais -  des cris et des pleurs ; mais j’étais le facteur et je devais remettre le courrier, vaille que vaille .

Ah ! Bon diou ! Je m’épongeais le front, tournant et retournant cette maudite lettre : car un gars qui refuse la lettre de sa sœur : c’est grave ; mais celui qui envoie sans payer : c’est offense, je l’ai dit, et offense entraîne vengeance, donc famille déchirée, et village qui prend – forcément – parti pour l’un ou l’autre : donc division, rancœur pendant quelques générations, résultat : de beaux jours devant nous !!!

Et moi, Jacques Tourneur, dit Jacquot, le facteur de notre paisible commune, tel une méchante mèche d’amadou, j’allais bouter le feu aux poudres ! OUI, mais une mèche d’amadou ne sait pas le malheur qu’elle va répandre, moi, je le savais !

Je revissais ma casquette sur mon chef, le cuir en était bouilli par la sueur. J’épongeais avec mon mouchoir que je mis en pointe sur la nuque, je devais  y aller et, cependant, je me levais en prenant tout mon temps. La ferme  était encore à une demi-lieue, sur l’autre versant de la montagne. Là bas, un ruisseau cascadait du sommet en un filet clair  et froid, je pourrais y tremper mon mouchoir, le remettre sur ma nuque et affronter la dernière étape.

J’approchais de la ferme, le chien de berger m’attendait planté sur son derrière, les oreilles pointées, la tête inclinée, les yeux accueillants, brave bête ! Il y avait tant d’intelligence dans son regard que je m’attendais à ce qu’il m’adresse la parole.

Mais tout ça, c’étaient des rêvasseries pour me tenir éloigné de ma mission. Je me repris bravement, essuyais mon front moite  de sueur et de crainte, et m’avançais jusqu’à la porte toujours ouverte de la grand’ salle. Celle-ci  était sombre, mais dans un carré de lumière donnée par le fenestron, la Rose,  assise,  l’enfant accroché à son sein, équeutait des haricots.  Blonde, ronde et rose,  des mèches de cheveux frisottaient autour de son front  paisible, elle semblait  l’image même d’une madone sereine et maternelle. Devant ce tableau  aussi  beau que le vitrail de notre église, je retirais ma casquette et la tins humblement à la main.

Elle m’aperçut :- Hé, facteur, te voila bien ! assoies toi donc, je vais te donner un bon canon pour la course.

Je pris place au bout du banc qui longeait la grande table.

La Rose se leva sans lâcher son précieux fardeau et ouvrant la porte d’un vieux bahut, ramena un verre et une bouteille de vin. Ses gestes étaient lents et majestueux, une subtile harmonie régnait dans cette simple pièce. Elle poussa le verre près de moi, me servit un verre bien plein et attendit que ma soif fût étanchée pour s’enquérir du courrier.

Cette courtoisie m’embarrassa encore plus, et je lui tendis la lettre sans pouvoir donner les explications longuement ruminées tout au long du trajet ; le refus et sa raison étaient notifiés méchamment à l’encre rouge. Elle lut, relut ce message, tourna et retourna l’enveloppe, les sourcils froncés par l’incompréhension. Elle attendait que je lui dévoile le mystère de ce renvoi inopportun ; sans dramatiser je lui désignais le timbre oublié, et je voyais son visage se décomposer au fur et à mesure de mes propos :d’abord le front buté de celui qui n’admet pas ,puis, soudain, elle se leva et poussant un cri plaintif, elle déposa l’enfant dans le berceau de bois sculpté, et se précipita vers le bahut et fouilla fébrilement le plus haut tiroir, elle exhuma un vieux porte monnaie en cuir noir, bien usagé et pansu . Alors elle sortit un petit carré de papier dentelé : c’était le timbre oublié !

Je compris que le Cyprien, en allant au marché du village vendre ses « picodons », avait acheté le timbre mais oublié de le coller. Comme on le sait quand on a vendu, on se retrouve, entre hommes, au bistrot, devant un ou plusieurs canons de rouge,  et on n’a plus tout son raisonnement…

Je pris en mains la situation car le petit gars délaissé commençait à se plaindre crescendo : on aurait cru entendre le »kyrie» à la messe : en allant vers les aigus !

Il fallait une nouvelle enveloppe et j’en avais toujours dans ma sacoche,  laborieusement  et à l’encre noire – par politesse- Rose, tout en reniflant  réécrivit l’adresse du Marcou, et la sienne à l’arrière : puis elle colla avec soin le timbre oublié.

On avait sauvé la situation : Rose toute bouleversée, m’embrassait et me re-servit un nouveau canon de vin rouge, malgré les hurlements insoutenables  du petit gars qui aurait une aussi belle voix que sa maman  pour sûr ! Deux fossettes creusèrent le visage rond de cette dernère : l’esquisse d’un sourire. Bon, il était temps de m’en aller…



à suivre


Francopolis novembre 2013
Éliette Vialle
 

Créé le 1 mars 2002

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